France Culture : Faut-il avoir peur du loup ?
Jean-Marc Moriceau : " Oui c'est sain d'avoir peur du loup, mais une peur raisonnée, une peur relativisée. Le loup n'attaque pas l'homme adulte, n'attaque pas l'homme sain. Et d'ailleurs quand le loup attaque l'homme, c'est dans des circonstances très particulières, et c'est surtout sur des enfants en situation d'infériorité dans des contextes qui étaient ceux du passé, qui ne sont plus ceux d'aujourd'hui.
Je pense que le loup est l'animal qui le plus a divisé l'homme. Il l'a divisé pendant des millénaires : pour lutter contre lui, pour l'éradiquer. Mais pendant très longtemps, tout le monde s'accordait sur le fait que le loup était l'ennemi public numéro un et que la destruction des loups était un acte de salut public.
Cette première époque a duré 2.500 ans, au moins, et elle a correspondu à une époque de véritable cohabitation entre l'homme et l'animal, puisqu'il n'y avait pas des centaines de loups, mais des milliers de loups sur l'hexagone(*). Et partout! Pas uniquement sur douze départements, mais sur l'équivalent de 95 départements: de la pointe du Finistère jusqu'à L'Alsace, du Nord de la France jusqu'à l'Espagne. En dehors de la Corse, tout l'hexagone a connu le loup et à toutes les altitudes, y compris les plaines et les plateaux.
A ces époques là, la cohabitation était régulière avec l'homme. Les réalités de l'histoire européenne montrent que depuis plusieurs milliers d'années, les peuples de pasteurs et d'éleveurs se sont protégés de l'animal et les peuples d'agriculteurs aussi.
France Culture : Cette histoire du loup, elle est difficilement imaginable... On l'a un peu occulté aujourd'hui, quand on parle du loup ? C'est quelque chose qu'on essaie de passer un petit peu sous silence ?
Jean-Marc Moriceau : C'est à dire que le loup a été éradiqué de France, d'une manière brutale, terrible d'ailleurs, à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle. Dans les années trente, il n'y avait quasiment plus de loups en France! Si bien que notre culture à l'égard du loup qui correspondait à une relation régulière avec lui a beaucoup changé.
Le loup ayant disparu du territoire, les images de l'animal qui nous sont venues, venant surtout d'Amérique du Nord, du grand nord canadien en particulier, où l'homme n'était pas présent, il y avait peu de bétail, donnaient une image très positive de l'animal dans les années 1960 et 1970 qui a préparé cette réflexion à l'égard de la biodiversité pour laquelle le loup est devenue un peu l'espèce emblématique du sauvage. Si bien que n'ayant plus de contact avec le loup depuis 50 ans, voire 100 ans, n'ayant plus de souvenirs et de témoignages vivants, à l'égard d'attaques de loups sur le bétail par exemple, les français ont été de plus en plus favorable à l'animal !
Et quand le loup est revenu naturellement en 1992, 1993, cela a été un hourra de victoire de la part des naturalistes et de certains écologistes que de considérer que l'espace français, à nouveau, allait connaître le loup...
(*) 25.000 autour de la révolution française.
France Culture : Vivre avec le grand méchant loup. (dès 30:30)
Autre entretien Fabrice Nicolino / Jean-Marc Moriceau : "En 2007, Jean-Marc Moriceau a publié un livre chez Fayard dans lequel il annonçait que le loup avait attaqué des milliers de fois les humains, en France, entre le XVe et le XXe siècle. Cela a provoqué une commotion parce que tout le monde répétait en boucle que le loup n'avait jamais attaqué l'homme," explique le journaliste Fabrice Nicolino. Il explique ainsi le travail fourni par Jean-Marc Moriceau pour confirmer ces attaques.