[Itw éditeur] Iker Bilbao : des envies de Soleil !

Publié le 30 mai 2013 par Paoru

Retour des interview éditeur pour celle du mois de mai qui est l’occasion de fêter un anniversaire, celui des 10 ans de Soleil Manga. Le hasard fait que, depuis quelques semaines, je me suis remis au shôjo et josei, et c’est donc dans cette ligne que se situe cette entrevue avec Iker Bilbao, directeur éditorial de Soleil Manga depuis maintenant 7 ans.

Pour notre première rencontre nous avons logiquement fait un tour d’horizon du catalogue Soleil, les différentes collections et différents domaine du shôjo mais nous nous sommes aussi intéressés à la position sur le marché du manga de cet éditeur au sein du trio Delcourt (Soleil / Akata / Tonkam) et aux autres voies d’innovation que sont le jeu vidéo ou le manga érotique par exemple, avec leur collection Eros.

En route pour l’entrevue… Bonne lecture !

Soleil Manga : évolutions et problématique de marché

Bonjour Iker Bilbao,

Cette année Soleil Manga fête ses 10 ans. Qu’est-ce qui vous a marqué durant cette décennie ?

Soleil Manga je l’ai vu naître, en 2003, en tant que journaliste. À l’époque ça s’appelait encore Vegetal Manga et lorsqu’on les a vu arriver avec Battle Royale ou Dorohedoro, on a découvert une collection très atypique.

Il y a ensuite eu des changements et une volonté d’ouvrir le catalogue. Ce que je retiens des 7 dernières années depuis que je suis arrivé chez Soleil, c’est cette volonté permanente d’innover, un désir d’aller là où les autres ne sont pas.

Tout d’abord par nécessité de survie, parce que nous ne pouvions pas forcément lutter à armes égales avec les plus gros et aussi par volonté de trouver autre chose : lancer une collection jeux vidéo, trouver la clé pour publier Zelda alors que d’autres n’avaient pas réussi à le faire, rentrer progressivement chez d’autres éditeurs… Tout ce que je retiens c’est cette espèce d’aventure, guidée par le besoin et le désir d’innover en permanence.

Dans cette historique il y aussi le rachat par Delcourt. Comment Guy Delcourt vous a expliqué cette logique de rachat qui conserve tout de même l’identité de chacun et qu’est-ce que ça vous rapporte ?

C’est le rachat d’une maison d’édition dans son ensemble, avec un vrai historique, donc il n’y a pas forcément de raison d’y toucher. Après il nous a apporté une certaine liberté de travail et son expertise, avec ses années d’expériences sur la collection manga qu’il gère dans son propre catalogue.

Ensuite je discutais déjà beaucoup avec Pascal (Pascal Lafine, directeur éditorial de Tonkam, ndlr) et avec Akata dans le passé donc ce rapprochement n’a pas vraiment changé les choses de ce point de vue. La différence se situe sur un point très précis, lors de l’achat de licence : c’est un seul éditeur du groupe qui fera une offre. Nous réalisons une sorte de primaire entre nous.

Par exemple quand nous avons eu accès au catalogue Shueisha grâce à Guy Delcourt, je suis allé voir Tonkam et Akata pour leur dire ce qui m’intéressait et voir avec eux s’ils n’étaient pas déjà intéressés, pour ne pas empiéter sur leur plate-bande.

L’autre changement se fait également sur les salons…

Oui. À Japan Expo 2012 nous avions chacun notre stand avec une bonne définition de l’image de chacun. Sur le Salon du Livre par contre nous avions un seul stand commun (photo ci-dessous, NDLR), à Angoulême chacun avait le sien… C’est suivant les salons et les opportunités que ça se décide en fait, et que nous modulons l’image. Et cette année, nous ferons stand commun à la Japan Expo.

Sur ces dernières années, on établit un constat assez compliqué pour l’ensemble Delcourt qui perd des parts de marché. Mais, quand on regarde maison par maison, c’est-à-dire en distinguant Delcourt, Tonkam et Soleil, on voit que c’est vous qui résistez le mieux. Donc ça pose deux questions : à quoi vous attribuez cette hémorragie des ventes de l’ensemble Delcourt et qu’est-ce qui vous permet vous de limiter la casse par rapport aux autres ?

