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L'amour est considérable

Publié le 29 mai 2013 par Rolandbosquet

amour

   Après nombre de chroniques ici ou là, je m’aperçois que je n’ai jamais évoqué l’amour. Dans notre société de compétition, ce sentiment paraîtrait plutôt insolite si l’ambition de tout compétiteur n’était aussi de rencontrer l’amour. Il semblerait même que cette quête agite l’homme depuis la nuit des temps au même titre que sa propre survie et celle de son espèce. Ainsi l’exhortation de Jésus à ses apôtres était déjà parfaitement claire : aimez-vous les uns les autres. Même qui ne croit en rien peut en accepter le principe. Est-il en effet besoin de croire en l’homme pour aimer son prochain comme soi-même ? Est-il même indispensable de s’aimer soi-même ? La mère aime son enfant qui le lui rend souvent. L’homme aime sa compagne qui le lui rend parfois. L’homme politique aime ses électeurs jusqu’au jour du scrutin. La groupie aime et même adorrrre son chanteur préféré. Le critique aime le dernier film de Baz Luhrmann avec Léonardo DiCaprio, le "Misanthrope" de Jean-François Sivadier au théâtre de l’Odéon et la "Cuisinière d’Himmler" de Franz-Olivier Giesbert. Mais est-ce là aimer ? Le riche aime-t-il le pauvre avec qui il partage la moitié de son manteau ? Le pauvre aime-t-il plus miséreux que lui avec qui il partage un bol de viande bouillie à la soupe populaire ? Le bénévole qui le leur tend les aime-t-il ? Ou n’aiment-ils tous en réalité que la beauté supposée de leur geste ? Le randonneur aime la marche qui le conduit devant les plus beaux paysages de la Terre et il aime parfois ces paysages eux-mêmes qui le réconcilient avec la nature qui l’a malmené pendant tant de kilomètres. Le montagnard aime la route impossible qui le conduit au sommet inaccessible pour l’effort qu’elle exige de lui. Le marin aime la mer pour la solitude qu’elle lui procure, les tempêtes qui lui enseignent l’humilité, les couchers de soleil sur l’horizon pour leur somptuosité gratuite. Est-ce là aimer ? La vieille dame aime la charlotte aux fraises et la crème chantilly qui la recouvre, l’infirmière qui vient chaque matin lui "faire sa piqure" dans son deux-pièces du septième étage et l’agent qui lui fait traverser les Champs-Élysées aux heures de pointe. L’élève aime la maîtresse qui le gronde et raconte malgré tout des histoires à dormir debout d’ogres et de fées carabosses. L’adolescente aime son "prof. de math." beau comme un Adonis qui l’a interrogée trois fois depuis le début de l’année. L’étudiant aime et même vénère son maître de thèse pour le chemin qu’il lui indique. Mais est-ce là aimer ? Il a dessiné un cœur avec son couteau à cran d’arrêt dans le tronc du fayard sous lequel il l’a embrassée pour la première fois. Il a gardé au fond de sa poche le mouchoir qu’elle a laissé tomber sur le sol en quittant précipitamment la chambre d’hôtel où ils se sont rencontrés en cachette. Elle garde gravé dans les yeux le sourire qu’il lui a adressé en quittant le compartiment de métro où ils se croisent chaque matin. Est-ce là aimer ? En un mot, qu’est-ce qu’aimer ? Est-ce une question ? Est-ce une réponse ? Où courent donc  les gens qui aiment ? On voit par là combien l’amour est considérable.


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