« Ce n’est pas mon habitude, mais exceptionnellement, je vous parlerai d’ouvrages traitant du goût, des saveurs culinaires et de la façon de les associer grâce à l’article « Associons les saveurs », publié dans le dernier numéro du magazine Pause Santé. »
Photo ©Fotolia
• Le répertoire des saveurs
« Néophyte en cuisine, Niki Segnit, de nationalité anglaise, a longtemps cherché un livre qui l’aiderait à comprendre « comment une saveur s’accorde à une autre, quels sont leurs points communs et leurs différences ».
Elle décide de l’écrire tout en reconnaissant l’ambition un peu démesurée de sa démarche et sa nécessaire subjectivité. Son répertoire compile 99 saveurs et omet volontairement certains hydrates de carbone comme le riz et les pâtes ainsi que les assaisonnements de base comme le poivre, le sel ou le vinaigre.
Elle répartit ces saveurs en 16 catégories : torréfiée, carnée, fromagère, terreuse, moutardée, sulfurée, marine, saumurée et salée, verte et herbacée, épicée, boisée, fruitée fraîche, fruitée crémeuse, agrume, ronce et haie, fruitée florale.
Une méthode qui a ses limites car certains goûts, comme celui des graines de coriandre par exemple, sont difficilement classifiables dans une seule catégorie. À partir de cet inventaire, elle rassemble des « paires » pouvant fonctionner ensemble et commente les associations, des plus classiques aux plus insolites.
On peut ainsi trouver celles du chocolat et du lard, du bœuf et du café, du boudin noir et de la menthe ou des bananes et du caviar… Certains rapprochements peuvent surprendre mais l’auteur les justifie sans état d’âme ni a priori. L’intérêt de l’ouvrage est surtout de conter quelques anecdotes de l’histoire culinaire (américaine et sud-américaine) et d’encourager une certaine ouverture d’esprit.
En revanche, l’exercice a ses limites et pèche par le manque d’expérience de l’auteur. On regrette quelques classifications approximatives et hasardeuses comme celle du panais classé dans les notes épicées au lieu des notes terreuses ou celle du safran perdu dans les notes herbacées.
Le grand écueil étant le mélange sans rigueur scientifique des saveurs qui ne peuvent prendre sens que dans un contexte culturel donné. Manger du caviar avec des bananes aurait pu avoir de l’intérêt pour les jeunes enfants du tsar au début du siècle dernier (proximité et familiarité du caviar, exotisme de la banane) mais n’en a pas forcément pour nous ! »
- Le répertoire des saveurs, Niki Segnit, éditions Marabout
• Les marqueurs culinaires
« En publiant, en 1973, The Flavor Principle Cookbook, Elisabeth Rozin, l’épouse du célèbre sociologue américain Paul Rozin, a pour objectif de démontrer comment certaines ethnies, certains groupes sociaux, tissent au fil des plats l’identité culinaire et donc culturelle d’une région ou d’un pays. Pour preuve, en France, on utilise des herbes et des alliums, comme l’ail et le persil, l’échalote et le thym.
Comme l’avait judicieusement démontré l’historien Jean-Louis Flandrin, les types de graisses utilisées sont aussi des indicateurs géographiques d’une identité régionale stable dans le temps : l’huile d’olive pour le Midi, le beurre doux en Normandie, le beurre salé en Bretagne, tout comme certains modes de cuisson.
Dans les pays anglo-saxons, on associe la menthe à l’agneau, le gingembre au chocolat. Au Japon, on assaisonne les plats au wasabi ou à la sauce soja. Quant au basilic et à la noix de coco, on les retrouve dans la cuisine thaïe. La seule limite que l’on pourrait opposer à cette démonstration est l’internationalisation récente des pratiques culinaires. Cette fusion food tend à brouiller ces codes, en les mélangeant les uns aux autres.
Mais, même si le soja intervient aujourd’hui de plus en plus dans l’assaisonnement français, les principaux marqueurs culinaires restent bien actifs et ces emprunts sont identifiés comme des écarts dus à la modernité d’une interprétation.
Après Elisabeth Rozin d’autres auteurs anglo-saxons ont abordé le sujet sans procéder à une analyse culturelle. Michael Roberts affirme par exemple dans Secret Ingrédients que l’association de l’agneau avec des fromages à pâte persillée lui semble inévitable, alors qu’elle ne viendrait à l’esprit d’aucun cuisinier français.
Dernièrement, Karen Page et Andrew Dornenburg ont publié un ouvrage pour recenser « l’essentiel de la création culinaire basée sur le savoir des plus imaginatifs chefs américains ». Décidément l’imaginaire anglo-saxon semble très obsédé par le secret de la création culinaire. »
- The Flavor Principle Cookbook, Elisabeth Rozin, Hawthorn Publishers
• La cuisine note à note en douze questions souriantes
« Pionnier de la cuisine moléculaire en France, Hervé This propose dans son dernier ouvrage « une nouvelle approche du goût » ambitieuse : « la réalisation de mets à partir de composés purs, mélangés habilement. » Ainsi, il préconise de substituer aux champignons du 1-octène-3-ol pour donner le goût de l’humus, de remplacer le citron par du limonène ou l’odeur de noix ou de curry par le sotolon.
À quand le poulet au sotolon et la tarte au limonène en lieu et place du poulet au vin jaune et de la tarte au citron ? Le scientifique propose d’ajouter ces molécules pures sur notre étagère d’épicerie à côté du sel, du poivre, du gingembre et de la noix de muscade. La démarche peut sembler provocatrice au moment où nous éprouvons une certaine défiance envers les procédés de l’industrie agroalimentaire qui a l’habitude d’utiliser des rehausseurs de goût.
Sans compter les noms rébarbatifs des molécules utilisées qui, si elles sont coutumières aux chimistes, ne seront pas faciles à assimiler par nous, pauvres néophytes, qui préférons les valeurs d’authenticité et de locavorisme (privilégier l’achat de produit locaux). Mieux vaut laisser ces expériences à quelques initiés et aux grands chefs ! »
- La cuisine note à note, Hervé This, édition Belin
• Pour découvrir le magazine Pause Santé - www.pausesante.fr/
www.danslamaisondefrancoise.fr et danslamaisondefrancoise@orange.fr