Le contraste est violent, ŕ l’image de notre époque : l’Association des journalistes professionnels de l’aéronautique et de l’espace (AJPAE) a choisi de décerner le prestigieux prix Icare 2013 au célčbre pilote d’essais André Turcat. Mais, en parallčle, les męmes ont choisi d’une seule voix d’attribuer l’Icare International ŕ l’équipe européenne qui a développé avec succčs le démonstrateur Neuron (ou nEUROn) qui préfigure les avions de combat télécommandés, c’est-ŕ-dire sans pilote ŕ bord.
Le Neuro est une belle réalisation, qui contribue ŕ ouvrir une čre nouvelle, non seulement d’un point de vue technique, mais aussi industriel. Il prouve, si besoin est, que l’Europe unie est capable du meilleur, dans le cas-ci un programme de démonstrateur novateur mené conjointement par six pays, sous la conduite de la direction générale de l’Armement français et d’un maître d’oeuvre unique, Dassault Aviation. Les responsabilités étant clairement définies, cet appareil est devenu réalité dans des délais trčs courts, a respecté l’enveloppe budgétaire qui lui était attribuée et répond aux attentes opérationnelles de la fiche programme, notamment en matičre de furtivité.
Didier Gondoin, directeur général technique de Dassault Aviation, l’a dit haut et fort : les logiques nationales ont été dépassées, les partenaires industriels ont partagé un męme langage, en plateau virtuel, chacun respectant les limites de son domaine d’excellence.
L’ingénieur général Jean-Christophe Cardamone, responsables des drones au sein de la DGA, a noté pour sa part qu’il s’agit ni plus ni moins de préserver l’autonomie européenne en cette matičre essentielle. Ce démonstrateur est le précurseur d’un premier drone de combat, il prépare Ťsans tarderť une prochaine génération, des liens sont d’ores et déjŕ établis avec le Royaume-Uni, Ťcela malgré un environnement budgétaire contraintť.
Reste l’aspect paradoxal du programme Neuron. De toute évidence, les partenaires maîtrisent leur sujet et sont sans aucun doute pręts ŕ aller rapidement plus avant. Et on est en droit de se demander pourquoi l’Europe ne choisit pas de brűler les étapes, de passer sans plus attendre de la démonstration technologique ŕ la pratique purement opérationnelle. Et cela en élargissant le débat.
L’étonnant Neuron pourrait ętre la plate-forme, le systčme de base, pouvant se décliner en appareils qui éviteraient des achats sur étagčre hors Europe. Le Reaper de General Atomics, par exemple, pourrait avoir son pendant Vieille Europe sans plus attendre si l’audace était de mise. Pour l’instant, le Ťvolontarisme étatiqueť est bloqué lŕ oů il conviendrait de passer ŕ l’acte.
Bien entendu, ce n’est pas une raison, dans l’immédiat, pour bouder son plaisir. Le Neuron est une belle réalisation, qui plus est d’une parfaite aérodynamique, c’est une machine élégante, encore que perturbante. Sans doute André Turcat, comme d’autres, voudrait-il que s’ouvre une canopée, aprčs l’atterrissage, et que sorte du cockpit un pilote fringant. Nous voici passés ŕ tout autre chose. Seul le Rafale sauve l’honneur, provisoirement.
Pierre Sparaco - AeroMorning