Tout d’abord cette érosion des ventes est assez générale, on la voit aussi chez d’autres éditeurs.

Après ce qui nous a permis de mieux nous en sortir c’est simple c’est un épiphénomène qui porte le nom de Zelda, qui a fait pas mal grimper nos ventes. Et maintenant qu’il s’estompe on repart à la baisse. Mais nous étions plus bas que les autres, cette baisse est forcément plus modérée, c’est plus facile à gérer pour nous.

Ensuite je ne peux pas parler pour les autres mais on a bien vu une baisse des ventes des shônens romantiques et des comédies romantiques en général, qui sont nombreuses chez Tonkam, donc ceci est une des explications.

Face à cette crise, il y a différentes stratégies : chez Glénat, Stéphane Ferrand parlait- entre autres – d’attendre que la crise passe en diminuant la voilure, quelle est votre stratégie chez Soleil Manga ?

Nous avons décidé de passer par l’innovation. Ce qui nous a beaucoup aidé ces dernières années ce sont ces lancements de collection comme celle des jeux vidéo ou plus récemment les collections Gothic et Classique, qui permettent d’aller puiser dans d’autres viviers de lecteurs et ainsi compenser des secteurs qui fonctionnement moins bien. La collection Eros se porte bien également.

On préfère donc innover et chercher d’autres lecteurs plutôt que de réduire la voilure ou de faire le dos rond. Mais c’est une stratégie qui a été choisi aussi par d’autres, comme on peut le voir avec des titres comme Beyblade et Pokémon qui vont chercher des lecteurs plus jeunes tandis que Les Vacances de Jésus & Bouddha ou Thermae Romae vont chercher des lecteurs plus âgés, et il y a encore des choses à faire de ce coté là.

Enfin, il faut voir que le manga chez Soleil représente 15 %, ce qui représente moins d’enjeux que chez Glénat où il est plus à 50%, donc je peux comprendre que les stratégies soient différentes.

Le catalogue Soleil Manga : du shôjo, encore du shôjo, toujours du shôjo ?

Quelles sont les leaders du catalogue, en termes de vente ?

Sur les publications récentes il y a Kiss of Rose Princess, qui est l’une de nos séries qui marchent le mieux. Le tome 1 a dépassé les 12.000 exemplaires et continue de progresser.

Ensuite c’est en grande partie notre catalogue shôjo qui fonctionne, autour des auteurs phares de notre catalogue comme Aya ODA avec Avoue que tu m’aimes qui s’est achevé récemment ou Lovey Dovey qui a été une belle vente. En cumulé, on a vendu plus de 100.000 exemplaires des œuvres de Aya ODA, d’où notre volonté de l’inviter cette année à Japan Expo. C’était nous a été une très belle vente (100.000 ex en cumulé sur 16 volumes) et on pourrait aussi citer Lovely Love Lie de Kotomi Aoki.

Dernièrement dans les bons démarrages, il y a eu Romantic Obession (8.000 ex du tome 1) fin 2010 ou Love is a Devil en janvier dernier (5.000 ex du tome 1 et toujours en progression).

C’est donc notre catalogue shôjo qui nous porte depuis quelques années.

Quel est votre bilan pour le premier trimestre 2013 ? 

Il est un peu moins bon que ce que j’avais espéré. Comme je te le disais nous avons eu une très bonne surprise sur Love is a Devil, à notre niveau bien sur, mais j’attendais un peu mieux d’un titre comme Baroque Knight, qui est un shôjo fantastique certes un peu atypique mais qui est très sympathique et très drôle. Au final, nous espérions une progression et nous stagnons.

Glissons maintenant sur votre catalogue. Votre rythme de parution a tourné autour d’une centaine de titres par an puis vous avez augmenté progressivement…

La centaine c’est plus l’époque de Mourad (Mourad Boujdellal, fondateur de Soleil, qui l’a revendu à Guy Delcourt en 2011, ndlr). L’an passé on est arrivé à 119 titres et nous prévoyons 135 pour cette année.

