Fauve - Blizzard (e.p)
Il faut être économe de son mépris en raison du grand nombre de nécessiteux. Ce n'est pas de moi (j'aurais bien aimé) mais de ce génie de la langue française qu'est Chateaubriand. En abordant cette chronique de Blizzard de Fauve, m'est revenu cette formule qui résumait bien mon sentiment depuis que le groupe (pardon le collectif) avait commencé à faire parler de lui. En calendrier musical c'était il y a des siècles. Pour les autres c'était en janvier 2013.
Cela aura peut-être échappé aux personnes mentalement équilibrées qui ne passent pas huit heures à débattre sur la légitimité des nouveaux artistes, mais le groupe (pardon, le collectif) Fauve a défrayé la chronique ces derniers mois en balançant gratuitement quelques titres sur leur site, joliment relayés par des clips faits maison sur You Tube et Cie. Jusque là tout va bien. Puis très vite, le gr... , le collectif est repéré, diffusé, encensé, jusqu'à cet article dithyrambique du Monde qui propulse Fauve sous les feux de la rampe et quasi dans le même temps les voue aux gémonies. Déferlement de haine sur les réseaux sociaux, sarcasmes, et bien sûr l'éternel "c'était mieux avant". Fauve devient pour certains l'ennemi public n°1, le collectif (yeah) à abattre, le péril jeune, ceux par lequel le mal arrive. Partisan ou contempteur de nouvelles propositions, j'ai toujours trouvé intéressant de regarder calmement ce qui peut susciter de telles réactions passionnelles, et d'essayer de séparer le bon grain de l'ivraie dans ce que l'on peut appeler une querelle de spécialistes. Du reste la majorité s'en fout. Ecoute ou pas. Point barre.
Je vais tenter de reprendre les arguments (et je suis gentil en utilisant ce terme, tant certains perdent leur énergie à coup de "c'est de la merde", "beurk" et autres profondeurs d'analyses) de ceux qui voient en Fauve une imposture terrible, une arnaque moderne. Et d'y apporter une réponse. Parce que J'aime Fauve, avec nuances. Et que je préfère préciser dès maintenant que je suis sain d'esprit, que je mange équilibré, que je me considère comme une personne musicalement éclectique et instruite.
1. Fauve n'a rien inventé. Bon je commence par le moins virulent. Effectivement, j'imagine que Fauve n'a rien inventé. Textes en français, mélangés à des mélodies électro-pop sèches, lyriques et efficaces. Donc non, Fauve n'a rien inventé. Comme Guns'nRoses parce qu'Aerosmith, parce que Led Zep et les Stones, parce que j'imagine un bon vieux groupe de blues. Seule la reprise moins bonne est dispensable. Sinon, les artistes sont tous des Colargol qui jouent en Fa et en Sol.
2. Oui mais c'était mieux avant. Argument connexe. Et là le grand spectre c'est Mendelson. Groupe maudit parce que proposant des morceaux poignants sur des paroles fleuves, d'une intense qualité, et qui malheureusement se retrouve en première partie de Fauve faute de plébiscite médiatique, faute de ne pas avoir cédé aux stratégies cyniques du succès actuel comme il va. Sauf que. Dire Straits m'a fait connaître Hank Marvin et J.J Cale. Et Fat Boy Slim, Incredible Bongo Band. Et grâce à Terence Trent D'Arby je porte un culte maintenant à Marvin Gaye, Stevie Wonder, James Brown. Donc Fauve peut conduire ironiquement par les médias à Mendelson. C'est pas les groupes qu'il faut condamner mais les auditeurs paresseux. Et quand bien même ils se contenteraient de Fauve, tant mieux si cela les rend heureux.
3. Fauve c'est mal écrit. Alors là, c'est tout mon être linguistique qui s'insurge : oser comparer Fauve à Grand Corps Malade ou Saez, c'est de la fainéantise intellectuelle. Les deux précités ne m'ont jamais plu parce qu'ils empruntent une voie hyper balisée, chantillée de bons sentiments consensuels. Métaphores frelatées, dramatisation poussive, name-dropping dispensable. Si on écoute Fauve d'une oreille distraite, on peut les ranger dans la grande catégorie des gens qui chantent comme ils parlent, sans volonté de créer une langue nouvelle. C'est à dire biffer, sélectionner, construire. Imbéciles pourtant ceux qui pensent que la restitution d'un cri primal, la représentation d'une syntaxe ordinaire ne passe pas par un vrai travail de composition. Dire que l'album Blizzard charrie les clichés et propose une écriture prosaïque ou simpliste revient à confondre immédiateté et facilité, simplicité et appréhension. Si jamais vous considérez que la poésie s'arrête après Baudelaire ou Proust, Fauve doit vous sembler bien pauvre. Et pourtant. A l'écoute de l'e.p, le vocabulaire oscille entre vulgarités contrôlées et préciosités ponctuelles. Une espèce d'incroyable équilibre entre tradition poétique et vomi impérieux. Il y aura toujours des cerbères réacs pour vouloir préserver une poésie bien enroulée, lissée, fantasmée mais si... étriquée dans ses limites de bon goût. Or ce qui compte, ce n'est pas ici le bien dit (il y a des maladresses chez Fauve, des sophismes, plein de lieux communs), non, justement ce qui compte c'est l'urgence du dit sincère. Et le fait que la parole écorchée de Fauve parle à des milliers de gens qui se contrefoutent des débats de spécialistes, ça me parle. Parce que pour une fois, ce n'est pas de la révolte au rabais.
"Jour et nuit je traque les épiphanies avec la rage d'un mercenaire sous crack"
(Cock Music Smart Music / Rag#1)
Kané :
L'interview sur radio activ', pendant leur passage à Art Rock, merci Titouan !)