La Cour de cassation viens de statuer, par trois arrêts de cassation, sur la légalité de la tenue des audiences dans les centres de rétention.
Dans son attendu de principe, elle indique que « la proximité immédiate exigée par L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est exclusive de l’aménagement spécial d’une salle d’audience dans l’enceinte d’un centre de rétention ».
Traduction : les salles d’audiences ne doivent pas être situées dans l’enceinte des centres de rétention.
Pour comprendre ces décisions, il convient de se reporter à la Décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 du 20 novembre 2003 (Loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité), visée par la Cour de cassation.
(Voir les considérants 79 à 83)
81. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires qu'en autorisant le recours à des salles d'audience spécialement aménagées à proximité immédiate des lieux de rétention ou à des moyens de télécommunication audiovisuelle, le législateur a entendu limiter des transferts contraires à la dignité des étrangers concernés, comme à une bonne administration de la justice ; que, par elle-même, la tenue d'une audience dans une salle à proximité immédiate d'un lieu de rétention n'est contraire à aucun principe constitutionnel ; qu'en l'espèce, le législateur a expressément prévu que ladite salle devra être « spécialement aménagée » pour assurer la clarté, la sécurité et la sincérité des débats et permettre au juge de « statuer publiquement »...
En d’autre terme, le Conseil Constitutionnel avait validé la tenue d’une salle d’audience « a proximité immédiate » d’un centre de rétention, mais n’avais pas donné son aval pour que l’étranger soit jugé sur place.
C’est du moins l’analyse de la Cour de cassation.
Toutes nos félicitations à l'Ordre des avocats du Barreau de Marseille, au CNB, au SAF et aux avocats qui ont obtenu ces décisions.
Nous reproduisons le plus intéressant des trois arrêts (quatre censures pour un seul arrêt !)
Cour de cassation - Première chambre civile - Arrêt de cassation n° 561 du 16 avril 2008 - 06-20.978
…Attendu que M. X..., ressortissant algérien, a fait l'objet d'arrêtés de reconduite à la frontière et de placement en rétention administrative pris par le préfet du Vaucluse ; que le juge des libertés et de la détention, statuant dans une salle d'audience attribuée au ministère de la Justice, a ordonné la prolongation de la mesure de rétention ;
Sur le premier moyen :
Vu l’article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour déclarer irrecevable l’intervention volontaire à titre accessoire de l’ordre des avocats au barreau de Marseille, l’ordonnance attaquée énonce que l’étranger avait été assisté d’un conseil lors de l’audience devant le juge des libertés et de la détention, qu’il a pu interjeter appel de la décision de prolongation de rétention, qu’il a été également assisté d’un avocat lors de l’audience d’appel et que les difficultés liées à la délocalisation du centre de rétention du Canet ne constituent pas une entrave à la profession d’avocat ;
Qu’en se déterminant par ces seuls motifs, qui ne se prononcent pas sur le mérite du moyen tiré de la méconnaissance des principes qui gouvernent l’exercice de la profession d’avocat, le premier président n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;Et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l’article 455, alinéa 1, du code de procédure civile ;
Attendu que l’ordonnance attaquée, infirmant la décision du premier juge, a déclaré le conseil national des barreaux irrecevable en son intervention volontaire, à titre accessoire ;
Qu’en statuant ainsi, sans donner aucun motif au soutien du dispositif de sa décision, le premier président n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen :
Vu l’article L. 411-11 du code du travail ;
Attendu que pour déclarer irrecevable l’intervention volontaire du Syndicat des avocats de France, l'ordonnance attaquée retient que la contestation des conditions de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer sur la prolongation de la rétention administrative ne rentre pas dans le cadre des dispositions prévues par l’article L. 411-11 du code du travail visant les droits réservés à la partie civile ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette disposition n’est pas, par principe, inapplicable à un tel litige, le premier président a violé les textes susvisés ;
Et sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l’article L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 ;
Attendu qu’aux termes de l’article précité, quand un délai de quarante-huit heures s'est écoulé depuis la décision de placement en rétention, le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation de la rétention ; qu’il statue par ordonnance au siège du tribunal de grande instance dans le ressort duquel se situe le lieu de placement en rétention de l'étranger, sauf exception prévue par voie réglementaire, après audition du représentant de l'administration, si celui-ci, dûment convoqué, est présent, et de l'intéressé en présence de son conseil, s'il en a un ; que toutefois, si une salle d'audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée à proximité immédiate de ce lieu de rétention, il statue dans cette salle ;
Attendu que pour rejeter l’exception de nullité tirée d’une violation de l’article précité, le premier président a retenu que la salle d’audience, qui est située dans l’enceinte commune du centre de rétention, de la police aux frontières et du pôle judiciaire, se trouve bien à proximité immédiate des chambres où sont retenus les étrangers, en ce sens que sa situation correspond bien aux prescriptions de l’article précité, étant observé que cette salle dispose d’accès et de fermeture autonomes ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la proximité immédiate exigée par L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est exclusive de l’aménagement spécial d’une salle d’audience dans l’enceinte d’un centre de rétention, le premier président a violé le texte précité…
Voir également :
Cour de cassation - Première chambre civile - Arrêt de cassation n° 559 du 16 avril 2008 - 06-20.390
Cour de cassation - Première chambre civile - Arrêt de cassation sans renvoi n° 560 du 16 avril 2008 - 06-20.391
Les trois arrêts en PDF sont sur le site du SAF :
- Abbas
- Boulzazane
- Moraru
Les premiers commentaires :
Sur le site du Monde : Etrangers : les audiences délocalisées en centre de rétention jugées illégales, par Laetitia Van Eeckhout
…Le président du tribunal de grande instance de Marseille a aussitôt pris acte de cette décision de portée normative et décidé que, dès jeudi 17 avril, les audiences concernant les étrangers retenus au centre du Canet se dérouleraient à nouveau au palais de justice.
Son homologue de Toulouse en a fait de même. Dès l'ouverture, le 1er juillet 2006, du nouveau centre de rétention de Cornebarrieu, installé en bordure immédiate des pistes de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, les audiences judiciaires avaient été tenues dans les locaux. Désormais, elles le seront au tribunal.
En revanche, la troisième salle d'audience "délocalisée" pour étrangers en situation irrégulière qui avait été ouverte dès juin 2005 à Coquelles (Pas-de-Calais) ne sera pas, dans l'immédiat, fermée. Le juge des libertés de Boulogne-sur-Mer a informé les avocats qu'il continuerait à y tenir ses audiences. Le magistrat considère que la configuration n'est pas la même qu'à Toulouse ou Marseille. A Coquelles, les jugements sur le maintien en rétention sont bien prononcés dans l'enceinte générale du CRA, mais le juge statue dans un bâtiment distinct de celui où sont retenus les étrangers….
Sur le site du SAF : La Cour de Cassation déclare illégales les salles d’audience délocalisées dans l’enceinte des centres de rétention : grande victoire de l’état de droit grâce au travail des avocats du SAF
… Ce qui signifie que tous les étrangers retenus plus de 48 heures depuis plusieurs années dans les centres de Coquelles, Cornebarrieu et Le Canet, l’ont été illégalement et peuvent prétendre à une indemnisation pour le préjudice causé.
Et que tous ceux qui sont actuellement retenus depuis plus de 48 heures aux termes de décisions prises dans ces conditions doivent être immédiatement libérés et les salles d’audience fermées…
Sur le journal d’un avocat : Le ministère de l'intérieur n'est pas le ministère de la proximité immédiate
Sur Justice et Procès : La justice reconduite aux frontières du lieu de rétention administrative