Pourquoi cette progression ?

Il a fallu replacer les séries que nous avions plus ou moins mises sous silence et nous avons fait quelques rééditions. Il y avait des choses que nous désirions recaler depuis quelques temps et ça s’est fait là. Comme nous fêtons cette année nos 10 ans, nous avons voulu proposer un spectre le plus large possible et faire ressortir des auteurs et des titres emblématiques comme Rozen Maiden par exemple, dans notre catalogue 2013.

Tout ça ensemble fait qu’on explose notre nombre de publication mais nous allons rebaisser l’an prochain.

On voit que le shôjo prédomine dans votre catalogue mais comment se répartissent les catégories phares shôjo / shônen / seinen ?

Pour ce qui est du shônen il a quasiment disparu en tant que tel, mais on peut le retrouver parfois dans notre collection gothic. Si on se base sur la classification japonaise, on se situe à 75 % de shôjo en nombre de titres dans notre catalogue. Après le reste c’est 5 % de seinen, 10 % classique et 10 % eros.

La part de shôjo importante du catalogue vient, d’après ce que tu as pu dire en interview, d’un constat d’échec sur le shônen. Hors si on regarde les chiffres de Gfk l’an passé on voit que le seinen grignote des parts de marché au shôjo  et lui passe même devant en volumes de ventes : 16.3% des mangas vendus en 2012 sont des seinens contre 15.1% de shôjos… Est-ce que ça pourrait vous inciter à faire bouger sur l’achat de vos futures licences ?

On va effectivement bouger sur nos lignes mais pas forcément pour ces raisons là. Il s’agit plus d’opportunités qui se sont présentées et l’envie – pour les 10 ans – de revenir à nos origines. Battle Royale est l’un des seinen qui s’est le plus vendu en France, aux alentours de 60 000 exemplaires de souvenir (sur le tome 1), donc pour nous il était important de revenir sur ce marché là.

Je ne te cache pas qu’en 2014 nous allons sans doute refaire 2,3 essais sur du shônen en tentant là encore d’innover, mais pour ce qui est du seinen c’est un secteur sur lequel nous voulons vraiment revenir, définitivement.

Mais comme je le disais, ça ne vient pas du recul du shôjo, qui est somme toute normal du fait de la disparition de gros titres, de locomotives. Mais, comme je te l’expliquais tout à l’heure, on ne constate pas cette baisse sur notre catalogue shôjo, au contraire, donc on n’a aucune raison de ralentir sur ce secteur. Il s’agit plus de vouloir reconquérir des parts de marché sur le seinen, un secteur dont on a été l’un des leaders.

Passons maintenant au shôjo. On peut constater une émergence et un succès croissant des shôjos gothiques d’un coté, des boys love de l’autre… Est-ce que le shôjo romantique a des soucis à se faire ?

Pour nous le shôjo romantique reste une part très importante de notre catalogue, la romance lycéenne demeure notre cœur de cible : le mois prochain nous publions Ne me repousse pas qui est une romance lycéenne, Dear ! également, Runway of lovers c’est un peu plus âgé mais ça reste de la romance aussi… Il en reste toujours beaucoup à publier et nous en avons acheté plusieurs pour les années à venir, donc il n’y aucun abandon de ce secteur.

En fait c’est surtout le shôjo fantastique qui souffre énormément chez nous. Je pense que les éditeurs veulent continuer d’insister et ont raison. Nous avons insisté avec Baroque Knights, nous continuons avec Scarlet Fan car il y a quand même des excellents titres qui sont faits dans ce domaine.

Enfin nous avons rencontré un beau succès avec les shôjos gothico-érotique du type Midnight Devil ou Beauty and the Devil  donc là aussi nous allons continuer. Pour la rentrée, nous annoncerons dans quelques mois un shôjo pour petite fille dans la veine de Kilari. On a sorti Coelacanth, un shôjo thriller assez atypique.

De toute façon en tant qu’éditeur shôjo nous avons vocation à élargir tout le spectre du shôjo avec un cœur de métier qui reste la romance lycéenne.

