Chaque jour, en France, une ou plusieurs libertés disparaissent, sans bruit, sans laisser de trace. Au 1er juin, c’est un petit bout de la liberté d’échanger de la valeur, directement, entre particuliers qui vient de s’effacer. Et bien sûr, pas un bruit dans les médias.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit rappel historique s’impose.
petites coupures non marquées espèces et ce, jusqu’à plusieurs milliers d’euros. De la même façon, il était aisé de faire appel à des numismates, même à distance, pour acheter et vendre des pièces d’or et d’argent, quitte à clore la transaction par un échange postal, sur le mode : « je vous paye par virement ou par chèque, envoyez moi donc mes pièces par la poste. » ; après tout, les Postiers font un travail remarquable, d’ailleurs habilement mis en scène dans de fort jolies publicités vitaminées.
Et pour parler, justement, des achats de piécettes, en septembre 2011, les modifications introduites à l’article L112-6 du code monétaire ont fait parler d’elles ; on trouvait en effet la phrase suivante :
Toute transaction relative à l’achat au détail de métaux ferreux et non ferreux est effectuée par chèque barré, virement bancaire ou postal ou par carte de paiement, sans que le montant total de cette transaction puisse excéder un plafond fixé par décret. Le non-respect de cette obligation est puni par une contravention de cinquième classe.
En substance, l’achat et la vente de métaux ne peut plus s’effectuer en espèces. Le but affiché était alors de briser l’anonymat de certains vendeurs de métaux récupérés de façon alternative (et pour le dire clairement, il s’agissait lorsque la loi fut votée de lutter contre les vols de métaux comme le cuivre, opérés par certains spécialistes plus ou moins finauds dont certains défrayent régulièrement la chronique au rayon barbecue sur lignes haute-tension de la SNCF). Du reste, avec maintenant plus d’un an de recul sur cette loi, on peut évidemment constater que ce genre de prouesse législative douteuse apporte une réponse définitive aux vols observés puisqu’ils ont complètement disp … Ah tiens, non, en fait.
La loi provoqua quelques émois chez les acheteurs compulsifs d’or et d’argent, l’achat anonyme leur semblant devenir impossible, ce qui n’augure rien de bon dans ces cas là : en général, l’étape d’après du point de vue étatique consiste à interdire purement et simplement la possession d’or ou d’argent.
La réalité, heureusement, est un peu plus contrastée puisque cette loi ne concerne que les métaux non précieux, l’or et l’argent étant couverts par d’autres dispositions. D’ailleurs, le décret d’application D112-3 donne les limites actuellement en vigueur pour les achats en espèce :
- trois mille euros lorsque le débiteur a son domicile fiscal en France ou agit pour les besoins d’une activité professionnelle
- quinze mille euros lorsque le débiteur justifie qu’il n’a pas son domicile fiscal en France et n’agit pas pour les besoins d’une activité professionnelle.
Pour les achats de métaux ferreux ou non, c’est le décret D112-4 qui, lui, fixe une limite de 500 euros.
On pourrait être rassuré : finalement, il reste encore possible d’acheter de l’or avec des espèces de façon relativement anonyme. Cependant, les inquiétudes initiales ont tout lieu de perdurer : régulièrement, des projets de loi sont déposés pour prétendument protéger le consommateur, lutter contre le vol, éviter le blanchiment, ou rosir les fesses du contribuables (panachage et cumul possible, le député sait s’occuper de vous sur plusieurs angles). Et à chaque fois se restreint la possibilité d’acheter ou de vendre de l’or (ou, plus généralement, n’importe quel bien ou service) : la Socialie s’assure, à chaque seconde de votre vie, que vous êtes correctement bordés dans votre lit, que votre camisole est correctement serrée : suffisamment pour vous empêcher tout mouvement, mais juste assez pour vous étouffer sans complètement vous asphyxier.
