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Une jeune étudiante, juriste et géo politologue, m'envoie ce texte sur l'Arctique, que je publie avec plaisir. En effet, si la région à souvent été évoquée ces derniers temps (je pense notamment aux excellents travaux de J. Garcin), on s'est moins souvent intéressé à l'intérêt que la France pouvait et devait porter à cet océan. de mémoire, le dernier LB l'évoque en passant, mais plus comme élément de contexte que comme véritable sujet d'intérêt. Bref, il est temps de réfléchir, et merci à À-L Bannay de nous en donner l'occasion.
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LES ENJEUX FRANÇAIS EN ARCTIQUE
L’Arctique est au cœur de toutes les préoccupations mondiales actuelles. En effet, cette partie du globe concentre les enjeux, les défis mais également toutes les questions d’un avenir très proche, tant sur le plan politique et diplomatique, militaire et stratégique, énergétique, ou encore climatique et environnemental. La banquise et un climat particulièrement difficile ont longtemps constitué un rempart efficace, contribuant, avec l’éloignement, à la préservation de la zone arctique. Cependant, la fonte de la glace conjuguée à d’importants progrès technologiques crée une sorte de banalisation de l’Arctique, atténuant ses spécificités et ravivant la convoitise des Etats pour cette région.
Au lendemain de la Guerre froide et après avoir été au cœur de l’affrontement idéologique des deux blocs, l’intérêt pour l’Arctique a fortement diminué. Mais aujourd’hui, le Grand Nord connaît un nouvel environnement stratégique. La France a, en quelque sorte, pris la mesure de cette évolution géopolitique. Situation paradoxale pour la France en Arctique ; en effet, la France est géographiquement absente de cette zone- son territoire le plus septentrional, à savoir Saint Pierre et Miquelon, se situe dans l’Océan Atlantique et non pas Arctique-, et malgré cette absence, la France a des intérêts nationaux indirects à défendre et à faire valoir. La France ne défend aucune stratégie nationale particulière en Arctique, mais elle ne peut s’en désintéresser, car, de façon générale, de la stabilité de cette région dépend sa propre sécurité puisque, selon le Livre Blanc de 2008, « la distinction entre sécurité intérieure et sécurité extérieure n’est plus pertinente. La sécurité doit prendre en compte tous le phénomènes, risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation ». La France a des intérêts et des enjeux en Arctique, et de dans plusieurs domaines.
L’Arctique, en dépit des revendications d’attribution émanant des Etats riverains, est d’abord un océan, c’est-à-dire un espace ouvert à la navigation internationale; la France doit donc, au même titre que les autres Etats de la communauté internationale, s’assurer une libre circulation dans les nouvelles voies de navigation ouvertes. L’avenir du Passage du Nord-Ouest et surtout du Passage du Nord-Est, la fonte de la glace y étant plus rapide, s’annonce extrêmement prometteur.
Au niveau politique et diplomatique, la France a un rôle actif à jouer dans le Grand Nord en vertu de la place qu’elle occupe au sein des trois instances de coopération relatives à l’Arctique, que sont le Conseil de l’Arctique (CA), le Conseil Euro-Arctique de la mer de Barents (CEAB) et le Conseil des Etats de la mer Baltique (CEB). Cette qualité d’observateur est politiquement très importante car elle confère à la France une présence majeure sinon une réelle participation dans la coopération interrégionale et une place dans les discussions échangées et les informations recueillies. Par ailleurs, l’implication de la France dans les questions arctiques et sa neutralité, puisqu’elle n’y défend aucune stratégie nationale directe, en font un intermédiaire de choix dans les discussions relatives aux conflits de souveraineté des Etats riverains. La France a nommé, en 2009, un Ambassadeur spécialement chargé des questions polaires, preuve s’il en ait de l’importance qu’elle accorde à cette zone et à ses enjeux.
