Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby) a été porté à l’écran à quatre reprises en faisant de l’œuvre originale de Francis Scott Fitzgerald le point de référence de ces adaptations et, surtout interprétations. Baz Lurhmann, réalisateur à qui l’on doit Roméo + Juliette entre autres, puise dans une référence de la littérature Américaine; un monument de la critique des "Années folles Américaines". En plus d’être un défi face à l’ouvrage paru en 1925, ce nouveau portage à l’écran a la lourde tâche de "devoir faire mieux" par rapport aux long-métrages précédents. Pari relevé mais … Adaptation réussie ?
"Quand tu auras envie de critiquer quelqu’un, songe que tout le monde n’a pas joui des mêmes avantages que toi."
Technique fréquente dans le cinéma, le long-métrage débute sur "la fin du film". Nick Carraway, (Interprété par Tobey Maguire) le narrateur de l’œuvre, se souvient de l’Eté 1922 comme celui où il a rencontré une personne d’un espoir infini, d’un ami, d’un être singulier, unique. Gatsby. Ce fut en tout cas un personnage éblouissant des "Années Folles" : cette période où l’individualisme monte crescendo avec la fondation de fortunes nouvelles; où la Prohibition "a pour effet de baisser le prix de l’alcool", où l’insouciance de la consommation est un moyen de paix intérieur pour les troubles de la société.
Nick Carraway atteignant la trentaine d’années, raconte son aventure dans ces années de confusions financières où Wall Street, actions, vente d’obligations sont autant d’occasions pour espérer réaliser une fortune rapide, simple et, au fond illusoire. Le personnage l’explique lui-même : apprendre la finance s’est fait par la simple lecture d’ouvrages sur le sujet. Il se dit aussi écrivain, à ses heures perdues. Sa seule œuvre aura été de retracer cet Eté 1922, narrer sa vie dans une "bicoque" à Long Island une zone résidentielle éloigné de New-York mais où les richesses anciennes et nouvelles rivalisent dans la démesure et l’élévation de somptueux manoirs. Son voisin n’était autre que l’énigmatique Gatsby (Leonardo DiCaprio), homme dont son histoire, son identité, ce qu’il est ou ce qu’il pensait être est dévoilé grâce la confidence de ce "narrateur-témoin".
A travers des citations extraites de l’œuvre de Fitzgerald, Nick Carraway devient à la fois cet "homme du dedans et de l’extérieur". S’il ne vient pas d’une famille fortunée, cette vie à New York, celle de la démesure, de la construction progressive des villes Américaines nous surprend autant que lui. Quelques images d’archives pour y ajouter un peu plus du poids, un jeu d’acteur qui se laisse suivre. S’il est parfois effacé dans certaines scènes, il exerce avec justesse ce rôle : à la fois effacé et confident avec l’étrange Gatsby. Cette double interprétation est intéressante, ou du moins efface ce souvenir un peu "amer" que l’on pouvait avoir de l’acteur dans les adaptations du Comics "Spider-man" réalisées par Sam Raimi.
Jeu d’acteurs : le "Persona"
Leonardo DiCaprio incarne une fois de plus une personnalité au moins aussi trouble que ces fameuses "Années folles". S’il est à la fois le fil conducteur du film, le personnage principal et un élément de suspens pour les spectateurs, le rôle de Gatsby est interprété avec une grande élégance, une certaine majesté et incontestablement d’une sensibilité qui permet à DiCaprio de dévoiler une nouvelle facette de son jeu d’acteur. On pensait en avoir été suffisamment ébloui par son jeu remarquable dans Arrête-moi si tu peux ! ou encore l’un de ses premiers films avec Johnny Depp dans Gilbert Grape dans le rôle difficile d’un déficient mental …
A dire vrai, le comédien réussit le difficile parcours d’incarner l’être passionné par Daisy Buchanan (Carey Mulligan) ; les côtés plus sombres d’un personnage qui organise l’illusion d’une fortune et adopter l’élégance. On serait tenté de comparer l’acteur à son rôle dans Inception qui, s’il est assimilable sur la forme, est différent sur le fond tant le comédien réussit à incarner un tout autre personnage. C’est bien simple : son interprétation confirme les lectures de l’ouvrage et interprétations du personnage. Il devient cet homme doté d’un fond incorruptible, c’est-à-dire croire à l’être qu’il souhaite chérir, doté de manières moins légales, moins admirables : la prohibition, l’obsession et quasi "névrose" de l’Autre, source d’espoir et fondation même de ce qu’il est.
Un brin calculatrice, définie par son cousin Nick Carraway par sa "voix pleine d’argent", elle n’en reste pas moins une personnalité qui, elle aussi, exerce une prestance remarquable à l’écran. Au fond, on serait simplement prêt à détester cette femme qui parle d’un futur sombre pour sa fille et ce, dès les premières minutes du film, qui s’apparenterait à : "J’espère qu’elle sera une belle petite idiote." Pourtant, même si elle se sait trompée, si elle se sait aimée d’un amour infaillible par Gatsby, il semblerait que Scott Fitzgerald s’est adonné à édifier des personnages au fond "humains", dont les choix ne contribuent pas à les rendre louables mais à voir plus loin qu’une personne détestable.
