Manif pour tous : toujours autant de mobilisation

Publié le 27 mai 2013 par Sylvainrakotoarison

Le Conseil Constitutionnel a été plus efficace que les manifestants pour limiter l’aventure sociétale. Après cette forte mobilisation pour le dernier baroud d’honneur contre le "mariage pour tous", il est temps de passer à autre chose, maintenant qu’il s’impose à tous.

Dimanche 26 mai 2013, alors que le jury du Festival de Cannes récompensait un film racontant l’amour entre deux femmes, les opposants au mariage pour les couples homosexuels ont réussi leur troisième grande manifestation à Paris après le 13 janvier 2013 et le 24 mars 2013.

Entre la rue et la loi

La bataille des chiffres n’a pas grand intérêt sinon d’envisager que certains parlent en euros et d’autres en francs : 150 000 manifestants selon la police, plus d’un million selon les organisateurs. L’écart est si excessif qu’il en devient insignifiant. Il suffit de voir les rues de Paris pour comprendre que dans tous les cas, et malgré les déclarations assez inédites par leur intimidation d’un Ministre de l’Intérieur quelques heures avant l’événement, ce fut un franc et étonnant succès.


Je le considère en effet étonnant car dans cette bataille entre le gouvernement et la rue, le gouvernement a évidemment déjà "gagné", et c’est heureux pour tous les partisans de l’ordre républicain, tout comme le gouvernement précédent avait "gagné" la réforme des retraites en 2010 face à la rue. La rue peut se mobiliser, mais elle n’exprimera jamais la volonté populaire qui doit avant tout s’exprimer dans les urnes. C’est d’ailleurs ce que compte désormais répéter Jean-François Copé, présent pour la dernière fois dans une telle manifestation, en voulant se focaliser sur les élections municipales de mars 2014.

Certes, au printemps 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin, après un entêtement hors norme, avait finalement dû reculer sur injonction du Président de la République Jacques Chirac lors des manifestations contre le CPE (contrat première embauche), et à l’époque, effectivement, la loi avait été déjà adoptée et le Président allait la promulguer en annonçant en même temps qu’il ne l’appliquerait pas (une véritable première historique, d’un point de vue institutionnel !).

Mais il faut quand même reprendre le cours des événements.

La réforme est faite

Le 23 avril 2013, l’Assemblée Nationale a adopté en seconde lecture le projet de loi défendu par Christiane Taubira avec 331 voix favorables et 225 voix défavorables. Pour aller plus rapidement dans la procédure, les députés n’avaient fait aucune modification au texte adopté en première lecture par le Sénat le 12 avril 2013. Résultat, l’adoption du projet de loi a été définitive, et après le recours de plusieurs parlementaires, le Conseil Constitutionnel a rendu le 17 mai 2013 son avis de conformité au bloc constitutionnel. Dès le 18 mai 2013, le Président de la République François Hollande l’a donc promulguée, ce qui bouleverse l’article 143 du Code civil : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. ».


En clair, l’affaire est pliée, que l’on soit pour ou contre, plutôt pour ou plutôt contre, ou même indifférent. La loi de la République s’applique à l’ensemble du territoire et s’impose à tous les citoyens. Y compris les maires.

Au même titre que Noël Mamère, député-maire de Bègles, avait été hors-la-loi en voulant, avant l’heure, célébrer un mariage pour un couple homosexuel le 5 juin 2004 (il avait même été condamné à une suspension d’un mois de ses fonctions de maire et l’acte avait été annulé par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 27 juillet 2004), les maires qui, aujourd’hui ou demain, voudraient refuser de célébrer un mariage en seule raison du caractère homosexuel du couple, s’exposeraient également, par cette même logique constitutionnelle, à se retrouver hors-la-loi.

Miser sur l’esprit de responsabilité

Le premier mariage d’un couple homosexuel devrait être célébré le 29 mai 2013 à Montpellier en présence de la ministre Najat Vallaud-Belkacem. J’espère que la sécurité y sera solidement assurée, tant ce sujet est devenu sensible et passionnel. En fait, un couple de femmes lesbiennes avait déjà été uni de la sorte le 4 juin 2011 à Nancy.


S’il n’y a aucune raison de reprocher à de simples citoyens d’aller manifester contre un sujet même si la loi est désormais applicable (c’est la démocratie qui veut la liberté d’expression et de manifestation), je trouve en revanche choquant et assez irresponsables que des élus, en particulier des parlementaires, continuent à manifester contre une loi qui vient d’être votée et promulguée. L’insoumission aux lois de la République serait la porte ouverte à toutes les aventures et à tous les abus.

Ce n’est donc pas étonnant qu’une personnalité qui s’était pourtant opposée à la loi Taubira, comme l’ancien Premier Ministre François Fillon, ait refusé de manifester et même de contester ce qui, désormais, s’impose à tous. On ne peut pas être républicain à moitié. C’est la règle du jeu, même si ça ne plaît pas.

La seule sortie par le haut de l’opposition à la loi Taubira ne peut être que dans une réflexion pour l’avenir. L’avenir de la loi Taubira sous deux perspectives.

