La levée de l’embargo sur les armes destinées à la Syrie annoncée par l’Union Européenne illustre l’extraordinaire désarroi des pays qui la composent face au conflit dans ce pays si proche. Cette décision met fin à une longue période d’hypocrisie, et ne change rien à la situation sur le terrain.
Les protagonistes du conflit reçoivent régulièrement du matériel militaire, sans que les mesures européennes censées les en empêcher ne soient respectées. Le régime de Bachar al Assad ne cache pas les livraisons très politiques que la Russie effectue aussi bien dans le domaine de la défense anti-aérienne que dans celle de l’aviaton de combat. Ni le soutien en hommes et en matériels qui lui arrive de Téhéran. Les rebelles, aussi fragmentés qu’ils soient, sont eux aussi régulièrement ravitaillés par des avions gros porteurs qui atterrissent en Turquie ou en Jordanie. Leurs cargaisons comportent des systèmes d’armes venant notamment de Croatie, où l’armée de la Fédération croato-bosniaque, qui n’a véritablement existé que sur le papier, avait été dôtée par les Etats-Unis d’un arsenal conséquent. Récemment, plusieurs de ses entrepôts, contenant des roquettes de 108mm et leur systèmes de lanceurs, ont été vidés. Le matériel a d’abord été transporté en Jordanie puis en Syrie. Toutefois une partie de ce stock a disparu, et se trouverait aujourd’hui en Azerbaidjan. Une nouvelle qui inquète des services spécialisés qui ont ouvert une enquête discrète. De même, des armes libyennes, aux mains des différentes milices locales, ont été livrées de façon régulière à des groupes rebelles syriens. Le stock est plus hétéroclite, comme l’a révélé un rapport d’experts de l’Onu en mars 2013, et les destinataires sont multiples avec, dans la liste, des groupes militants en Egypte et à Gaza. Ce qui bien sûr ne fait pas l’affaire d’Israël, qui par précaution achève la construction dans le Néguev d’un vaste complexe militaire, au sud-est de la ville de Beer Sheva. Une partie du stock libyen se retrouve également en Syrie, devenue rapidement le principal récipiendaire des systèmes d’armes, dont certains sont russes et français.
L’Europe, avec en tête la France et la Grande-Bretagne –qui sont depuis le début les voix les plus exhaltées sur le devenir syrien–, est bien en peine pour mettre de l’ordre dans ce va et vient permanent. Le continent à même des difficutés à contrôler ce qui arrive sur son propre territoire, via l’Albanie et l’Italie. Mais ce qui inquiète véritablement les militaires au Moyen-Orient, serait l’arrivée sur le terrain de systèmes anti-aériens portables du type des Stinger qui, au temps de la rébellion des moudjahidines contre les Soviétiques en Afghanistan, avaient été achetés par les Saoudiens aux Américains, puis fournis en 1986 gratuitement aux combattants. Entre 500 et 2000 Stingers avaient été ainsi introduits en Afghanistan avec l’aide du Pakistan. Par la suite, les Etats-Unis avaient envoyé des émissaires secrets pour racheter aux combattants islamiques ces matérels trés sophistiqués à 200.000 dollars pièce, et avaient pu en récupérer 300.
Israël, seul maître du ciel dans la région, ne souhaite pas voir apparaître entre les mains d’une rébellion contre laquelle elle a peu de moyens de rétorsion des armes qui pourraient menacer ses propres avions. Même si les Israéliens se plaignent de Damas, ils savent à quelle porte frapper lorsqu’ils considèrent que l’état syrien ou son allié libanais le Hezbollah cherchent à introduire dans la balance militaire régionale ce que les Américains appellent des « game changers », des armes qui changent la donne. Ce qui n’est pas le cas avec la rébellion, trop dispersée pour être identifiée et localisée avec certitude, et c’est la raison pour laquelle Israël a mis son veto à la livraison de missiles sol-air sophistiqués.
Enfin, la fourniture d’armes aux rebelles n’a jamais manqué de fonds, puisque les dépenses dans ce domaine du seul Qatar ont été de trois milliards de dollars, selon le Financial Times. Celles de l’Arabie Saoudite sont moins connues, mais elles doivent être du même calibre puisque les deux voisins du Golfe se disputent le titre de champion de la rébellion anti Assad. Le transport non plus n’a pas fait défaut: des avions cargos se sont posés par dizaines sur l’aéroport turc d’Esenboga, à côté d’Ankara. Dans une récente enquête, le New York Times faisait état d’au moins 160 vols depuis la fin de l’année 2012, avec une accélération aprés l’élection présidentielle de novembre aux Etats-Unis. Ces vols proviennent essentiellement des pays du Golfe, connus pour être les bailleurs de fonds de la rébellion syrienne, et de la Jordanie. Selon l’International Peace Research Institute de Stockholm, le volume des seuls transferts identifiés atteindrait 3.500 tonnes de matériels.
Les premiers à ouvrir ce que les spécialistes dans la région considèrent aujourd’hui comme un « pont aérien », ont été les Qataris avec deux C-130 pleins d’armes qui ont atterrit à Istanbul en janvier 2012. En avril 2012, des rotations de C-17 ont commencé entre la base de Al Oudeid au Qatar, le centre nerveux de l’activité logistique des Etats-Unis dans la région, et l’aéroport de Esenboga. Les vols ses sont accélérés à la fin de l’année 2012, et s’y sont joints des rotations régulières d’avions de transport militaires saoudiens ou jordaniens.
Dans cette affaire, les Européens, notamment les Français et les Britanniques, n’ont pas joué de rôle. Leurs gesticulations diplomatiques apparaissent comme une tentative désespérée d’exister dans un conflit qui se développe à leurs portes, sur les rives de le Méditerranée, mais sur lequel ils manquent d’influence. Londres et Paris ont certes appelé de façon répétée au départ de Bachar el Assad, et assuré l’opposition de leur soutien, mais leur capacite de joindre le geste à la parole est résolument limitée. La levée de l’hypocrisie sur les armes est peut être un premier pas vers plus de lucidité. Reste à lever les ambiguïtés européennes sur les vértitables buts de la guerre en Syrie.