Il a quinze ans pendant L'été 76, dans la phase exploratoire et boulimique.
L’âge aussi où on cherche à se singulariser, ce qui consiste souvent à tenter
d’imiter celles et ceux que l’on se choisit comme modèles. Hélène sera son
guide intellectuel, son amie de cœur et surtout de tête, sans désir physique
tant l’esprit accapare l’énergie de l’adolescent. Il a grandi dans une famille
catholique de gauche, elle est plus radicale dans son approche d’une idéologie
révolutionnaire. Elle a deux ans de plus que lui et un air sérieux qui
impressionne. Il est parfois dépassé par ses propres lectures, affichées pour
impressionner…
En 1975, quand commence le roman, puis en 1976 où il se
prolonge et se développe, était-il plus facile qu’aujourd’hui de
s’enthousiasmer pour les avant-gardes littéraires et musicales, comme le fait
le narrateur ? Benoît Duteurtre, qui parle à l’évidence de son expérience
pendant ces années de formation, hésite à l’affirmer. Même quand, dans un « interlude perplexe », il
observe la nouvelle génération des adolescents, il pèse les ressemblances et
les différences : une même « éclosion
soudaine de l’identité »,
mais une « image glorifiée par la
publicité et le cinéma ». Qui commençait d’ailleurs à se forger à
l’époque de sa jeunesse, et à laquelle il n’échappait donc pas.
Pour entrer dans l’image adéquate, il fallait cependant, à
moins d’être socialement privilégié, des efforts plus marqués qu’au 21e
siècle. Ecouter les groupes rock de son époque, quand on ne disposait pas de
l’installation requise, était déjà une sorte de combat. Et bricoler un vieux
pick-up pour en faire sortir à plein volume le son d’Alice Cooper ou de Deep
Purple, une forme d’engagement.
Benoît Duteurtre offre avec générosité et distance ses
souvenirs de ces années-là. La générosité consiste à faire partager un
insatiable appétit de suivre des voies nouvelles, de tout connaître, jusqu’à
épuiser les ressources de la bibliothèque municipale pour acquérir une
connaissance encyclopédique des courants qu’il découvre. Mais il se place à
distance du jeune homme qu’il était alors, faisant la part de la pose dans la
frénésie, reconnaissant qu’il faisait mine de s’emballer, notamment dans la
musique contemporaine, pour des créateurs qui, en réalité, l’ennuyaient. Cela
donnera, en 1995, son essai Requiem pour
une avant-garde, où il livrera le fond de sa pensée sur le sujet.
Si la musique et Hélène qui, comme lui, joue du piano, occupent une part
importante de son temps, il est déjà
attiré par la littérature. Là aussi, entre pose et élan individuel, il passe
par l’imitation de ses maîtres provisoires pour produire ses premiers textes et
même un livre, ou plutôt des pages assemblées qui ressemblent à un livre. Il le
fait lire à Armand Salacrou, le plus institutionnel des écrivains du Havre – il
préside l’académie Goncourt. Il est encouragé. Il continuera, progressivement
détaché de ses influences multiples, pour trouver une voix qu’on a plaisir à
écouter.