Toutefois, ces deux personnalités principales ne sont pas sans "effacer" le rôle d’autres personnages. On pense notamment à la sportive Jordan Baker, (Interprétée par Elizabeth Debicki), renommée et proche de Daisy. Il y a cette idée que, tout au long du film, on attendait de sa part un rôle plus mémorable. Or, certaines longueurs, certaines attentes qui mettent le spectateur sur l’attente, déçoivent par son manque de fantaisie, son absence d’implication dans l’histoire. Dommage, d’autant que l’on sent très bien et ce, dès les premiers instants du film, les liens possibles avec le narrateur Nick Carraway.
Une mélancolie festive
La réalisation a de grands mérites : elle réussit le compromis de fêtes inimaginables, incessantes, lumineuses et surtout excessives … Sans pour autant en être le sujet principal, sans être un point d’ancrage pour le spectateur. Difficile à expliquer, mais il y a cette notion de l’abondance illustrée tout en étant dans un format acceptable, réaliste et perçu par un regard à la croisée de la mélancolie. Elles sont fréquentes dans le film, mais elles apparaissent comme le veut le personnage de Gatsby : elles ne sont qu’un prétexte, qu’un moyen d’être une attraction tape à l’œil pour qu’enfin, sa bien-aimée tourne son regard, admire et rentre dans son jeu. Plus encore : c’est un moyen d’existence non affirmé par les dialogues. Une manière comme une autre d’affirmer sa présence, d’apparaitre comme une lumière incontournable.
Gatsby apparait comme un fantôme dans ses propres fêtes. On en vient même à sentir à travers l’acteur que ce ne sont que ses intérêts et les buts qui importent, bien plus que la festivité. Cette retranscription des "Années Folles Américaines", elle s’est aussi faite avec une impression de justesse au biais des multiples costumes des personnages. Félicitations à la costumière Française Catherine Martin, qui a su capter la frivolité décadente d’une ère si particulière. Le sentiment dominant à leur vue est sensiblement identique aux multiples fêtes filmées : d’un réalisme saisissant sans jouer dans l’excès ou la surenchère.
Baz Lurhmann avait déjà joué la carte de l’anachronisme avec Roméo+Juliette, l’une des premières collaborations avec DiCaprio par ailleurs, en réalisant un drame "Moderne-Rock" inspiré du théâtre Shakespearien. Il renouvelle cet atout en proposant une Bande-Son que l’on pourrait contester par ses artistes, mais qui s’accommode parfaitement à l’atmosphère des images qui filent et se découvrent devant nous. Tarantino avait inséré du rap’ dans Django Unchained; Lurhmann fait de même grâce à Jay-Z; peut inclure de la pop grâce à Beyoncé Knowles et sa reprise de "Back to Black" ou encore demander à Lana Del Rey d’interpréter "Young and Beautiful". Entre la dimension rétro’, l’ambiance rythmée, volontairement colorée et par conséquent festive, le spectateur assiste à un ensemble cohérent, indolore et finalement peu choquant. On en vient même à apprécier l’Original Soundtrack de Gatsby le Magnifique en dehors du film, à écouter "Over the love" de Florence and the Machine. Si la Bande Originale du film n’est pas inédite mais composée de reprises, elle frise encore avec une certaine justesse.
Le film peut se voir selon trois temps distincts : le contexte et l’arrivée de Nick Carraway dans le New-York des années 1920, l’amitié et l’affiliation à Gatsby, puis début et fin de l’illusion de Gatsby. L’intrigue est menée de façon à susciter la curiosité du spectateur : en ce sens, ne pas avoir lu immédiatement le livre permet une certaine surprise qui joue à l’appréciation du long-métrage. Toutefois, le film souffre de quelques longueurs et d’une grande emprise de la dimension "comédie sentimentale" si bien que les impressions, à la sortie du film, sont dominées par la romance passée, présente de Gatsby et de sa moitié. En guise d’exemple, on pensera notamment à la longue scène dans l’hôtel qui donne ce ressenti : cinq personnages sont présents, trois échangeant des paroles peu utiles que chacun apprend au fil des minutes "cinématographiques".
Le sentiment est tel que durant les un peu plus de 2 heures de film, il existe quelques passages creux faits de redite. Nuançons tout de même : Ils sont relativement rares pour être soulignés.
La mise en relief de la vanité : une interprétation de The Great Gatsby
Des acteurs au jeu maitrisé, et une caméra qui incite à regarder les travers des personnages. L’œuvre de Francis Scott Fitzgerald n’a pas eu le succès escompté à sa sortie en 1925, dans une période encore trop décadente où le regard de l’un sur ses semblables n’intéressait pas encore pour prendre son ampleur.
