On connaissait déjà la pratique de la communication virale des entreprises. Que ce soit par la publicité « institutionnelle » ou par le fait de demander aux salarié-e-s de porter les couleurs et la marque de la boite pour laquelle ils bossent. J’abuse ? Pas tant que cela : de la chemise griffée du logo de l’entreprise, en passant par la serviette porte document ou par le parapluie XXL offert siglés, les entreprises ont tout à gagner à ce « marketing volontaire », comme disent les champions de la novlangue. Sans parler des cas extrêmes : se faire tatouer la marque de sa boite pour un salaire un peu plus élevé.
Alors bien entendu, on va nous ressortir que tout cela relève d’un choix, d’un droit, ou de la servitude volontaire. Ok, pourquoi pas. Mais ce qui est inquiétant, c’est que cela va de plus en plus loin. Et ce sans que personne ne semble devoir dire quoique ce soit.
Pour ceux qui ont un compte Facebook, Twitter ou autres réseaux sociaux, ou même si vous n’en avez pas, sûrement par mail avez-vous déjà reçu ce message d’un ou d’une ami-e qui vous dit de consommer tel ou tel produit, d’aller dans tel ou tel restaurant, de venir profiter de la « super vente » d’un magasin, d’utiliser les produits tartempion plutôt que barjabulle. Et bien cela relève d’une nouvelle logique : celle de vendre un peu de sa vie en plus !
On le sait, les salariés ont toujours été encouragés à dire du bien de leur boite. Mais là, c’est plus direct, plus vicieux aussi. Car il s’agit non pas d’imposer de faire, mais de donner l’impression d’une liberté de faire, par un gain à la clef. En gros : une prime ou autre, contre de bons retour sur investissement (vente, etc...). Et le système fonctionne à merveille !
C’est ainsi que, d’eux-mêmes, des salariés de bar, magasins de fringues, grandes enseignes de la distribution, restaurants, etc… vont mettre de la pub pour leur lieux de travail sur leurs pages Facebook, compte Twitter, envoyé par mail aux amis…
En voilà une pub pas cher pour ces lieux ! Imaginons une prime disons de 100 € pour celui qui vend le plus de pulls marinières. Vous avez 15 salariés sur l’enseigne. Disons que 10 jouent le jeu de vendre un espace qui est sensé être à eux, un espace de communication de leur vie, un espace intime, pour promouvoir le magasin… Banco ! Pour 100 € de prime investie c’est des milliers d’euros de pub économisés. Et qui vont directement dans la poche non pas des salariés (on parle de 100€ de prime au plus méritant) mais dans celle de l’enseigne, et in fine du patron.
N’est ce pas là un coup de génie ? Salaire bas, prime désuète mais quand même non négligeable pour qui gagne déjà peu, qui permet en plus de faire des économies d’échelle sur la pub. Et le tout pour un seul réel bénéficiaire dans l’histoire…
Mais ce qui interroge, c’est la capacité et la facilité avec laquelle ceux qui acceptent (contraints ou pas) de jouer le jeu vendent leurs vies,leurs temps libres, et attachent ces dernières à leurs métiers comme si ceux-ci devait les définir. Ca fait presque froid dans le dos, car sans s’en rendre compte, ou en le sachant mais sans peut être voir ce que cela entraîne ensuite, ils perdent la notion de distance, de critique et de mépris souvent nécessaire à supporter le monde du travail.
Au final, cette utilisation des nouvelles technologies, au-delà de la pub, mais par l’implication de l’intime des salariés pour le bien de l’entreprise, marque pour moi une nouvelle étape vers l’entreprise-tout, le monde managérial pure, le non-monde de perdition de l’humain dans les rouages du fric à tout prix. Le monde-entreprise devient la norme, la normale, l’intime n’est plus là, il se fond dans les besoins de l’entreprises, se fond aux commandements de l’entreprises, faisant abdiquer de fait les salariés face à leur boite, par l’appât de l’argent mêlé à une compétition factice qui ne sert que les intérêts du patron.
In fine, les « réseaux sociaux », sensés ramener de l’humanité dans le cyber espace, semblent se diriger vers un nouvel outil de conformisme, normalisation capitaliste et publicité larvée, cachée, voir détournée. Et de servitude volontaire ou non, où l’on devient le porte parole de son entreprise, là où l’on devrait porter la sienne et être dans l’échange. Voir dans la révolte.
PS : pour ceux qui liront ce texte, je ne suis pas dans le jugement, j’affirme mon ressenti. Vous êtes sur divers supports des dizaines aujourd’hui à placer de la pub pour ceci ou cela, toujours en lien avec votre activité salariale. C’est cette profusion soudaine, couplée au fait que plusieurs d’entre vous m’ont confirmé le fait que c’était lié à des primes, qui m’ont donné le point de départ de ce texte.