Suite de mes notes sur les différentes conférences des Utopiales :
L’objet technique dans la SF : entre enchantement et pédagogie
Avec Gérard Klein, Nancy Kress, Daniel Tron, Robert Charles Wilson et Estelle Blanquet
Estelle Blanquet lance le débat avec cette question : « Est-il nécessaire de mettre de la magie dans la technique ?« . Gérard Klein réagit immédiatement : « je n’aime pas l’accointance entre magie et technique. Mais dans la science-fiction, la plupart des objets technologiques répondent à un désir, un sentiment qui est aussi à la source de la magie« . Un paradoxe que Robert Charles Wilson trouve intéressant.
La discussion s’oriente rapidement vers la désaffection pour les sciences et la science-fiction. Pour Nancy Kress, « les élèves ne sont pas à l’aise avec certaines idées scientifiques, comme le génie génétique. Ils n’aiment pas lire sur ce thème. La SF n’a pas le même statut que le reste de la littérature. Ses lecteurs sont plus à l’aise avec l’exploration des possibilités de l’avenir« . Pour Daniel Tron, « les plus grands auteurs arrivent à faire le pont entre les « deux cultures » (scientifique et littéraire)« . Il donne l’exemple de Rudyard Kipling, « un grand talent littéraire qui permet au grand public de rentrer dans les mondes techniques« .
Gérard Klein intervient : « au XIXe siècle, les lecteurs s’émerveillaient de la technique et se demandaient, comment ça marche. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas« . A ce moment du débat, les jeunes sont encore pointés du doigt. Selon les intervenants, ils accepteraient la technologie sans se poser de question. Pour Nancy Kress, « la popularité de la SF a baissé aux USA au profit de la fantasy, mais elle est fautive de sa désaffection car elle insiste sur les aspects négatifs de la science/techno« . Gérard Klein : « dans la fantasy, la dimension d’effort pour acquérir une connaissance est remplacée par un don tombé du ciel« . R.C.Wilson : « beaucoup de gens n’aiment pas regarder à long terme et préfèrent être rassurés« . Ceci explique sans doute pourquoi un jeune qui aurait lu de la SF dans les années 1970 lit aujourd’hui des histoires de vampires. « Dans les pays industrialisés, ce rejet est lié à la mondialisation. Des classes sociales entières n’ont plus confiance dans l’avenir et se rabattent sur la littérature fantasy« .
Actuellement, selon Daniel Tron, »on est persuadés qu’on va mourir d’une crise environnementale, tout comme la crise nucléaire de la guerre froide. J’ai dans la poche un super-calculateur qui me permet de recevoir des images de Mars en direct. Et tout le monde s’en fout !« . Gérard Klein : « Plus de 60% des américains récusent l’idée que le réchauffement existe et qu’il soit d’origine humaine« . Nancy Kress : « c’est une chose de lire sur l’avenir, s’en est une autre d’agir pour son avenir« . Gérard Klein : « parallèlement au déclin de la SF, il y a un déclin de la vulgarisation scientifique. Le rayon science à la Fnac Montparnasse a été divisé par 4 en 15-20 ans tandis que l’astrologie et l’ésotérisme, prolifèrent. S’il y a un réenchantement du monde par les sciences mais il y a un prix à payer pour l’atteindre« .
De l’écriture au scénario
Avec Alain Damasio, Christophe Lambert, Serge Lehman, Pierre-Paul Renders et Antoine Mottier
Alain Damasio, auteur de La Horde du Contrevent, nous indique que son livre va être adapté au cinéma d’animation (Kounen à la réalisation et M. Caro à la direction artistique) et en jeu vidéo. Il évoque l’importance des cinq sens dans son travail et la difficulté de les rendre au cinéma. Dans son livre, il a joué sur le décalage entre présent et imparfait pour donner une dimension épique et historique. « Il faut s’interroger sur la manière de rendre la littérature au cinéma. La Horde du Contrevent est un livre polyphonique, c’est le lecteur qui assure le lien entre les personnages« . Pour le film d’animation, Damasio espérait uniquement des vues subjectives pour chaque personnage mais le réalisateur n’a pas voulu.
