Max | Gaston Miron

Publié le 31 mai 2013 par Aragon

Je me rappellerai toujours de la tronche de Pivot dans cet "Apostrophes" qui accueillait Miron. Sidéré le Bernard, touché coulé par "l'Homme Rapaillé", poésie brut de décoffrage qui lui/nous coulait dessus comme chutes Niagara Iguaçu Victoria réunies. Il n'en revenait pas. Quel moment magique d'Apostrophes !

Je découvrais Gaston Miron. Le plus grand poète contemporain d'expression française.

Avant-hier, je parlais de ma sainte mère et je me rends compte dans cet instant que j'ai été "victime" d'une mironerie sans le savoir, sans le vouloir. Même "ton" inconscient si je veux parler de ma mère. Bien sûr, je ne compare pas mes mots à ceux de Gaston, mais c'est du ton que je parle et le ton appartient à tous. Le ton, tout le monde peut le faire sourdre. Qu'on soit un immense poète ou un simple péquin de derrière ou de devant les fagots... Si les mots sont des fleurs, le ton est bien le vase.

Merci Gaston, où que tu sois, je t'aime si fort, je pense à toi. J'aime si fort tes mots qui bâtissent en brûlant, qui brûlent en bâtissant...

SÉQUENCES
Parmi les hommes dépareillés de ces temps
je marche à grands coups de tête à fusée chercheuse
avec de pleins moulins de bras sémaphore
du vide de tambour dans les jambes
et le corps emmanché d'un mal de démanche
reçois-moi orphelin bel amour de quelqu'un
monde miroir de l'inconnu qui m'habite
je traverse des jours de miettes de pain
la nuit couleur de vin dans les caves
je traverse le cercle de l'ennui perroquet
dans la ville il fait les yeux des chiens malades
La batèche ma mère c'est notre vie de vie de vie
batèche au cœur fier à tout rompre
batèche à la main inusable
batèche à la tête de braconnage dans nos montagnes
batèche de mon grand-père dans le noir analphabète
batèche de mon père rongé de veilles
batèche de moi dans mes yeux d'enfant
Les bulles du délire les couleurs débraillées
le mutisme des bêtes dans les nœuds du bois
du chiendent d'histoire depuis deux siècles 
et me voici
sortant des craques des fendes des soupiraux
ma face de suaire quitte ses traits inertes
je me dresse dans l'appel d'une mémoire osseuse
j'ai mal à la mémoire car je n'ai pas de mémoire
dans la pâleur de vivre et la moire des neiges
je radote à l'envers je chambranle dans les portes
je fais peur avec ma voix les moignons de ma voix
Damned Canuck de damned Canuck de pea soup
sainte bénite de sainte bénite de batèche
sainte bénite de vie maganée de batèche
belle grégousse de vieille réguine de batèche
Suis-je ici
ou ailleurs ou autrefois dans mon village
je marche sur des étendues de pays voilés
m'écrit Olivier Marchand
alors que moi d'une brunante à l'autre
je farouche de bord en bord
je barouette et fardoche et barouche
je vais plus loin que loin que mon haleine
soudain j'apparais dans une rue au nom d'apôtre
je ne veux pas me laisser enfermer
dans les gagnages du poème, piégé fou raide
mais que le poème soit le chemin des hommes
et du peu qu'il nous reste d'être fiers
laissez-moi donner la main à l'homme de peine
et amironner
Les lointains soleils carillonneurs du Haut-Abitibi
s'éloignent emmêles d'érosions
avec un ciel de ouananiche et de fin d'automne
ô loups des forêts de Grand-Remous
votre ronde pareille à ma folie
parmi les tendres bouleaux que la lune dénonce
dans la nuit semée de montagnes en éclats
de sol tracté d'éloignement
j'erre sous la pluie soudaine et qui voyage
la vie tiraillée qui grince dans les girouettes
homme croa-croa
toujours à renaître de ses clameurs découragées
sur cette maigre terre qui s'espace
les familles se désâment
et dans la douleur de nos dépossessions
temps bêcheur temps tellurique
j'en appelle aux arquebuses de l'aube
de toute ma force en bois debout
Cré bataclan des misères batèche
cré maudit raque de destine batèche
raque des amanchures des parlures et des sacrures
moi le raqué de partout batèche
nous les raqués de l'histoire batèche
Vous pouvez me bâillonner, m'enfermer
je crache sur votre argent en chien de fusil
sur vos polices et vos lois d'exception
je vous réponds non 
je vous réponds, je recommence
je vous garroche mes volées de copeaux de haine
de désirs homicides
je vous magane, je vous use, je vous rends fous
je vous fais honte
vous ne m'aurez pas vous devrez m'abattre
avec ma tête de tocson, de nœud de bois, de souche
ma tête de semailles nouvelles
j'ai endurance, j'ai couenne et peau de babiche
mon grand sexe claque
je me désinvestis de vous, je vous échappe
les sommeils bougent, ma poitrine résonne
j'ai retrouvé l'avenir