Avec tout cet ensemble de sous-genre pourquoi avoir fait du gothic une collection à part finalement ?

C’était une façon pour nous d’unifier les catalogues japonais, qui étaient ceux d’Ichijinsha et de Mag Garden, qui s’étaient déjà d’eux-mêmes différenciés des catalogues shôjos traditionnels des grosses maisons d’éditons, à l’image des magazines Avarus chez Mag Garden ou dans le Zero Sum d’Ichijinsha.

Il était difficile pour nous de regrouper ces titres là, comme Rozen Maiden ou Loveless, mais on y trouvait une forme d’unicité graphique et thématique donc nous nous sommes dits que nous pouvions les réunir ensemble.

Du coup cette collection gothic a un petit coté melting pot puisqu’on y retrouve du shôjo, du shônen et du seinen si on se base sur la classification japonaise, mais il me semble que graphiquement, on retrouve un forme d’unité.

Que choisir entre une collection thématique, comme la collection Gothic par exemple, et des collections par public cible, comme shôjos, shônen et seinen ?

Ces collections thématiques ne sont pas nouvelles, je me souviens par exemple d’Akata qui s’était lancé dans des collections du nom de Sakura, Jôhin, Take, etc…  Donc c’est quelque chose qui n’est pas nouveau. Nous avons créé la collection jeu vidéo pour impacter différemment des shônens traditionnels lorsqu’on a sorti Suikoden ou Warcraft.

Nous avons toujours travaillé comme ça même si, vis-à-vis des libraires, nous devons aussi cataloguer nos titres sous dans les catégories shônen, shôjo et seinen, pour la bonne raison que ça leur facilite la tache. Nos titres gothiques par exemple, ils ne savent pas trop où les mettre et ça peut se retrouver en shôjo, en shônen ou seinen…

Jeux vidéo, Sexe et Grands classiques : les voies de l’innovation

Puisqu’on parle de jeux vidéo…On parlait de Zelda qui se portent bien et on pourrait aussi citer Resident Evil chez Kurokawa mais comment se porte le reste ?

L’année dernière Warcraft en était à plus de 40 000 exemplaires vendus depuis ses débuts, Suikoden a fait près de 20 000.

C’est en fait un secteur qui marche très bien, mais où la concurrence est devenue monstrueuse. On voit bien que certains titres font parler d’eux comme Pokémon bien sur mais aussi Inazuma Eleven ou Resident Evil.

À l’époque où nous nous sommes lancés dedans nous avons eu la chance que ce genre connaisse quelques échecs en termes de vente, ce qui nous a laissé le champ libre pour nous positionner sur plein de titres. Après Ki-oon a licencié Breath of Fire qui a cartonné et la saga des Tales Of qui a elle aussi bien fonctionné.

Tout ça fait que les éditeurs se sont rendus compte qu’il y a un vrai marché potentiel et la concurrence fait monter les prix très haut. À l’époque on avait Suikoden 3 pour un prix très abordable mais dès Suikoden 5, que Kazé a acheté, le tarif était déjà trop élevé pour nous. Et pour Resident Evil c’est là aussi monté très haut. On pouvait encore obtenir des licences de jeux vidéos pour 3.000 exemplaires minimum, là, on part sur des 10.000 – 20.000 exemplaires.

Quelque part il n’y a que les bonnes idées qui sont copiés donc on est content de l’avoir eu mais ça devient maintenant difficile de persévérer sur ce marché là.

Dans une autre interview vous dites qu’en terme de production ces mangas c’est un peu l’enfer ! Vous pouvez nous expliquer ?

Ben là par exemple Joanna vit l’enfer sur le Zelda Hyrule Historia … C’est l’enfer dans le sens où il y a beaucoup d’ayants-droits. C’est le bébé de beaucoup de monde et personne ne veut se froisser avec personne. Donc ça engendre beaucoup de vérifications, des temps de validation supérieurs et ça peut finir par se jouer sur des virgules.

Alors pour qu’on se rende bien compte, sur Zelda, qui sont toutes ces personnes ?