Christophe Lambert avoue être « un réalisateur raté. Quand j’écris, je tente de retranscrire les images de ciné qui me sont venus ds la tête« . Pierre-Paul Renders : »BD, littérature et cinéma n’ont finalement pas beaucoup de points communs dans la narration, le dialogue et le découpage. Le livre et la BD n’emprisonnent pas le lecteur dans leur temporalité comme le fait le film« . En BD, Damasio évoque la « puissance du caniveau » (= espace entre deux cases qui permet toutes les ellipses). Il indique qu’une autre différence réside dans les dialogues, qui deviennent parfois inutiles au ciné à cause de la communication non verbale.
P.P.Renders : « le scénario est un objet que les spectateurs ne verront pas mais qui doit être suffisamment abouti pour qu’on comprenne le film. Il doit séduire mais n’a pas besoin de fioritures. Les auteurs ne l’interprètent pas à la lettre« . Pour Alain Damasio, l’écriture d’un livre est beaucoup plus éprouvante et solitaire que celle d’un scénario. Renders & Lapierre ont produit une série de BD « concept » toutes sorties en même temps et sans ordre de lecture entre elles.
Alain Damasio déplore le fait que la scénarisation a influencé la littérature. Pour lui, la narration « McDo », c’est « chapitre 1 avec perso A + cliffangher puis chapitre 2 avec perso B… jusqu’au chapitre X avec A+B« . Selon lui, « les feuilletons existaient déjà dans les journaux mais le mode de réception d’un roman est différent, car il sous-entend qu’on considère le lecteur comme un adulte et pas qu’on le prenne par la main. C’est une mauvaise idée de confier le scénario à l’auteur du livre. Il faut trahir… intelligemment. Quelqu’un va prendre ce que vous avez fait et le métaboliser avec sa propre vision« .
De l’exploration des mondes marins aux océans du ciel
Avec Ayerdhal, Pierre Bordage, Jean-David Morvan, S.Nicaud, Olivier Paquet et Jean Rébillat
Pierre Bordage a tjrs été fasciné par l’Illiade et l’Odyssée, ses dieux et ses créatures extraordinaires : « depuis Homère, on a évolué et l’intérêt s’est reporté sur l’espace (inconnu, dangereux…)« . Selon Sophie Nicaud, auteur du livre Mission Tara Oceans – Journal d’une scientifique, les océans restent encore aujourd’hui un territoire inconnu. Pierre Bordage avoue être plus fasciné par l’espace que par l’océan pour ses livres, même s’il invente des êtres « marins ». Olivier Paquet : « l’espace, c’est se réapproprier le temps, comme lors des grands voyages en bateau, mais sans l’horizon« . Ayerdhal : « vis-à-vis de l’espace, nous somme comme les Homo erectus devant la mer : on y balance des trucs. L’espace implique un confinement dans une boîte qui n’attend qu’une chose : qu’on fasse une erreur pour se foutre en l’air« . S.Nicaud : « Pendant le voyage de Tara, la moitié de l’équipage était constitué par des marins et l’autre par des scientifiques. C’était comme le voyage d’une navette spatiale avec des scientifiques multi-tâches à bord« .
Jean-David Morvan : « on invente toujours des extra-terrestres qui nous ressemblent un peu. Finalement dans les océans les espèces sont plus « extra-terrestres que dans nos livres« . Olivier Paquet cite Solaris qui fait se rejoindre les deux mondes, espace et océan. Selon Ayerdhal, le roman Question de poids de Hal Clément est le seul qui présente un vrai « Alien » sans aucun rapport avec nous. Ayerdhal : « ce qui est intéressant dans l’espace et l’océan, ce sont les îles & les continents« . Jean-David Morvan : « les navigateurs partaient dans l’inconnu ; les astronautes partent dans un monde déjà cartographié en partie« .
Pierre Bordage félicite le groupe Magma qui a inventé la langue « Kobaïen« , utile pour parler de choses radicalement différentes. »Pour les Inuits, le langage crée la forme. Si on prononce mal, la forme est tordue« . Olivier Paquet : « l’humanité peut profiter de l’espace pour se réinventer. L’humain de l’espace est aussi un alien« . Pierre Bordage : « Le space opéra transcende le genre SF car il reprend des grands modes narratifs historiques«