Dans le domaine militaire et stratégique, l’Arctique est une zone particulièrement importante pour la France. Dans le cas extrême d’un conflit potentiel, l’Arctique ne constituerait pas une zone d’affrontement direct pour la France, mais dans le cas d’une crise arctique, celle-ci se verrait impliquée et ce au moins pour trois raisons : « Son appartenance à une organisation militaire(OTAN), politique (UE), et par son statut de puissance nucléaire », selon la phrase de Monsieur Jean-Marie COLLIN. Pour faire face à cette éventualité, la France est « prête pour faire face à une crise au Grand Nord » selon la réponse de l’ancien ministre de la défense Monsieur Hervé Morin à une question parlementaire du 10 mars 2009 (Question n° 43770). Elle a les moyens militaires, tant au niveau naval, aérien que terrestre, de se déployer dans l’Arctique. Plusieurs exemples témoignent concrètement de la capacité militaire française dans le domaine polaire ; ainsi, au niveau terrestre, l’expédition conjointe du Groupe Militaire de Haute Montagne (GMHM) et du Groupement commando montage (GCM) de la 27e Brigade d’infanterie de montagne (27e BIM) au Groenland réalisée en avril 2012. Cette première avait pour but la familiarisation et l’expérimentation du milieu arctique et de ses contraintes. Dans le domaine naval, le test que subissent tous les navires de combat de la Marine nationale quant à leur fonctionnement et leurs performances tant dans les régions chaudes que dans les régions froides est significatif. Ainsi, la nouvelle frégate de défense aérienne « Chevalier Paul » a effectué, du 30 mars au 03 avril 2010, lors de sa « traversée de longue durée », des essais en eaux froides dans les mers de Norvège et de Barents, croisant jusqu’au large de Severomorsk en Russie. Et l’on pourrait multiplier les exemples…
La zone arctique est également essentielle dans la mise en œuvre de la politique de dissuasion nucléaire française « tous azimuts ». En effet, l’Arctique permet de faire peser une menace de représailles nucléaires réelle et permanente sur toutes les villes de l’hémisphère nord. Mais mener des patrouilles sous la glace est un mélange de savoir-faire et de technicité auquel peu de pays peuvent prétendre. Tout ce qui touche à la dissuasion étant couvert par un niveau de confidentialité élevé, il est difficile d’affirmer catégoriquement que la France fait partie de ce petit nombre d’Etats. Mais il semble raisonnable de penser que la France, qui possède des sous-marins nucléaires depuis longtemps, est capable de mener de telles patrouilles puisque, selon le principe de la liberté des mers, aucune zone ne doit a priori lui être interdite ; la crédibilité de la posture de dissuasion française exige par ailleurs qu’aucune limite technique ne constitue un motif d’exclusion ou de non-intervention.
Dans le domaine industriel et énergétique, il s’agit pour la France de s’assurer un approvisionnement sûr et régulier puisque l’Arctique renfermerait environ 20% des ressources en hydrocarbures de la planète non encore découvertes. Il s’agit également, pour les industriels de français d’avoir part, au sein des consortiums, à l’exploitation des richesses énergétiques et minérales. En effet, dans la compétition internationale pour la participation à l’exploitation des ressources arctiques, les entreprises françaises peuvent mettre en avant une expérience et un savoir-faire peu communs, comme par exemple l’entreprise TOTAL, leader mondial dans le domaine de la transformation du gaz en Gaz Naturel Liquéfié (GNL), ou encore TECHNIP, pour les infrastructures.
Dans le domaine scientifique, les nombreux travaux français d’exploration et de recherche ont une valeur internationale depuis longtemps reconnue. La France a toujours manifesté un intérêt particulier pour la recherche dans les régions polaires comme le prouve la personnalité de Paul-Emile Victor, incarnant les expéditions polaires françaises, ou encore son statut de membre observateur au sein du CA, poste réservé aux pays ayant témoigné un intérêt scientifique majeur pour le continent arctique. Elle mène actuellement de nombreuses recherches scientifiques dans des domaines variés comme le réchauffement climatique, et notamment par l’intermédiaire de l’Institut Paul-Emile Victor.
L’intérêt de la France pour la région arctique est ancien et constant, puisqu’elle fait partie de ces Etats ayant, selon l’Amiral Besnault, une vocation arctique ; il s’est aujourd’hui adapté à l’évolution arctique. Face à la montée en puissance de l’importance de la région, la France, forte de son expérience et de son implication dans toutes les questions arctiques, a pleinement conscience des enjeux du Grand Nord, comme en témoigne la mission de reconnaissance confiée à la Marine nationale effectuée par le Tenace, qui débutera le 11 mai prochain. La France est une nation qui, malgré son absence géographique, s’est donnée les moyens d’une présence et d’une action effective en Arctique.
Anne-Laure Bannay
Ref. Voir aussi, de 2010, ce billet d'infoguerre