Sur le manga de Zelda il y a tout d’abord les ayants-droits japonais de Shogakukan, où sont les dessinatrices. Et après, avant que Nintendo of America reprenne l’ensemble, il fallait le faire valider par Nintendo of Europe qui renvoyait ça à Nintendo France, qui étaient plusieurs producteurs qui dialoguent avec nos traducteurs pour s’assurer que le texte était bien fidèle au texte d’origine japonais même s’il n’était pas forcément fidèle au jeu… C’est donc quelque de très très lourd à gérer.

Mais heureusement le titre marche ! (Rires)

Autre collection, Eros. Comment se porte-t-elle chez vous ?

Ca marche toujours bien. C’est posé assez faiblement en magasin mais ça part assez vite. C’est du réassort permanent… Les meilleurs ventes atteignent les 4.000 – 5.000 ex et plus souvent cela tourne autour de 2.000 – 3.000 ex.

On a l’impression que ce genre est revenu plus en lumière dernièrement : Nozokiana chez Kurokawa, une nouvelle collection chez Taifu… Où se situe votre collection là dedans ?

Il y a toujours eu des titres érotiques… Après Nozokiana n’est pas référencé comme érotique d’ailleurs, et ce marché au final nous concerne surtout Taifu et nous. Pour parler en termes de typologie pornographique nous nous situons dans le « porno chic », nous avons toujours décrété cette image là avec une charte graphique sobre, sur fond noir.

On ne suivra donc pas Taifu dans la surenchère du hard trash non censuré avec des dessins et des scénarios pas toujours à la hauteur. Il y a certainement un public pour ça, mais maintenant nous avons toujours voulu privilégier le dessin dans un premier temps et le scénario dans un deuxième. Donc, certes, nous avons des titres érotiques qui ne brillent pas forcément par leur histoire mais qui contrebalancent avec un beau dessin.

Il y a aussi des titres comme Les charmes de l’infirmière, Secret R, qui disposent à la fois du scénario et du beau dessin. Haruki, le mangaka de Secret R a d’ailleurs été recruté chez Shueisha pour évoluer sur d’autres séries, comme d’autres qui ont commencé par du hentai.

Au final nous n’avons pas des ambitions démesurées sur cette collection mais nous sommes très satisfaits de ce que nous publions et des ventes de ces titres là. En plus nous avons, en termes d’image, des bons échos sur la qualité même du produit qu’on publie.

On constate en tout cas qu’on peut en parler plus librement et que la crainte de l’amalgamme manga = sexe est un peu derrière nous…

C’est exactement la réflexion que nous avons eu il y a environ 7 ans avec Raphael Pennes, lorsqu’Asuka avait été racheté par Soleil. Nous voulions créer une collection érotique, persuadé qu’il y avait un marché et nous avons sorti la collection Iku Comics, qui est l’ancêtre de la collection Eros car Eros s’est construit sur les ruines d’Iku Comics. Nous avions la volonté de proposer un catalogue le plus vaste possible – dans une politique à la japonaise – mais tout en y allant doucement, pour ne pas choquer et ne pas détruire tout ce travail de réhabilitation du manga qui avais été entrepris pendant des années.

D’où aussi notre volonté de ne pas aller sur le hentai non censuré et tout ce qui se situe sur des titres avec viol, personnages mineurs ou ressemblant à des mineurs. Pour rester dans un cadre légal le plus clean possible.

Passons maintenant à la collection Classique. On voit Isan lancer une partie de ces titres sur un créneau voisin donc on se dit que ce n’est plus un hasard… Premièrement, ça va vient de quel constat chez vous ?

Je précise que l’idée de Karim (Karim Talbi, co-fondateur d’Isan, ndlr) est une idée qui a déjà plusieurs années, je ne pense pas que ce soit nous qui l’ayons inspiré.

La collection vient comme je te le disais plus haut de cette volonté d’innover mais également d’un hasard. En fait j’ai un jour vu une news sur Anime News Network relative au scandale qu’avait provoqué la sortie de Mein Kampf en manga chez East Press. Ca m’a interloqué.

