Le vide et le plein de Nicolas Bouvier

Publié le 02 juin 2013 par Xylophon

J’avais laissé N. Bouvier à son roman anti-utilitariste avec son usage du monde.
Ce roman était au zénith de mes livres préférés de voyage : un récit transcendantal et philosophique dépassant les clichés d’aventuriers héroïques et baroudeurs.

http://lexilousarko.blog.fr/2011/06/16/l-usage-du-monde-de-nicolas-bouvier-11328270/

J’étais jalouse de cet ouvrage : Nicolas Bouvier a un pouvoir celui de donner aux mots une résonance.

Puis j’ai commencé un peu à creuser cette œuvre et j’ai été subjuguée par « Le vide et le plein » et ses carnets du Japon de 1964 à 1970.

Cet essai commence avec une contradiction énigmatique : alors que l’auteur ne pérégrine plus de manière itérative mais pose ses valises pour nous faire découvrir la culture japonaise des années 1960, comment se fait-il que l’impression de faire partie du voyage est encore plus forte que dans l’usage du monde ?

J’ai souvent dit ici ma curiosité de voir une certaine forme de fascination pour le peuple japonais.

http://lexilousarko.blog.fr/2011/03/27/fin-de-regne-10900883/
http://lexilousarko.blog.fr/2009/01/31/la-fragilite-du-sakura-5480417/

Imagination : capacité innée et processus d'inventer un champ personnel, partiel ou complet, à travers l'esprit à partir d'éléments de perceptions sensorielles de l'existence commune.

"Le voyageur le bon devrait posséder un certain degré cette qualité d’imagination qui permet de situer des vertus au même momentanément absents, de flâner la pépite, le bien virtuel, la truite sous la glace. Il devrait en somme non seulement suppléer à sa propre insuffisance, mais aux défaillances momentanément de ce qu’il observe."

Improvisation : fait d'accomplir une action sans s'y être préparé

En lisant l’ouvrage de Nicolas Bouvier, je me suis rendue compte que j’avais un point commun avec les japonais : la faible capacité d’improvisation. Le japonais n’aime pas se retrouver dans une situation sur laquelle il n’a pas la maîtrise par peur de faire un faux-pas. Et c’est aussi sans doute pourquoi j’aime les voyages : une situation qui vous met fatalement en positionnement d’improvisation.

Illusion : perception déformée d'un sens

"L’écriture naît d’une illusion : illusion que je suis meilleur que moi-même, plus pénétrant, généreux et sensible. Illusion que je suis capable d’écrire. Le voyageur qui approche un pays doit obéir à certains impératifs mentaux. Il doit tout d’abord systématiquement chercher les qualités et les choses agréables et s’y accrocher comme une tique".

Arpenter : parcourir d'un pas large et décidé

" Si l’on ne comprenait tout, il est évident que l’on écrirait rien. Ainsi le voyageur écrit pour mesurer une distance qu’il ne connait pas et qu’il n’a pas encore franchie. Lorsque le voyageur arpenteur est parvenu à se débarrasser à la fois de l’attendrissement gobeur et de l’amertume rogneuse que suscite si souvent l’estrangement, et à conserver un lyrisme qui ne soit pas celui de l’exotisme mais celui de la vie , il pourra jalonner cette distance et peut-être si le cœur est bon, la raccourcir un peu."

Passage : Changement d’une situation, d’une disposition d’âme en une autre

"Le voyage intérieur ou extérieur n’a pas de sens s’il n’est pas justement un chambardement constant des attitudes que l’on avait au départ. Ou un ajustement. On ne voyage pas pour confirmer un système, mais bien pour en trouver un meilleur, auquel on fera bien d’ailleurs de ne pas adhérer trop longtemps. Ce qui importe c’est le passage ".

" Une médiocrité toute désordonnée, toute trouée de fenêtres, parcourue de courants d’air : on a des chances d’en guérir. Organisée, elle vous enferme. Il y a des esprits organisés qui font leurs valises traversent un pays ou y séjournent puis « font le tour de la question. Moi ce sont plutôt les questions qui m’entourent, m’encerclent, m’assiègent, et je pars les coups comme je peux."

Politesse : un ensemble de comportements sociaux entre individus visant à exprimer la reconnaissance d'autrui et à être traité en tant que personne ayant des sentiments.

« Lorsqu’on voyage au Japon, la politesse des autres vous ligote, chaque démarche déclenche un engrenage de problèmes qu’on avait pas prévu, on se prend les pieds dans des scrupules culturels on a vite fait, où qu’on s’installe de devenir une plaie au flanc de tout le monde."

Naufrage : perte totale ou partielle d'un navire par accident

"Trop de gens attendent tout du voyage sans s’être souciés de ce que le voyage attend d’eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d’insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines …Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. Un voyage est comme un naufrage et ceux dont le bateau n’a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste c’est du patinage ou du tourisme."

Plus resserré, Plus précis et plus subtil à l’image des monographies de Pamuk sur Istanbul, Le vie et le plein prend une dimension que n’avait pas l’usage du monde.

http://lexilousarko.blog.fr/2010/08/26/deambulations-a-istanbul-9250027/

Analysant, décryptant les ressorts sociologiques du Japon, la médiocrité et les qualités de ses habitants, il y évoque aussi la question de la littérature et des rapports qu’ont les hommes aux voyages.

Un essai foisonnant, pleins de fulgurances et de petites pépites, qui donne envie d’arpenter encore encore des territoires inconnus et les nombreux autres ouvrages de Nicolas Bouvier, écrivain-voyageur.