Le Maroc sur la pente glissante de l’endettement ?

Publié le 30 mai 2013 par Unmondelibre
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Au Maroc le gouvernement Benkirane est en train de préparer une nouvelle émission obligataire à l’international qui devrait lui permettre de lever près de 1 milliard de dollars. Quel enseignement faut-il en tirer sachant que depuis le début de l’année, les emprunts se multiplient ? 

Les finances publiques marocaines sont dans un état critique. Après les 7% de déficit budgétaire de 2012, celui-ci s’amplifie puisqu’au terme des 4 premiers mois il est estimé audouble par rapport à la même période de l’année passée. À cela s’ajoute un déficit commercial record qui a atteint près de 200 mds de dh et un stock de devises d’à peine 4 mois. L’économie marocaine manque cruellement de liquidités.

Malheureusement, l’État ne peut créer de richesse. Il n’a alors que deux possibilités : augmenter les impôts ou s’endetter. Comme la première option est exclue au regard de son impopularité et son coût politique, c’est vers l’endettement que s’est tourné le gouvernement Benkirane.

Mais le Maroc peut-il s’endetter davantage? Certes, quand on regarde le stock de la dette et sa structure, l’on est tenté de dire qu’il subsiste encore une marge. En effet, À fin 2012, la dette publique a représenté près de 57% du PIB, un peu en dessous du seuil souvent jugé « tolérable » de 60%. Par ailleurs, la majeure partie de cette dette est constituée d’emprunts internes (autour de 77%), et de maturités moyenne et longue (supérieure à 1 an). Cela signifie qu’il y a peu de risque, à court terme, que le Maroc se mette en défaut de paiement. Surtout que le Maroc jouit encore de la confiance des marchés financiers internationaux. En témoigne sa dernière émission internationale où il a pu lever 1,5 milliards de dollars à un taux autour de 5,5%. Mais ce « succès » ne doit pas nous détourner des dangers que court l’économie marocaine.

D’abord, s’il est vrai que l’éloignement des échéances de la dette marocaine réduit le risque d’insolvabilité à court terme, il ne le supprime pas pour autant.

Ensuite, s’il est aussi vrai que la dette intérieure domine la dette extérieure réduisant, en apparence, le risque de dépendance par rapport à l’extérieur, cela a un prix : un effet d’éviction de l’investissement privé. En effet, les interventions du Trésor (46 milliards de DH sur les trois premiers mois de l’année, en hausse de 40% sur un an) sur le marché interne assèchent les liquidités à la disposition des banques et renchérissent le loyer de l’argent, créant ainsi un problème de financement aux entreprises.

Enfin, quand il faut analyser le stock de la dette publique, il ne faut pas oublier la dette garantie (dette contractée par les établissements publics et les collectivités locales et garanties par l’État) et les engagements de retraite, lesquels s’ils sont pris en compte, ferait que la dette marocaine dépasserait allégrement la barre des 60%. Si le Maroc aujourd’hui emprunte à des conditions confortables, c’est du fait du contexte de crise : les investisseurs sont désespérément à la recherche de placements moins risqués que d’autres. Autrement dit, la « chance » du Maroc aujourd’hui est que les investisseurs appliquent la « stratégie du moins pire », autrement les conditions auraient été plus hostiles au regard de la dégradation de ses finances publiques, et désormais de la crise politique.

En outre, cette « chance » pourrait devenir un cadeau empoisonné puisque l’endettement est devenu la variable d’ajustement du gouvernement, celle qui permet de financer le déficit public tant bien que mal.

À ce titre, la nature du déficit public au Maroc a changé. Si pendant les années 90 le déficit s’expliquait par la faiblesse de la croissance, dans les années 2000, il est plutôt dû à l’explosion des dépenses publiques, principalement les charges de compensation et la masse salariale. Et depuis 2012, fait très inquiétant, le solde courant est devenu négatif, ce qui signifie que les recettes ordinaires ne couvrent plus les dépenses ordinaires. En 2012 seulement 92% des dépenses courantes (compensation, matériel, masse salariale) sont couvertes par les recettes ordinaires (fiscalité). Cela signifie qu’une partie des dépenses ordinaires et tout l’investissement public sont financés par l’endettement. Et si l’on compare l’évolution des dépenses ordinaires entre 2011 et 2012 on constate bien que ce sont les charges de compensation qui ont augmenté, ce qui signifie qu’une partie de la charge de compensation est probablement financée par endettement : l’endettement sert désormais à financer la consommation, qui plus est satisfaite par les importations. Voilà une triple peine : accroissement du déficit budgétaire, aggravation du déficit commercial, et dégradation de la balance de paiements et des réserves de change, ce qui menace la note souveraine du Royaume.

Mais le danger ne s’arrête pas là car Il faut rappeler que si avant 2007 le compte courant de la balance des paiements excédentaire permettait le remboursement du service de la dette, il est devenu déficitaire à partir de 2008. Aujourd’hui, avec déficit de la balance courante estimé à 10% en 2012, une partie du remboursement devait se faire via les prélèvements sur les avoirs de devises. Or comme celles-ci sont déjà à un niveau faible, la seule solution qui reste est d’emprunter à l’extérieur. Autrement dit, s’endetter pour payer sa dette. Bref, si rien ne change, le pays risque d’entrer dans une nouvelle spirale d’emprunts extérieurs, avec tous les risques de perte d’autonomie en matière de souveraineté économique.

Dès lors, et en conformité avec les dispositions de la nouvelle constitution, stipulant la transparence de la gestion des finances publiques ainsi que la reddition des comptes, le gouvernement Benkirane ne pourrait plus passer des emprunts qui hypothèquent la croissance présente, mais aussi future, sans rendre compte de l’usage fait de ces emprunts en toute transparence. Il ne peut pas non plus contracter de nouveaux emprunts sans démontrer au peuple qu’il a la capacité de les rembourser. L’endettement en soi n’est pas un problème, mais c’est l’usage que l’on en fait qui mérite prudence et vigilance.

Les dettes ne doivent plus servir à financer la consommation ou encore payer les pots cassés d’une gestion défaillante des établissements publics. Il est tout simplement injuste de faire payer aux jeunes et aux générations futures le prix de l’incompétence et de l’irresponsabilité de certains. L’endettement, si besoin est, doit servir à financer l’investissement créateur de revenus et d’emplois. Dans ce sens, le gouvernement Benkirane doit prendre le taureau par les cornes et engager sans tarder les réformes structurelles, notamment la caisse de compensation, les retraites, la fiscalité et la fonction publique. Faute de quoi l’endettement s’imposera comme la stratégie par défaut qui risque d’ouvrir la boite au pandore...

Hicham El Moussaoui, maître de conférence à l’université de Beni Melal, est analyste sur LibreAfrique.org. Le 31 mai 2013.