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Peut-on lire Zola, plus de trente ans après avoir présenté son bac français ? N'est-ce pas un auteur réservé aux "classiques", qu'on ne relit pas, car c'est totalement désuet ? Non. D'abord parce qu'avec Kempf junior, il faut bien montrer que la lecture de ces "vieux trucs" a encore du sens. Et ensuite, parce que la description par Zola de la guerre mérite le détour.
Car la débâcle (aucune allusion à l'actualité, qu'allez vous donc chercher ?) n'est pas simplement le quasi fin du cycle des Rougon-Maquart, et le constat d'échec du projet du second empire. C'est aussi et surtout le récit de la guerre de 1870. Guerre négligée en Farnce, et qui pourtant est loin d'être inintéressante...
Je dois à mon fils que le début est assez lent, et qu'on se demande ce que fout cette armée qui se meut sans combattre et fuit l'ennemi, de l'Alsace à la Champagne, avant de monter aux Ardennes. Certes, il y a quelques bons passages (la description de la suite impériale et de ses caissons de vaisselle, dans une taverne non loin de Reims, est savoureuse). Mais pour le reste, hormis l'amitié qui se noue entre le paysan devenu soldat professionnel, Jean, et le jeune intellectuel parisien mi révolutionnaire, mi idéaliste qui s'est lancé dans l'armée par défi, Maurice, il y a beaucoup de ficelles qui ne choquaient pas quand j'avais seize ans, mais qui paraissent là très visibles : pas de hasard, il y a toujours un cousin qui traîne au bon endroit où ça se passe, et des rencontres "surprises" se multiplient. Quelques passages d'amour, comme on les écrivait fin XIX°, et qui sont, comme toujours, (et y compris dans les romans modernes) ennuyeux.
Toutefois, cela permet de comprendre que le désastre de Sedan était préparé de loin : absence de direction politique (l'empereur qui n'est là que comme potiche, l’impératrice et la cour donnant les ordres depuis Paris), flottement du commandement, absence de renseignement, masses de soldats errantes, sans approvisionnement, absence d'estafettes et de moyens de liaison ...Les rens, la log, les trans, "comme d'habitude", sont déficientes. Mais surtout, surtout, le commandement est absent.
On observe aussi tout un monde disparu : non seulement ce monde rural qui est encore la majorité de la population, mais aussi ces caporaux qui commandent encore un groupe d'hommes et sont, déjà, des chefs militaires, ou ces corps qui étaient alors "des pros" : zouaves, turcos, chasseurs... Les portraits d'officiers valent également le détour.
Surtout il y a des moments sensationnels. Lisez à partir du deuxième tiers (non provisionnel, les anciens comprendront), et vous aurez l'encerclement de Sedan, le récit de la maison de la dernière cartouche, la description de la charge du plateau d'Illy, dernière charge de la cavalerie française, où le général Margueritte (vous savez, celui du manège éponyme) perdit la vie, mais aussi l'incroyable et saisissante description de l'ambulance, où le major (le médecin) opère à la chaîne, ou encore l'ahurissant entassement des troupes battues et défaites dans Sedan.
Sautez encore quelques pages, et allez à la dernière partie : vous aurez alors le récit du siège de Paris, puis de la fuite des Versaillais, de la montée en aux extrêmes de la Commune, et de la lente, sanglante et incendiaire reconquête de la ville sur les acharnés, qui n'en sortent pas grandis. La ville a encore des fortifications, les forts d'Issy ou du Mont-Valérien servent encore à tirer des coups de canon, on se bat à Neuilly ou au point du jour. Paris est encore une ville que l'on assiège, qui se défend et où l'on se bat... Contraste saisissant avec ces fortifications qui ont été rasées, et sont devenues le périphérique ; ou de ces forts qui ne battent plus la campagne de leurs feux, perdus qu'ils sont dans une agglomération qui ne laisse plus place à l'urbanisme militaire. La ville aujourd'hui, n'est plus organisée pour la guerre comme elle l'était, encore et une dernière fois, en 1871. Et pourtant, la ville reste un lieu de guerre, et de destruction (Grozny, Sarajevo ou Bagdad en sont les exemples récents).
Un livre intéressant, donc, et qui vaut toujours le détour, même quand on n'est plus adolescent, et même s'il y a des longueurs, comme dans bien des romans...
O. Kempf