Loin de moi l’idée de publier Mein Kampf mais nous nous sommes intéressés à leur catalogue et j’ai vu qu’il avait dans leur best-seller Le Capital de Karl Marx. Ça a fait tilt, on a contacté notre agent pour rencontrer East Press et nous avons pu consulter leur production, feuilleter les bouquins.

Le souci c’est que le matériel d’origine… Tu l’as déjà vu ?

Non.

Je te montre, tu vas comprendre… Voilà à quoi ça ressemble.

 

Ah oui c’est… particulier !

C’est surtout invendable ! (Rires)

Donc l’idée c’était d’avoir une marge de manœuvre : pouvoir remettre dans le sens de lecture occidental et être libre sur la jaquette. Et ils ont été supers cools : « nous sommes ravis de travailler avec la France, vous êtes les premiers à nous contacter.. . »

Nous avons eu de la chance car juste après ils ont été contactés par deux autres maisons d’éditions. L’autre chance que nous avons eu c’est d’avoir été contacté par un éditeur français spécialisé dans le marxisme, Demopolis, qui nous a fait plein de proposition dont la préface d’Olivier Besancenot. Il connaissait Ali Badou et nous a permis de passer au Grand Journal. Et, effectivement, dix minutes après la présentation d’Ali Badou au Grand Journal, Le Capital était dans le top vente d’Amazon.

Le buzz était lancé, Besancenot faisait la promo… Ça a été un grand succès (près de 20.000 ex du tome 1) et les autres titres ont bien marchés, même si c’est dans un niveau moindre : Le rouge et le noir et Les misérables sont aux alentours de 4 000 et A la recherche du temps perdu aux environs de 3 000 et les autres montent gentiment entre 2 et 3 000. Ce qui est bien avec cette collection c’est que les ventes montent tout le temps, nous avons des flux permanents.

Pour quel type de lectorat d’ailleurs ?

Il y a un lectorat un peu plus adulte, forcément, mais aussi des lycéens qui en profitent pour découvrir du classique en plus ludique et en plus rapide.

Nous avons aussi eu beaucoup de retours positifs des enseignants. Nous avons également eu une sorte de consécration quand Nathan nous a appelé pour nous proposer de mettre, dans les manuels de première ES, Le Capital en bibliographie. Le travail était reconnu à sa juste valeur.

Cela fait environ deux ans que la collection existe, quel est son avenir et quels sont les prochains titres ?

On a encore plusieurs choses à faire, comme Les mots de Bouddha et L’analyse des rêvesde Freud pour le second semestre.

Puisqu’on parle de lancement de collection et d’innovation… Il semble qu’il y a une difficulté dans votre métier : c’est le temps qu’il peut y avoir entre un constat (un genre qui ne marche pas ou alors un thème qui rencontre le succès) et la sortie chez les libraires de titres qui répondent à la problématique posée… Est-ce que vous pourriez nous expliquez un peu le processus sur une collection et le temps que ça peut prendre ?

En fait notre travail d’éditeur c’est justement de ne pas être trop dépendant de constats fait sur le marché français, il faut anticiper plutôt que de réagir à ça. On dirait un peu du travail de Madame Irma, mais en fait on peut se baser sur ce qui a marché aux Etats-Unis, en Allemagne ou même au Japon. Chez Doki-Doki par exemple, la sortie de Puella Magica Madoka a été anticipée à partir du succès au Japon.

À chaque fois que l’on rencontre nos interlocuteurs japonais, ils nous sollicitent énormément pour nous présenter les titres qui cartonnent au Japon. Notre rôle d’éditeur c’est donc de rester attentif à ça et d’anticiper.

L’idée est d’avoir une ligne directrice. Par exemple sur le cas des vampires. On savait que la saga Twilight se ferait sur cinq films avec un pic il y a deux ou trois ans et qui devrait durer un certain nombre d’années. Et donc, sur ce créneau là, il fallait sortir du manga de vampire. Derrière, on voit que Black Butler va arriver chez nous, qu’il a tout ce qu’il faut pour créer un phénomène majordome : c’est le moment de sortir des titres majordome.

