Cinéma: "Aus dem Leben der Marionetten" de Ingmar Bergman

Publié le 30 mai 2013 par Paulo Lobo
Il y a un temps pour tout dans la vie, je dirais... Tenez, il y a vingt ans, le cinéma d'Ingmar Bergman me laissait froid, m'ennuyait. Et voilà que je me prends à l'aimer! Enfin, je dis ça, et je me réfère à un film en particulier que je viens de découvrir et que j'ai trouvé prodigieux : "Aus dem Leben der Marionetten", sorti en 1980. Un bijou noir, étincelant au niveau de la mise en scène, de l'histoire et de l'interprétation. Oh, ce film n'est pas vraiment fait pour vous retaper le moral, son étouffante intensité est plutôt de nature à réconforter votre spleen. Mais c'est une oeuvre dense et magnifique qui mixe avec virtuosité tous les outils propres au cinéma : les lumières (signées du grand chef opérateur Sven Nykvist), la façon de cadrer et le découpage des plans, l'inscription dans les lieux et espaces (toujours des huis-clos), la musique, parcimonieuse mais précise comme un scalpel. Et surtout les acteurs et actrices, tous parfaits et poignants. Même odieux, même hallucinés, même sordides, ils vibrent d'une poignante humanité.Pourtant, le regard sur les êtres humains, sur leur vie et sur leur place dans le monde, est glaçant et sans concession. "Il n'y a aucune issue", dit à plusieurs reprises Peter Egerman, le personnage central de l'intrigue. C'est par lui et autour de lui que surgit le drame. Peter est mal dans sa peau et dans son couple avec Kataryna. Dans un accès de rage, il finit par assassiner une prostituée qu'il vient à peine de rencontrer. Enfin, il ne finit pas, il commence, car c'est ce meurtre violent qui accueille le spectateur dans la première séquence du film. Une scène foudroyante, filmée au plus près des êtres, qui construit en cinq minutes un suspense tragique.Après cette ouverture terrifiante, le film va passer son temps à revenir en arrière et repartir en avant. Il s'agit de comprendre ce qui a pu conduire à un geste aussi ignoble, à cette "catastrophe", comme le qualifient à maintes reprises les cartons intercalés entre les scènes. Mais il s'agit aussi de décrire le malaise et la douleur des êtres, enfermés dans leur vie, leur couple, leur travail, leurs addictions, leur vieillissement. Des êtres qui portent des masques déterminés par leurs rôles dans la société, et qui ne savent pas qui tire vraiment les ficelles de leurs pulsions et envies.Le prologue et l'épilogue sont en couleurs, mais tout le corps du film est taillé dans un superbe noir et blanc, qui joue avec les clairs-obscurs de façon magistrale.Et il faut enfin dire la troublante beauté de tout ce qui se dit dans ce film. La profondeur de la réflexion sur l'existence. L'excellence du langage. Le sublime phrasé des comédiens. La poésie qui se dégage de leurs paroles, une poésie à la fois clinique et cruelle, et lyrique et criante d'amour.