[note de lecture] Jean-Luc Steinmetz, "Et pendant ce temps-là", par Jacques Morin
Par Florence Trocmé
Le titre est important par son côté allusif et aléatoire. On reste dans la
fiction ou le réel alors que coulissent juste à côté le réel accidentel ou la
fiction contingente qui comptent tout autant. Le poète est à son poste de
travail, d’écriture et toutes sortes de réflexions lui viennent en tête, comme
dans un journal C’est au printemps que je
recommence à écrire / sans plus de confiance pour rien. La saison est
plantée dans sa magnificence normande, avec la renaissance de l’envie et de
l’inspiration. Il y a du bucolique et de la verdeur dans cette levée de sève.
En parallèle ou paradoxe, c’est l’approche consciente de la mort qui fait thème
de fond et leste la parole, mêlée aux pensées plus légères sur la pluie,
l’oubli ou le noroît… Jean-Luc Steinmetz parle de ses poèmes avec distance ou
ironie en tant que méditations ou « cahotantes litanies »… de même
explique-t-il son statut : Je me
suis appelé « poète » avec indulgence. / Faute de mieux, / par égard
pour d’infimes différences. / Une espèce de parlerie… Mais à noter que
c’est bien cette écriture qui tient au corps, qui affirme et maintient la vie à
flot, qui porte le salut : Je suis,
ne serai que parole jusqu’à terme. / Exister autrement importe peu. La
« parlerie » vient du fait que l’auteur peut aborder des sujets très
divers, rien de vraiment futile, mais des choses qui passent par la tête, le
champ de colza ou les oiseaux (errants
phénomènes musiciens) et il en devise avec ce recul de l’expérience, et de
la culture qui peut mettre en perspective la moindre pensée de départ pour en
dérouler un poème aisément d’une page. Le ton donne son originalité à cette
poésie. Ecrite en vers, bien entendu, mais très phrasée et segmentée où la
limite si poreuse avec la prose est souvent franchie, allègrement même, par un
auteur qui sait très bien jouer avec le no man’s land des genres, avec la même finesse
qu’il taquine le lecteur et se tourne en dérision lui-même. La prose aujourd’hui / tient compte du présent
assassin. Mais entre des vers plus méditatifs ou réalistes, viennent se
glisser des éclairs oniriques : J’avance
sur place / avec la rame des arbres. Et le poète se laisse rarement gagner
par l’émotion Les mots que l’on voudrait
ultimes / attendent seuls à l’intérieur de la gorge / comme une poignée de
clous. La deuxième partie du livre « Japon d’octobre » est
clairement un journal itinérant d’un séjour nippon avec titres indicatifs des
lieux. On retrouve la même veine, avec des pages plus resserrées et plus
nerveuses où l’observation locale est souvent à l’origine de l’écriture, des
temples sacrés aux rues chaudes. Les sujets piquant la curiosité s’offrent
d’eux-mêmes, même si avec son ironie habituelle, le promeneur note : De ces pensées banales je suis
l’anthologiste. / Beaucoup renonceraient à en faire un poème. Le voyageur a
retardé son séjour après Fukushima et il visite aussi bien Sendai que Nagasaki,
reliant sans autre pessimisme les pires catastrophes, et sachant faire preuve
au restaurant d’un humour à tout crin devant un poisson immangeable (trop coriace
et davantage encore à cause des baguettes), ou encore cette comparaison en
forme de clin d’œil : …comme à la
tortue du jardin / que l’on n’a plus revue depuis vingt ans / mais qui
régulièrement mange les salades. Chaque poème de Jean-Luc Steinmetz vient
de nulle part, d’un infime élément de langage, ce qu’il en fait est
passionnant, quelle que soit la matière, éphémère ou philosophique, de par son
style alerte et sa manière subtile. Retour en France, le jour des morts,
lesquels résonnent à tous les coins de la planète. Entre Normandie et Japon,
deux pans d’un même livre, deux faces d’un même univers, où l’on comprend que pendant ce temps-là le poète peut vérifier
son ubiquité.
[Jacques Morin]
Jean-Luc Steinmetz : Et pendant ce
temps-là, Le Castor astral)
14 €. 52, rue des Grilles – 93500 Pantin.