On prend plaisir à voir derrière ce film cette manière implicite qu’a le livre à sous-tendre une société d’apparat, de montrer l’ambition des uns à tenter de se sortir d’une société inégalitaire et appartenir à un nouveau rang social; (Cf. Jeunesse de Gatsby en tant qu’officier : l’opportunité même d’approcher Daisy) et les autres, détenteurs d’un patrimoine familial que l’on fait fructifier, que l’on joue et surtout, qui est une richesse à montrer à tout à chacun.
Si les dialogues sont nombreux, l’implicite et les non-dits jouent leur rôle : il existe une frontière véritable entre Nick Carraway et Jordan Baker; tout comme il existe une frontière de détentions financières entre Gatsby et Tom Buchanan. Grossièrement, on ne mélange pas les "torchons avec les serviettes".
Si l’on se lie, tout comme le narrateur, au personnage de Gatsby, il n’en reste pas moins un personnage en conscience de ce qu’il est. En dehors des fêtes ostentatoires qui amènent l’ensemble de l’Amérique dans son pays, il se dit "vide". Lui l’explique par l’absence de sa bien-aimée, d’autres l’interpréteront par la vanité c’est-à-dire qu’en dehors du seul ami qu’est Carraway, il est défini par son illusion sur l’être aimé, sur un Empire de couleurs et de rêves qu’il fonde volontiers à la gloire de l’être tant attendu. Tout ceci donne un aspect critique à une œuvre qui ne demande qu’à être (re)découverte, et un film qui, au fond, garde un caractère de fable intemporelle.
Personnage central, Jay Gatsby est surtout une image qui ne dure que de son vivant. Les nombreuses rumeurs à son sujet contribuent à édifier un être certes fictif mais dont les bruits qui courent supplantent ce qu’il est. On reprochera peut-être les dernières minutes du film, trop courtes, expédiées avec une rapidité telle que l’on eut dit une ellipse … Mais elle ne fait, finalement, que renforcer une brutalité d’observation : l’argent ne remplace jamais la solitude, le bonheur qu’il crée est fait d’éphémère et d’un espoir qui se meurt et qui ne se meut pas.
On a aimé :
- Une interprétation équilibrée et faite sans excès
- Deux acteurs mis en relief par leur talent : Leonardo DiCaprio et Carey Mulligan
- Différentes problématiques qui émanent du film
- Une certaine approche du cinéma : une atmosphère festive et une portée morale par l’image et la compréhension
- Des costumes "réalistes", admirables et témoins d’une époque.
- Une bande son (OST The Great Gatsby) réalisée par Jay-Z : diverse et variée mais accompagnant le film.
- 1922 : un contexte pour une portée intemporelle
On a détesté :
-Une scène longue donnant une dimension de "Comédie sentimentale" accentuée
- Acteurs effacés par leur manque d’intervention alors que le rôle est senti comme pertinent à l’histoire
- Quelques redites et scènes qui permettent au film d’atteindre un peu plus de 2h
- Une fin rapidement dévoilée
- Quelques effets numériques discutables : l’Art Déco en scène d’ouverture par exemple.
Film d’ouverture du Festival de Cannes 2013, Gatsby le Magnifique a divisé la critique Américaine. Sur le Blog La Maison Musée, un certain charme a fait son effet : on rentre dans la narration du personnage de Tobey Maguire, on apprend à connaitre Gatsby et, derrière le film, une réalité plus "dramatique", plus "forte" peut-être que la sincère histoire d’amour qui lie deux personnages aux passés complètement distincts. On distingue en filigrane l’atmosphère des "Folles années" dans une atmosphère qui est "brutale" par recul. Quelques longueurs et lourdeurs empêchent le film d’atteindre des sommets; mais indéniablement, les acteurs nous livrent une interprétation faite de non-dits, d’une société trouble, confuse et prise d’une vanité par définition éphémère. De la part d’une adaptation, on attendait "de faire mieux" : le cahier des charges est bel et bien rempli à l’appui d’acteurs chargés de nuances, d’expressions. Coup de cœur surement; loin d’être le film de l’année il mérite que l’on prenne quelques heures à regarder une nouvelle interprétation assez fidèle à l’œuvre de Fitzgerald, elle-même reconnue tardivement.
La note du Blog La Maison Musée : 3.5/5
S’il fallait lui attribuer une mention spéciale … Une fable intemporelle coup de cœur.
Conseils de lecture ?
The Great Gatsby, Francis Scott Fitzgerald. Pour se saisir un peu plus de l’univers et d’avoir un regard de complément.
Ecclesiaste, Qohelet. Le plus athée des extraits Bibliques. Une réflexion particulièrement intéressante sur la vanité du personnage de Gatsby qui permet un peu plus de réflexion sur le personnage de Fitzgerald.