Vous le quitterez à regret en vous promettant de ne pas louper le prochain opus. Vous pourrez toujours entretenir votre passion en visionnant une des captations de la COPAT puisque, depuis le 5 mars 2013, la Chambre froide est en effet disponible en DVD. la pièce avait reçu deux Molières en 2011, celui des Compagnies et celui du Meilleur auteur francophone vivant.
Son dernier spectacle, la réunification des deux Corées a été couronné au Palmarès du théâtre en recevant cette année le Prix du meilleur spectacle de théâtre public. Si je m'insurgeais sur la forme qu'a pris cet ersatz de Soirée Molière je ne critique pas un instant la récompense accordée à Joël Pommerat.
Après Pinocchio et Le Petit Chaperon rouge il a revu et corrigé le mythe de Cendrillon il y a deux ans. La pièce se rejoue actuellement à Paris, aux Ateliers Berthier.En matière de conte, tout est affaire d'interprétation. Ainsi, avec une première partie semblable, Perrault et Grimm nous donnait deux versions radicalement opposées du Petit chaperon rouge. Soit l'enfant meurt, soit elle recouvre la vie.
Joël Pommerat nous invite à considérer différemment le point de départ de l'histoire de Cendrillon, à savoir la mort de la mère. Pas de beaucoup, mais juste assez pour que la suite des évènements prenne une autre tournure. C'est comme s'il nous invitait à considérer les choses en les regardant à travers une loupe grossissant un détail, ce qui nous est littéralement donné à voir sur scène.
Je vais vous raconter une histoire d'il y a très longtemps... Tellement longtemps que je ne me rap- pelle plus si dans cette histoire c'est de moi qu'il s'agit ou bien de quelqu'un d'autre. J'ai eu une vie très longue. J'ai habité dans des pays tellement lointains qu'un jour j'ai même oublié la langue que ma mère m'avait apprise. Ma vie a été tellement longue et je suis devenue tellement âgée que mon corps est devenu aussi léger et transparent qu'une plume. Je peux encore parler mais uni- quement avec des gestes. Si vous avez assez d'imagination, je sais que vous pourrez m'entendre. Et peut-être même me comprendre. Alors je commence. Dans l'histoire que je vais raconter, les mots ont failli avoir des conséquences catastrophiques sur la vie d'une très jeune fille. Les mots sont très utiles, mais ils peuvent être aussi très dangereux.La voix du narrateur (Marcella Carrara) nous met dans l'ambiance avec une tonalité particulière, un phrasé légèrement en décalage, et un accent italien presque ensorcelant qui nous mettent en condition de comprendre qu'un grain de sable, ou disons un malentendu, sera à l'origine de biens des problèmes.La très jeune fille, autrement dit, Sandra, alias Cendrillon, (sensationnelle Deborah Rouach tout en énergie farouche et en naïve détermination) a tant d'imagination qu'elle s'invente la promesse, faite sur le lit de mort de sa mère, de penser à elle à chaque instant toute sa vie. Elle est persuadée que sa mère est quelque part, dans un ailleurs où elle se maintient en vie par cette pensée, et que si elle l'oublie trop longtemps ou trop souvent elle l'a fera mourir vraiment.
Joël Pommerat connait le poids du "souvenir de mémoire" dans notre inconscient. Il a imaginé que, chez un enfant, ce fantasme là est plus accentué encore et il a voulu bâtir une histoire qui mettrait en scène cela, loin de la vision romantique de Walt Disney.
Le metteur en scène a beaucoup d'intérêt pour les choses les plus difficiles à exprimer dans la vie de tous les jours. Il éprouve une fascination pour le conte, l'épure, les réflexions métaphysiques qui passent par une extrême simplicité. Avec lui les choses n'ont pas à être justifiées mais juste racontées, dans une forme qui relie innocence et profondeur des choses.
Je pourrais vous raconter l'histoire. Vous pourriez la lire tout seul (le texte est publié chez Actes Sud-Papiers). ce serait vous priver de la magie de la mise en scène. La langue de Pommerat est faite pour être entendue et vécue.
L'espace est un huis clos cerné par les images projetées par Renaud Rubiano comme un papier peint évolutif sur les trois cotés de la scène, plaçant le spectateur en pleine illusion. Fantasmes et réalités s'entrechoquent jusqu'au dénouement final, lui aussi décalé.Entre-temps la très jeune fille aura traversé les épreuves qu'elle-même s'est infligée, avec un masochisme obstiné qui en devient presque comique. Elle aura reçu l'aide maladroite d'une fée. Aveuglé en ce qui la concerne elle sera par contre clairvoyante sur la situation d'un autre orphelin, ce qui lui rendra possible la compréhension de ses propres erreurs.Chaque détail compte. tout est indice, y compris la distribution des rôles. Il n'est pas certain que l'on comprenne la même chose à 8 ans et à 88 mais ce qui est sûr c'est que cette Cendrillon parlera à chacun.
A voir jusqu'au 29 juin aux Ateliers Berthier, 1 Rue André Suares, 75017 Paris, (à l'angle du 14 boulevard Berthier) les mercredis et dimanches à 15 heures, les mardis, jeudis, vendredis et samedis à 20 heuresA lire Cendrillon de Joël Pommerat, Actes Sud-Papiers, coll. Heyoka Jeunesse, 2012.Site du théâtre http://www.theatre-odeon.eu/fr, 01 44 85 40 00