Les analyses sont nombreuses mais réservées ŕ des spécialistes, tandis que l’opinion publique, dont les contours sont pour le moins flous, tarde ŕ adopter des points de repčre nouveaux. D’oů les difficultés qui compliquent singuličrement le travail des professionnels de l’information, de part et d’autre du miroir qui séparent les journalistes des communicants. Un problčme omniprésent, que rencontre notamment le monde de la sécurité aérienne dont les intervenants travaillent sous pression, dans un environnement de plus en plus ingrat, mais qui ne s’adaptent peut-ętre pas suffisamment vite ŕ des rčgles du jeu entičrement nouvelles. D’oů l’intéręt d’y réfléchir quand l’actualité est calme, ŕ bonne distance de l’accident le plus récent. D’autant qu’il convient de prendre en compte des soucis qui vont bien au-delŕ du crash ŕ proprement parler. Par exemple la débâcle des batteries lithium-ion du Boeing 787 qui ŕ suscité de multiples interrogations, ŕ propos de la maničre de faire de la Federal Aviation Administration, a inquiété le National Transportation Safety Board et a secoué la communauté de la sécurité aérienne tout entičre.
Déjŕ, il s’avčre difficile de cerner le contexte ŕ examiner. En marge de l’affaire Cahuzac, on a remarqué que de nombreux commentateurs, en męme temps que des politiciens, qualifiaient systématiquement Médiapart de Ťsite internetť alors qu’il s’agit d’un journal en ligne. Le détail est révélateur du temps de retard des uns par rapport ŕ la réalité des autres. Dans le męme esprit, pour évoquer Twitter, Facebook, voire YouTube, la terminologie la plus répandue est celle de Ťréseaux sociauxť, impropre dans la mesure oů il s’agit en réalité de Ťmédias sociauxť. La nuance est d’importance, comme le fait remarquer Hervé Pargue, spécialiste de cette discipline encore trčs nouvelle. Il l’a souligné avec raison lors d’un récent séminaire de l’Académie de l’air et de l’espace intitulé Ťmédias et sécurité aérienneť.
Peu aprčs les attentats de Boston, le New York Times, repris en France par Le Nouvel Observateur, a évoqué ce qu’il a appelé un écosystčme de l’information instable et étrange, dénonçant l’absence de ligne de partage entre Internet et le vrai monde. Une réflexion parue dans le New York Magazine sous la signature de James Gleick, débute sur un ton narquois en męme temps qu’instructif. Ce confrčre évoque un arbre qui tombe, dans la foręt, et que personne n’entend. ŤMaintenant, il y a un microphone dans chaque arbre et un haut-parleur sur chaque branche, sans męme parler des caméras vidéo, et nous sommes entrés dans cet état que [l’écrivain] David Foster Wallace appelait le Bruit Total, le tsunami de faits, contexte et perspective ŕ notre dispositionť.
Comment répondre ŕ ce défi, ŕ la disparition du monopole des canaux traditionnels de l’information ? Hervé Parque prévient compagnies aériennes, Pouvoirs publics, constructeurs, autorités de l’aviation civile : il leur faut abandonner l’idée d’une communication entičrement maîtrisée, comprendre les capacités de mobilisation inédites et Ťleur impact sur la cristallisation de l’opinion publiqueť. Ses conseils de spécialiste reconnu en la matičre : anticiper, ne pas attendre l’accident pour aller sur les médias sociaux, abandonner la posture classique de la communication institutionnelle, jouer la transparence.
Jean-Charles Tréhan, directeur des relations avec les médias d’Air France, applique des préceptes similaires, męme s’il utilise un vocabulaire différent. Et il reconnaît l’existence d’un contrat d’objectif avec la direction des vols de la compagnie, sachant qu’il faut non seulement communiquer mais aussi maintenir la conscience du risque. Ce faisant, il tend ŕ nous rassurer dans la mesure oů, de toute évidence, la compagnie a bien pris en compte un véritable changement d’époque. Remarque entendue récemment : ŤAir France ne veut plus ętre une forteresse assiégéeť. Lŕ encore, sans qu’il s’agisse de vœux pieux, on prend note du souhait d’établir une relation de confiance avec les médias. Et le BEA, notamment, ne dit pas autre chose.
Mais quels médias ? ŤSociauxť ou Ťclassiquesť ? De toute évidence, il faudra persévérer, aller plus avant, pour formuler une réponse satisfaisante.
Pierre Sparaco - AeroMorning