Alain Le Diberder, Homo Numericus

Publié le 28 mai 2013 par Oz

Il ne manque qu’un seul mot, mais cela change tout. Dans les années 1990, à Canal+, sur la carte de visite d’Alain Le Diberder on pouvait lire ”directeur des nouveaux programmes”. Depuis le mois de novembre, son curriculum vitae signale qu’il est désormais “directeur des programmes” – tout court – d’Arte. Nuance. Comme un transfert de compétence qui en dit long sur la mutation de la télévision à l’heure d’Internet ; quand tout bascule vers le digital ; quand ce qui était subalterne et accessoire devient prioritaire ; quand ce qui était nouveau ne l’est plus. En 2001, Alain Le Diberder avait quitté Canal+ après que la chaîne eut mis ses activités Internet en filiale (Canal Numedia), au risque de rompre “l’indispensable continuité entre le contenu de l’antenne et celui du Web”. Pour Canal Numedia, l’expérience tourna au fiasco.

Douze ans plus tard, chez Arte, la première des missions du directeur des programmes est de faire glisser en douceur la chaîne culturelle franco-allemande vers le tout-numérique, de fusionner les services et de faire d’Arte une entreprise 100 % bimédia. “Une obligation” autant qu’“une évidence” pour Alain Le Diberder. Une mission qu’il espère mener à bien d’ici à la fin de l’année. “Il était l’homme de la situation”, résume Véronique Cayla, présidente d’Arte. A la tête du Conseil national de la cinématographie (CNC), c’est elle déjà qui avait demandé à Alain Le Diberder de présider la commission “nouveaux médias“. Entre 2007 et 2010, elle avait pu y apprécier sa vivacité intellectuelle et son pouvoir de conviction “par petites touches”“Il était cohérent que l’on se retrouve”, estime la patronne d’Arte.

LA SUITE LOGIQUE D’UN CHEMINEMENT

Agrégé d’économie, normalien, pionnier du Web, l’homme a donc posé, à 58 ans, une petite valise dans un meublé de Strasbourg, son allure discrète, passe-partout, sa simplicité, derrière la grande façade vitrée d’Arte. Après vingt ans dans le privé, dont douze de start-up, cette nouvelle étape avec double “raison d’Etat” apparaît de fait comme la suite logique d’un cheminement toujours placé sous le signe des avancées numériques, aux croisements d’Internet et de la télévision, des télécoms et des jeux vidéo. Alain Le Diberder a créé et dirigé les sites de Canal+, inventé le “Deuxième monde” – première communauté virtuelle en ligne -, conçu les sites Culturebox et FilmoTV, lancé une chaîne de télé locale, TéléGrenoble, produit pour Canal+ “La Nuit cyber” et “Cyberculture”, et dirigé AlloCiné TV de 2010 à 2012.

Avec le logiciel Confident, il aurait pu inventer Facebook avant Mark Zuckerberg, mais la “bulle Internet” a explosé au mauvais moment. L’application a été vendue à Orange, qui n’en a rien fait. Quelques années plus tôt, jeune professeur de politique économique pour les prépas à l’ENA, il imagine, en jouant au flipper, un modèle mathématique de simulation de l’alternance politique. Bouton gauche du flipper : politique budgétaire : bouton droit : politique monétaire. Matignon – c’est le nom du programme – lui vaudra de remporter un concours, l’édition du programme et son premier ordinateur. Légué à un éditeur scolaire, Matignon servait encore dans sept académies en France au moment du passage à l’euro.

De ses années Canal+, il se souvient du goût des fêtes, du strass et des paillettes, de l’argent facile et du sentiment que cela durerait toujours. D’une société parisienne de la télé vivant en vase clos. Sur les bords de l’Ill, on aime aussi les fêtes, mais l’existence ne tourne pas exclusivement autour du petit écran. L’air de province a cette vertu de ne pas gonfler les baudruches. L’ambiance est joyeuse mais plus feutrée. On imagine qu’elle sied mieux à la réserve de l’ancien conseiller technique de Jack Lang, chargé des médias et des nouvelles technologies au ministère de la culture“Il doit se sentir plus dans son élément ici “, espère Véronique Cayla.

Dans les couloirs d’Arte, Alain Le Diberder dit avoir trouvé en tout cas une gaieté qu’il n’attendait pas dans les relations franco-allemandes. En réalité, les connivences gomment les différences. Le Diberder observe surtout des complicités se bâtir, des amitiés se nouer. L’harmonie du duo qu’il forme avec son adjoint, Florian Hager, “fait plaisir à voir”, se réjouit Véronique Cayla. Le directeur des programmes, lui, ne se lasse pas d’entendre le “gazouillis” singulier des questions en français et des réponses en allemand, des phrases qui commencent dans une langue et se terminent dans l’autre. “Une belle utopie “, qui le renvoie aux rues melting-pot du Grenoble de son enfance. Cela a compté aussi, cette mixité, dit-il, dans le choix de rejoindre l’Alsace, laissant – provisoirement – femme et fille en Isère.

Et puis c’est aussi une forme de compagnonnage au long cours avec la chaîne qui a décidé Alain Le Diberder. Il y a une trentaine d’années, il se trouve que c’est à lui que Pierre Desgraupes, chargé de plancher sur une chaîne culturelle, avait confié l’étude économique du projet. Une chaîne devenue La 7, puis Arte. Le dossier de la chaîne franco-allemande lui est revenu dans les mains quelques années plus tard au ministère de la culture. Comme si tout cela avait été écrit d’avance. Le destin finit toujours par vous rattraper par la manche.

Olivier Zilbertin

 

DIRECTEUR DES PROGRAMMES

15 JUIN 1955: NAISSANCE À GRENOBLE – 1980: THÈSE EN ÉCONOMIE DES TÉLÉCOM – 1989: CONSEILLER TECHNIQUE AUPRÈS DE JACK LANG – 1994: DIRECTEUR DES NOUVEAUX PROGRAMMES DE CANAL + – 2001: PDG DE BUZZ2BUZZ, CABINET D’ARCHITECTURE EN NOUVEAUX MÉDIAS – 2010: DIRECTEUR GÉNÉRAL D’ALLOCINE TV – 2012: DIRECTEUR DES PROGRAMMES D’ARTE