Une précision. Aux dernières nouvelles, Areski Aït-Larbi n’est pas un islamiste, ni un FFiste égaré, ni un harki. Il n’est qu’un journaliste qui fait son métier de journaliste libre à la recherche de la vérité et de la justice.
Lisez attentivement ces articles. Assassinat de Tahar Djaout : un crime sans coupables Par Arezki Aït-Larbi, Le Matin, 26 mai 2001 Le 26 mai 1993, Tahar Djaout était tué de deux balles dans la tête par un mystérieux commando armé. Huit ans plus tard, le crime n'est pas élucidé et les assassins courent toujours.
Le 1er juin 1993, au journal de 20 h de la Télévision algérienne, un jeune homme de 28 ans, Belabassi Abdellah, passe aux aveux. Présenté comme le chauffeur du commando, il affirme que l'ordre d'abattre Tahar Djaout venait de Abdelhak Layada, « émir » du GIA, et qu'une fetwa avait été lancée contre le journaliste, car « il était communiste et avait une plume redoutable qui influençait les musulmans » ! Puis il donne les noms de ses complices : Boubekeur Ras-Leghrab, marchand de bonbons et chef du groupe ; Brahimi Mohamed dit Toufik ; Ahmed Benderka et Abdelkrim Aït-Ouméziane. Il affirme que pour brouiller les pistes, il devait les déposer à Bab El Oued (environ 15 km de la cité de Baïnem où habitait Djaout) et les récupérer, après l'attentat, dans un autre endroit. Ultime révélation, il serait l'unique survivant du commando, ses complices ayant tous été abattus lors d'accrochages avec les forces de l'ordre.
Saïd Mekbel, le célèbre billettiste du journal Le Matin, ne cache pas son scepticisme : « On nous annonce que quatre des assassins de Tahar Djaout ont été tués », écrit-il le lendemain dans « Mesmar Djeha », sa chronique quotidienne. « Qu'on me pardonne de le dire si brutalement : l'annonce a été reçue comme un gros gag, elle a même fait rire certains de désespoir. C'est qu'on ne croit plus rien, on ne croit plus personne. » Ce doute sera conforté par de curieuses lacunes dans l'enquête. En retrouvant, quelques heures après l'attentat, le véhicule de Djaout utilisé par les assassins pour leur fuite, la police s'est empressée de le restituer à la famille, sans procéder aux expertises d'usage. Les voisines qui, de leur balcon, ont vu les assassins, n'ont pas été convoquées pour éventuellement les identifier « Commanditaires de l'ombre »
Au lendemain de l'enterrement, une vingtaine d'artistes et d'intellectuels décident de créer un « Comité vérité Tahar Djaout ». Dans un communiqué publié le 7 juin 1993, ils appellent l'opinion publique à les soutenir dans leur quête, car, écrivent-ils, « trop de crimes politiques restent impunis dans notre pays. Les images de lampistes exhibées à la télé ne pourront masquer les commanditaires de l'ombre ». Parmi les signataires, le professeur en psychiatrie Mahfoud Boucebsi, le chirurgien Soltane Ameur, les écrivains Rachid Mimouni et Nordine Saâdi, le cinéaste Azzedine Meddour et le journaliste Omar Belhouchet. Saïd Mekbel, coordinateur du comité, explique ses objectifs : « Nous sommes résolus à lancer une tradition pour connaître les vrais auteurs et commanditaires de ces crimes. »
Début juillet 1994, l'affaire Djaout arrive devant la Cour spéciale d'Alger, juridiction d'exception créée en 1993 pour juger les affaires de terrorisme, et aujourd'hui dissoute. Dans le box des accusés, le « chauffeur » Belabassi Abdellah et « l'émir » Abdelhak Layada, arrêté une année auparavant, ont la mine crispée. Le procès commence par un coup de théâtre : Belabassi revient sur ses aveux télévisés et déclare avoir parlé sous la torture. Ses avocats affirment même détenir la preuve qu'au moment du crime il s'entraînait avec son club de handball au stade du 5-Juillet. Quant à Layada, déjà condamné à la peine capitale pour d'autres crimes, il semble tenir à son innocence dans celui-ci, comme si sa vie en dépendait : « Je ne connaissais même pas Tahar Djaout, plaide-t-il, je n'ai entendu parler de lui qu'après sa mort »
En effet, au moment de l'attentat, « l'émir » du GIA se trouvait au Maroc depuis deux mois, avant d'être extradé vers l'Algérie une année plus tard, suite à d'âpres négociations entre les autorités des deux pays.
Expédié en quelques heures, le procès se termine par un verdict surprenant : Layada est acquitté et Belabassi, poursuivi pour complicité dans d'autres attentats, écope d'une peine de dix ans de prison.
Hérésie subversive
A l'annonce de cette sentence, Layada apostrophe les journalistes, venus nombreux : « La justice m'a innocenté dans cette affaire, j'espère que vous en tiendrez compte dans vos articles ! » Cet acquittement n'empêchera pas certains d'entre eux de revenir sur la fable du « poète assassiné par un marchand de bonbons, sur ordre d'un tôlier ». De bonne foi ou commandités, ces écrits confortent le classement du dossier judiciaire et évitent les questions, certes gênantes, mais fondamentales, et qui sont restées, à ce jour, sans réponse : qui sont les assassins de Tahar Djaout ? Qui sont leurs commanditaires ?
Dans un pays qui n'a pas fini de sécher ses larmes, de panser ses blessures, et qui compte encore ses morts par dizaines, cette quête de vérité peut paraître dérisoire. Pour certains milieux politico-médiatiques qui ont érigé la propagande du pouvoir au rang de vérité absolue, c'est une hérésie subversive. Au nom de « la famille qui avance », une formule empruntée au dernier éditorial de Tahar Djaout et détournée de son sens initial, de véritables « commissaires politiques » sont chargés de traquer les velléités de remise en cause du discours officiel : le moindre doute, la plus timide interrogation sont condamnés comme des « tentatives d'absoudre les islamistes de leurs crimes » !
Malgré toutes ces manoeuvres, il reste toutefois une certitude : huit ans après, l'assassinat de Tahar Djaout, comme tant d'autres, reste une énigme. Au moment où la presse indépendante, menacée par des lois liberticides, se mobilise pour sa survie, l'exigence de justice et de vérité sur le sacrifice de son premier martyr devrait être au premier rang de ses préoccupations. Au-delà du symbole, il y va de la crédibilité de son combat.
Par Arezki Aït-Larbi , Journaliste indépendant