Pourra-t-on abroger la loi Taubira ?

La première perspective serait dans le cas d’un changement de majorité en 2017. Est-il possible de revenir sur la loi Taubira ? Malheureusement pour les opposants, il paraît évident que cette loi est définitive : on peut légiférer pour donner un droit nouveau, pas pour en enlever.


Car entre 2013 et 2017, il est certain qu’un certain nombre de couples homosexuels se marieront. Par conséquent, revenir sur cette loi, c’est assurément choisir l’une des deux voies de toute façon impossibles : ou tous ces mariages seraient annulés et alors, la parole de l’État serait remise en doute (ces annulations seraient alors rapidement annulées elles-mêmes, soit au niveau français, soit au niveau européen) ; ou les couples homosexuels mariés le resteraient mais il serait alors impossible à d’autres de se marier, et là aussi, on comprendra que le principe d’égalité de traitement entre situations équivalentes n’aurait pas été appliqué (ce serait anticonstitutionnel).

De la même manière, il serait difficile de revenir sur des adoptions qui auront lieu dans le cadre de cette loi durant cette période ni de les interdire dans le futur.


La seule possibilité pour une autre majorité serait juste de modifier à la marge quelques détails concernant la loi Taubira, mais son principe ne pourrait probablement pas être modifié. D’ailleurs, cet exemple montre à l’évidence que dans certains cas, une majorité ne peut pas défaire ce qu’une autre a fait. C’est pourquoi, pour ces cas-là, il aurait fallu que la loi Taubira fût au moins constitutionnelle pour qu’elle ait pu recueillir le consentement d’une large partie de la représentation nationale (au moins les trois cinquièmes). Ce qui n’a pas été le cas.

Pourra-t-on aller encore plus loin que la loi Taubira ?

La seconde perspective, c’est la possibilité, à l'inverse, d’aller encore plus loin que la loi Taubira, c’est ce que craignent d’ailleurs principalement les opposants à cette loi, à savoir, l’extension de la PMA (procréation médicalement assistée) aux couples homosexuels (mariés ou non ; du reste, le mariage n’est pas une condition pour la PMA dans le cas de couples hétérosexuels), voire l’autorisation de GPA (gestation pour le compte d’autrui), actuellement interdite aussi aux couples hétérosexuels.


Et en ce sens, si la validation de la loi Taubira par le Conseil Constitutionnel était prévisible, ce dernier a émis dans son avis (qu’on peut lire intégralement ici) quelques réserves très intéressantes pour prendre date pour l’avenir.

En effet, sur les quatre-vingt-douze considérations de l’avis, sans doute le quatre-quatrième est le plus important pour l’avenir car il y met des balises constitutionnelles que les futurs législateurs ainsi que les futurs membres des prochains Conseils Constitutionnels devront prendre en compte.

1°. L’avis a constaté que la loi Taubira ne change aucune règle concernant la PMA et la GPA : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » (article 16-7 du Code civil).

2°. Les Sages ont rappelé le cadre inscrit dans l’article L.2141-2 du Code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée, d’un couple formé d’un homme et d’une femme en âge de procréer, qu’ils soient ou non mariés. ».

3°. Ils ont aussi insisté sur le fait que « les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe ».

4°. Ce qui a eu pour conséquence de rendre invalide le principe d’égalité dans ce domaine : « Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l’objet de la loi qui l’établit. ».

5°. Enfin, l’avis a eu la volonté de clore toute discussion constitutionnelle future sur le sujet : « Par suite, ni le principe d’égalité, ni l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi [n’imposent] qu’en ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant ces différentes matières. ».

L’avenir moins incertain qu’on pourrait le croire

En ce sens, si les intentions tant du Président de la République que de certains ministres et de certains parlementaires de la majorité n’étaient pas claires sur la PMA ni même la GPA, le Conseil Constitutionnel a précisément bordé l’action de ceux-ci concernant les couples de même sexe : ni PMA, ni GPA.

Certes, rien n’interdirait, plus tard, le législateur, de remettre en cause l’article L.2141-2 du Code de la santé publique en élargissant l’application de l’assistance médicale à la procréation mais la très forte mobilisation populaire peut servir justement d’avertissement aux futures aventures sociétales.

C’est d’ailleurs en ce sens que François Hollande a semble-t-il décidé de renoncer à d’autres réformes sociétales pour ne se consacrer qu’à l’essentiel sur lequel il sera jugé, à savoir l’emploi et la croissance. Si c’est vraiment le cas, je m’en réjouirai.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (27 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
L’avis du Conseil Constitutionnel du 17 mai 2013 (texte intégral).
À quand l’apaisement ?
Et si l’on pensait plutôt aux familles recomposées ?
Deux papas ?
Le premier mariage lesbien.
L’homosexualité malmenée en Afrique.
Mariage gris.
Mariage nécrophile.
Mariage annulé pour musulman.
Le coming out d’une star de la culture.
François Hollande.
Christiane Taubira.

 

 
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