Et c’est donc sans surprise, et surtout sans aucun écho dans une presse nationale palpitante à l’idée de relater les primaires foirées de l’UMP, l’affaire Bettencourt et l’interdiction de la cigarette électronique dans les lieux publics, qu’on apprend l’introduction d’une nouvelle modification dans des lois déjà régulièrement manipulées. Et c’est le Code des Postes et Télécommunications (oui, on a un code pour ça en France – on a des codes pour tout, vraiment, c’est génial) qui reçoit son petit coup de bistouri esthétique, avec le Décret n°2013-417 du 21 mai 2013 dont un des articles se lit ainsi :
« Art. D. 1.-L’insertion de billets de banque, de pièces et de métaux précieux est interdite dans les envois postaux, y compris dans les envois à valeur déclarée, les envois recommandés et les envois faisant l’objet de formalités attestant leur dépôt et leur distribution. »
Ce que ceci veut dire, c’est que les vendeurs de pièces d’or et d’argent, qui opéraient par exemple sur eBay ou dans les petites annonces spécialisées, sur des forums internet ou ailleurs, ne peuvent plus vous envoyer par la poste les pièces d’or et d’argent que vous leur avez achetées. Très concrètement, cela interdit l’échange de métaux précieux au travers des transporteurs postaux sur le territoire français. Bien sûr, la mesure est accompagnée des nécessaires limitations de portée pour que les professionnels ne soient pas trop gênés, mais il faut bien comprendre que le but, ici, est clairement d’empêcher tout échange d’or et d’argent entre particuliers.
Pourquoi ? Là encore, on pourrait — pour rire — se reporter aux motivations officielles avancées pour justifier l’opération ; on y retrouverait le mix déjà établi tout à l’heure (lutter contre les méchants, protéger les gentils, assurer un bon transit intestinal du moutontribuable qui, s’il est stressé, donne une mauvaise laine et une viande trop nerveuse). Et on pourra aussi se dire, à bon droit, qu’il s’agit, encore une fois, d’une petite liberté qui disparaît, qu’une opportunité pour les individus de commercer librement, sans en passer par l’État, vient d’être interdite.
Et à ceux-là qui objecteront que l’État ne peut pas, décemment, interdire la possession d’or, et qu’il lui sera difficile d’interdire son commerce, je rappellerais quelques faits historiques qui remettent un peu en perspective leur optimisme indécrottable.
Ainsi, entre 1793 et 1795, pour imposer les assignats, l’État va interdire les paiements en monnaie métallique d’or et d’argent. Oh oh. Plus proche de notre époque, en 1936, au 1er octobre, le gouvernement de Front populaire de Léon Blum fait voter une loi exigeant que les particuliers détenteurs d’or se déclarent et donnent leur métal précieux, moyennant un rachat au prix du marché. Oui. En France, et pendant un gouvernement qu’on ne pourra pas qualifier d’extrême-droite. Les Français grogneront, tout de même, mais le gouvernement ne reculera qu’en mars 1937. Et en 1944 et 1945, le général De Gaulle fit passer plusieurs ordonnances qui permettaient à l’État de réquisitionner l’or et qui s’appliquèrent jusqu’en 1948.
Oui, en cas de pépin, l’État fera ce qu’il faut pour que le papier qu’il vous distribue soit tout ce que vous ayez le droit d’utiliser pour commercer, et s’arrogera sur ce dernier les droits d’en imprimer autant qu’il lui semblera bon (youpi : de l’inflation), dussiez-vous en périr.
Dès lors, chaque petite liberté qui se fait rogner, ici et maintenant, participe de cette avancée néfaste vers le bord du gouffre.
Et au fait, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, je vous rappelle l’article L151-2 :
Le Gouvernement peut, pour assurer la défense des intérêts nationaux et par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’économie :
1. Soumettre à déclaration, autorisation préalable ou contrôle :
a) Les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements de toute nature entre la France et l’étranger ;
b) La constitution, le changement de consistance et la liquidation des avoirs français à l’étranger ;
c) La constitution et la liquidation des investissements étrangers en France ;
d) L’importation et l’exportation de l’or ainsi que tous autres mouvements matériels de valeurs entre la France et l’étranger ;
Rappelez-vous qu’un État auquel nous avons tous, contribuables, citoyens, donné tant de pouvoir, et qui, de nos jours, nous donne tout ou à peu près, peut aussi tout nous reprendre, du jour au lendemain. Chaque jour, en France, le législateur, le gouvernement et l’exécutif posent une pierre supplémentaire de la prison qui servira à enfermer le peuple. Mais le pire, c’est que les pierres et le ciments sont fournis par le peuple lui-même.