François ramène Pepe dans ses filets et le filet ne s'est pas rompu (1) [Actu]

Publié le 02 juin 2013 par Jyj9icx6
Le 14 mars, Pepe Mujica bougonnait dans sa moustache que tout ce qu'il avait en commun avec le "Pape argentin", c'était le tango et le mate. Quelques semaines plus tard, on l'entendit clairement grommeler entre ses dents à l'un de ses proches au sujet de la "mégère" [Cristina] qui se rengorgeait avec "son Pape argentin". Bref, cette élection-là lui restait en travers de la gorge et l'interprétation qui lui était donnée dans le monde entier et surtout de l'autre côté du Río de la Plata n'avait pas l'heur de lui plaire.
Et voilà que de passage en Espagne, où il a reçu un prix dans le cadre des célébrations du Bicentenaire de la constitution de 1812, le truculent Président de la République Orientale de l'Uruguay, l'ancien guerrillero révolutionnaire, José Mujica, dit affectueusement Pepe, a tout de même fait le détour par Rome pour se jeter dans les bras du Pape François dont il se gaussait il y a deux mois ! Après Cristina et Dilma, ses deux voisines, et après Rafael (Correa), son compère équatorien, il faut croire que Pepe n'a pas résisté. Les photos en disent en effet plus qu'un long discours. D'ailleurs, les articles de journaux sont tous brefs, tant sur le site du Vatican et dans les colonnes de l'Osservatore Romano, que dans les journaux uruguayens, qui n'ont relaté l'audience d'hier samedi qu'en reprenant des dépêches d'agence et les photos exclusives de l'AFP. Pourtant l'entrevue a été très longue, beaucoup plus longue que d'habitude pour un Chef d'Etat : quarante-cinq minutes lorsque d'ordinaire l'entretien privé, hors témoins, dure une vingtaine de minutes.

Capture d'écran de La Red 21, hier soir

En fait, ce Pape est en train de retourner tout ceux qui l'approchent, même parmi ses adversaires les plus tenaces. Estela de Carlotto était toute remuée, elle qui suivait si volontiers (sans toutefois pousser l'accusation aussi loin que lui) les thèses arbitraires développées par Horacio Verbitsky sur l'attitude du Pape, alors Provincial des Jésuites, pendant la Dictature (voir mon article du 25 avril 2013).
Pepe Mujica a été emballé par la personnalité qu'il a rencontrée. Parler avec le Pape serait, d'après lui, comme parler avec un ami du quartier. Il attend du Pape une révolution dans l'Eglise et le rapport qu'il a fait de son entretien relève d'une grille de lecture politique, particulièrement inadaptée sur la nature spirituelle de l'action du Pape. Mais c'est déjà beaucoup de la part du vieux baroudeur du Frente Amplio, la grande tradition de la gauche uruguyenne, dont Mujica représente l'un des courants les plus mal-pensants, si l'on me permet ce concept à l'envers.
Avec son habituel sens de la diplomatie, le Pape François a présenté Mujica comme un sage, il semble même l'avoir tutoyé, selon une tendance qu'il a manifestée déjà dans toutes sortes d'occasions, religieuses ou plus protocolaires.

Extrait Osservatore Romano, daté du 2 juin 2013, page 1


Cette belle familiarité humaine ne semble guère plaire à Página/12 qui reprend ce matin, dimanche, son ton hostile, en publiant, sans s'appuyer sur aucun fait d'actualité saillant, un article indigeste et hargneux de Horacio Verbitsky, qui laisse tomber ses hantises des annés de plomb et noie le lecteur sous un flot de chiffres de mauvais aloi à travers lesquels il s'efforce de le persuader que l'Eglise entretient la pauvreté en Argentine, en exagère les statistiques, le tout à seule fin de discréditer le gouvernement de Cristina de Kirchner (2), et un autre article de Washington Uranga, qui spécule à vide sur le Pape François à partir de rumeurs recuites, romaines et portègnes, qu'il traite comme des faits dignes de foi en tachant d'insinuer que le Pape continue à cacher son jeu et à intervenir dans la politique argentine par des coups de fil incessants. Ce n'est pas qu'il s'agisse d'un article creux ou anecdotique comme ceux de Clarín ou La Nación, sur le même sujet, mais d'un texte de non-information qui se présente comme une analyse de fond. C'est lui, Washington Uranga, qui revient sur les calomnies cultivées par Verbitsky, lequel semble quant à lui avoir donc déserté ce sujet pour aller chercher sa tête de Turc préférée sur d'autres terrains, tout aussi spécieux.

Echange des cadeaux dans la Bibliothèque pontificale
devant la délégation uruguayenne en rang d'oignon à  gauche.
Non sans humour, Página/12 a intitulé cette photo PPPP
(pour Pepe et PP, les deux  lettres qui suivent la signature officielle d'un pape)


Pour aller plus loin sur l'entrevue entre Pepe Mujica et le Pape François : lire l'article de La Red 21 lire l'article de El País (le quotidien de Montevideo, à ne pas confondre avec son homonyme espagnol). El País vous propose aussi la vidéo de la rencontre (les images sont fournies par le Service d'Information du Vatican, sur le site duquel vous disposez de vidéos agrémentées de plusieurs canaux linguistiques, dont le français, que vous ne trouverez évidemment pas sur le site d'un quotidien uruguayen) lire l'article de El País sur les positions développées par Mujica la veille en Espagne, sur l'avortement (qu'il vient de faire légaliser en Uruguay, voir mon article du 18 octobre 2012) et la consommation du cannabis. En Argentine, Página/12 y allait samedi de sa mise à jour en pleine journée, un petit billet un soupçon aigre... Le Vatican a, pour sa part, publié des communiqués au ton qui évolue selon que l'on parle français ("Le Pape reçoit chaleureusement le Président uruguayen"), anglais ("Le Pape François reçoit le Président de l'Uruguay"), espagnol ("Le Pape François reçoit le Président de la République Orientale de l'Uruguay") ou italien ("Droits de l'homme et paix sociale au centre de l'entretien entre le Pape et le Président uruguayen").
(1) Evangile de Jean, chapitre 21, versets 4 à 13, récit dit de la pêche miraculeuse. Le Pape est la figure du pêcheur par excellence qui a pour mission de pêcher non des poissons mais des hommes, c'est-à-dire de les tirer du mal car dans la symbolique de l'Ancien Testament, la mer, c'est un symbole du mal qui veut engloutir l'homme. Or il faut bien le dire, dans cette circonstance, Mujica est bien un gros poisson !
(2) Quelle aberration que cet homme qui a tant lutté pour la démocratie soit aussi intolérant et incapable d'accepter dans les faits le droit qu'a toute opposition de s'exprimer. D'autant que le 26 mai, le même journal reconnaissait les rapprochements des positions entre l'Eglise en Argentine et le Gouvernement (voir mon article du 27 mai 2013).