Il y a des petits phénomènes que l’on peut suivre comme ça. En ce moment c’est plutôt un phénomène zombie, et nous allons sortir Tokyo Summer of The Dead. Sachant que The Walking Dead sort chez Delcourt c’est assez logique en plus ! On l’a découvert il y a un peu plus d’un an, nous avons fait une offre en fin 2012 et il arrive en juin donc c’est possible d’être réactif quand même.

Après on peut aussi créer des évènements, ce qui est par exemple la force d’un éditeur comme Ki-oon. Par exemple sortir Cesare au moment où le Pape démissionne et la saison 2 de Borgia arrive, ça ne s’invente pas ! (Rires)

Puisqu’on évoque les tendances on peut voir que le cinéma et les séries TV US utilisent des thématiques qu’on retrouve souvent, quelques mois plus tard, dans certains mangas (Judge et Doubt par exemple). Est-ce que les séries TV US peuvent constituer un bon baromètre voir même, si je vais plus loin, est-ce qu’elles ont une influence chez les mangakas ?

Ce qui est amusant c’est que j’ai l’impression que le nouveau format des séries US s’est finalement pas mal inspiré du Comics et que l’énergie des Comics a pas mal influencé ces séries télés avant d’influencer à son tour d’autre médias comme la BD ou les mangas qui étaient aussi influencés par les comics… Je pense qu’il y a une influence générale et une convergence des codes, certainement.

En plus je te rejoins sur le fait que cette influence est très visible chez les titres de chez Ki-oon – on pourrait rajouter King’s Game aussi – et ils visent d’ailleurs un public similaire aux amateurs de ces séries américaines. L’utilisation de bandes annonces pour leur manga renforce d’ailleurs ce rapprochement.

Le questionnaire manga

Pour finir, voici un petit questionnaire pour mieux connaître Iker Bilbao :

1. À quel titre dois-tu ton premier souvenir de mangas ?

 Kenshin

2. Quel manga donnerais-tu  à lire à ton pire ennemi ?

Viewfinder

3. Quel manga faudrait-il lire pour mieux comprendre Iker Bilbao ?

Le prince de Machiavel...le personnage de Machiavel, pas le prince !

4. Quel est le blockbuster sur lequel tu n’as jamais accroché ?

Alors un que j’ai lu mais finit par décrocher c’est Bleach, parce que c’est juste plus possible. Idem pour Hunter X Hunter qui était génial à une époque mais forcément j’ai fini par être déçu après.

5. À l’inverse quel est le flop que tu trouves vraiment injuste ?

D’une manière générale les titres de Mitsuru Adachi.

6. Quel est le manga publié chez un autre éditeur que tu aurais aimé avoir dans ton catalogue ?

Pour l’avoir décliné à l’époque, pour des raisons qui font que ça n’aurait pas marché dans notre catalogue, c’est Chi, une vie de chat. Bien joué Stéphane !

7. Quel manga attends-tu avec la plus grande impatience ?

J’aurais dis Virtus nouvelle saison, mais on l’aura jamais je pense.

Cherche… Ah si ! Chihayafuru, c’est génial, même si la toute première semaine de vente ne semble pas exceptionnelle, il faut y croire. C’est un espèce de Hikaru no Go pour filles, où on ne comprend pas toujours tout mais c’est super prenant. J’ai hâte de voir ce que ça va donner !

Nous aussi ! Merci Iker et encore bon anniversaire à Soleil Manga !

Merci à toi !

Remerciements à Iker Bilbao pour son temps et ses réponses développées et chiffrées. Merci également à Marwa pour la mise en place de l’interview. Retrouvez l’actualité des éditions Soleil Manga sur le site internet, leur page Facebook ou leur Twitter.

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Manga

Doki-Doki (mai 2012)

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IMHO (avril 2012)

Isan Manga (mars 2013)

Pika (avril 2013)

Kana (novembre 2012)

Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012)

Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013)

Kurokawa (juin 2012)

Ototo – Taifu (octobre 2012)

Soleil Manga (mai 2013)

Tonkam (avril 2011)

Japanimation

Black Bones (décembre 2012)

Wakanim (Juin 2012)