Un chapelet de petites crottes noires serpente au pied des rosiers, s’égrène dans le fouillis des buissons de houx et se perd dans le lierre qui tapisse le sol de la petite clairière taillée au cœur des sapins. Ce n’est ni le soleil lumineux, toujours absent, ni la tiédeur de l’air toujours défaillante, mais plus probablement la faim qui aura fait sortir les lapins de leur garenne, attirés sans doute par les batavias de mon potager. Dans le vallon où débouche le chemin qui longe mon courtil, les bûcherons ont d’autres soucis que la douceur des temps. Les hurlements de leurs tronçonneuses déchirent l’airhier si calme. Des cris, des appels. Puis la longue complainte d’un arbre qui s’écroule dans l’humus. C’était un fayard, cette fois. Les chênes meurent en silence. L’accalmie ne dure guère. Les machines reprennent sans attendre leur travail d’émondage. Bientôt de nouveaux gémissements secoueront la forêt. Á moins que les hommes ne décident de s’asseoir sur le tronc qu’ils viennent de coucher à terre pour partager le pain et le lard. Vous comprenez, s’est défendu le contremaître avant de descendre sur son "chantier", on n’a pas de temps à perdre. Le débardeur et ses percherons arrivent demain. Il nous faut de l’avance ! Et avec la pluie qui n’arrête pas, c’est pas facile ! Le propriétaire du buisson à couper avait eu la courtoisie de s’arrêter quelques instants à ma porte pour s’excuser du dérangement que provoquerait cette taille. On est bien obligé d’entretenir ! Ce n’est pas l’argent que ça rapporte, allez ! Mais imaginez une autre tempête comme celle que nous avons connue il y dix ans. Je n’aurais plus rien ! Et avec le réchauffement climatique, n’est ce pas ? Ah le réchauffement climatique ! Il paraît que la nature n’est pas assez grande pour se débrouiller toute seule et que l’homme doit lui donner un coup de pouce pour corriger ses dégâts. Ce qui provoque inévitablement d’autres dérèglements. Chaque fois que l’homme intervient, il dérègle. Il creuse des mines, abat des forêts, arase des montagnes, détourne des fleuves et vide des lacs. Il construit des barrages pharaoniques pour fabriquer de l’électricité et n’avoir plus à s’éclairer à la bougie. Il répand sans compter cent poisons mortels pour faire pousser ses salades plus vite et plus haut. Il vole aussi et disperse dans l’air des gazdélétèresqui asphyxient les oiseaux, les enfants et les vieillards. Et tout cela pourquoi ? Pour manger des tomates à Noël et des fraises à Pâque ! L’homme, décidément, est bien inconséquent. En attendant que les bûcherons aient achevé leur besogne, je renonce à écouter Anne Queffélec passer avec bonheur du romantisme de Debussy à l’aimable nostalgie de Ravel, de l’humour grinçant de Satie à la fausse insouciance de Poulenc. J’abandonne les Monts à leur tintamarre et m’en vais à la ville. On dit que, là-bas, la Grande Médi@thèque est on ne peut plus paisible à l’approche des beaux jours.
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