Nous avons cette tendance à oublier qu’avant le président Mitterrand, être étranger en France n’était pas facile, cela ne l’a jamais été pour les populations européennes qui croyaient trouver sur « la terre des libertés », un accueil sincère, car la France rayonne à l’étranger comme un soleil, cette France qui brille par cette philosophie issue des Lumières, sur la patrie constituée de frères de souffrance. Mais la réalité était bien différente et pour cette émigration, et pour les ressortissants des colonies auxquelles on avait appris « nos ancêtres les Gaulois ». Être étranger privait d’emblée des droits de la République, on était immédiatement suspect, victime idéale, parfait bouc émissaire, comme en Amérique un blanc avait plus de chance d’éviter la geôle qu’un noir, en France, c’était le Français qui avait toutes les chances de son côté, même s’il avait tort, l’étranger, restait un sale étranger, cela a duré longtemps, et continue sourdement, même si nos politiques prétendent le contraire.
Malgré cette haine et ce mépris, nombre de ces étrangers on fait de notre pays ce qu’il est aujourd’hui, des individus discrets, qui ont marqué de leur empreinte l’histoire de la France et dont on ne parlera jamais, je pourrais parler de mon père, réfugié politique Hongrois, aristocrate déchu par le Communisme, étudiant engagé dans une lutte pour la liberté d’expression à Budapest en 1956 et sans qui, la Tour Montparnasse n’existerait pas, c’est à lui que l’on fit appel pour le calcul de la chape de béton devant supporter le poids de la Tour, il était ingénieur conseil et il résolut les problèmes techniques que les Français ne trouvaient pas. Qui parle de lui, de ses calculs, personne, c’était son travail, il n’avait pas de vanité pour réclamer sa part de succès, au contraire, c’était une honte pour les ingénieurs français qui préféraient ne pas révéler la vérité, c’était comme ça en France, seuls les français étaient capables, en tous les cas plus que les étrangers.
Ici, on l’appelait « le Hongrois », lui le polytechnicien, en Allemagne, on lui donnait du « Her Doktor », car les ingénieurs hongrois étaient réputés et reconnus pour leurs compétences, mais cet exemple est ridicule par rapport à des évènements historiques bien plus graves ayant impliqué des étrangers s’illustrant pour la France au cours du 20e siècle. Il y a eu, dans ce pays, une telle politique de mépris pour les étrangers que cela en est devenu insupportable, cette France qui chaque année est condamnée au Tribunal des Droits de l’Homme pour ses abus réguliers, incompréhensible pour une terre des libertés et des droits de l’homme, quelle farce.
A cause de cette attitude on doit comprendre pourquoi les enfants du Maghreb ont tant de haine contre les Français, car à force de donner des coups de pieds à un chien, celui-ci fini par mordre, et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui, nous récoltons les fruits du comportement des français depuis plusieurs générations de racisme.
En dehors de cette haine entretenue par les autorités politiques, des étrangers ont fait de notre culture un faire valoir international, dans la chanson par exemple, Claude François, Dalida, Henri Salvador, Sylvie Vartan, Eric Charden, George Moustaki… tous des étrangers, dans tous les domaines de la création, dans la littérature, Romain Gary était Russe, Albert Cohen, juif grec… Ce sont les étrangers qui ont fait de notre culture ce qu’elle est, et je ne parle pas du sport, dans lequel 80 à 90% des athlètes toutes disciplines confondues sont des étrangers, on comprend mal le racisme en France, qui fait de ses sportifs des héros et qui méprise les autres. Tous venant d’ailleurs, tous français dans l’âme.
George Moustaki, que je n’appréciais pas et que j’ai redécouvert à la maturité, un poète exceptionnel, un ardent défenseur de la langue française, s’exprimant mieux que personne, écrivant mieux que personne, lui, le « métèque », « le juif errant, le pâtre grec », né en Egypte, lui, que la langue française passionnait et qui ne méprisait personne, il savait trop ce que c’était que d’être étranger, car il faut avoir été étranger pour comprendre la douleur de l’autre, il faudrait être juif pour comprendre la douleur du Capitaine Dreyfus, il faudrait un autre qu’un français qui juge pour comprendre la souffrance universelle. Tout le monde peut la constater, mais ceux qui l’ont côtoyée, sont les mieux placés pour en parler avec objectivité.
J’ai connu le racisme, je l’ai rencontré, je l’ai vécu, mon frère et moi étions des « sales tsiganes » toute notre enfance, pourquoi sales ? Des « bougnouls blancs », mes amis italiens étaient des « macaronis », les polonais, des « polacs », les espagnols, les portugais… enfin, tout le monde était affublé de qualificatifs délicats pour bien montrer combien nous étions d’ailleurs, combien nous n’appartenions pas à la France, et pourtant, mon Grand-Père Hongrois était un héro de la guerre 39_45 dans la 2e DB avec le Général Leclerc, bardé de médailles, que je gardais précieusement dans une petite boite en loupe de bois, au moins j’étais certain d’une chose, il n’était pas collabo comme nombre des grands-parents de mes petits camarades alsaciens qui nous faisaient comprendre que nous n’étions que tolérés en France, merci les gars. Mon frère pour calmer leurs insultes quotidiennes, leur disait :
- Moi je sais où il était mon grand-père pendant la guerre et le votre, il faisait quoi ?
Cette simple question avait le don d’en calmer certains, impliquant certainement un secret inavouable et sordide, combien de ceux-là avaient dénoncé un voisin, une famille pour leur voler leur ferme, leur maison, leurs appartement à Strasbourg, oui combien se sont enrichis sur les biens des juifs, combien ont dénoncé des communistes, libres penseurs, leur voisin pour leur voler leur femme, combien de salopards bien français ont fait ce travail ? Et leurs petits enfants qui renouaient avec la tradition en nous stigmatisant, oui, elle est belle cette France, mais ce n’est pas celle que j’aime.
Alors, je dois avouer que dès que j’entends certaines ethnies se plaindre et tout ramener au racisme, je tiens tout de même à signaler qu’elles n’ont pas le monopole du racisme, de la souffrance et qu’il n’est pas nécessaire d’être basané pour être rejeté, et nous les « blancs étrangers» nous sommes rejetés par les deux camps.
La France a eu une grande capacité d’accueil, mais elle a aussi eu cette même capacité à nous le faire sentir, encore aujourd’hui lorsque je dis mon nom, on me demande si c’est français, pourtant ma grand-mère maternelle s’appelait Tadanier, un nom bien français pour une hongroise originaire de Pologne, alors qui est français, je me le demande ?
On est français de naissance, par la langue que l’on pratique et par les valeurs républicaines que l’on exporte à l’étranger lorsque nous nous éloignons de notre pays, mais comment représenter ce pays qui nous méprise justement pour notre différence et notre origine ? Seuls, ceux qui l’ont vécu peuvent comprendre ce que j’écris, c’est quelque chose de sourd, d’établi.
Je comprends l’attitude de rejet de certains, mais je ne l’accepte pas, nous devons être plus forts que ces racistes des deux bords pour montrer l’exemple aux immatures.
Nous vivons une époque formidiable…