La semaine qui vient de s’écouler est intéressante à plus d’un titre : d’une part, elle a montré qu’on pouvait très bien porter un pull au mois de mai, réchauffement climatique oblige. D’autre part, elle aura donné l’occasion au gouvernement français d’agiter des petits débats sociétaux (insécurité islamo-diluable, mariage homosexuel) pour occulter les violents échanges boursiers qui ont clôt la semaine. Il ne faudrait pas affoler la ménagère.
Ce qui se passe est assez croquignolet, quand on prend le temps de se poser et réfléchir quelques secondes et le peu d’écho qu’on en trouve dans la presse en dit long sur l’ordre des priorités tant de la part du pouvoir que des journalistes. Soyons lucides cependant : l’économie est une science d’un abord âpre qui ne se laisse pas résumer par quelques phrases simples, ce qui la met définitivement hors d’atteinte d’une écrasante majorité de folliculaires, d’où l’éloignement prudent qu’ils ont avec les sujets économiques. Et d’un autre côté, les politiciens sont, pour la plupart, incultes tant en économie qu’en sciences en général. Leur désintérêt pour ces matières est donc logique.
Mais c’est dommage, parce qu’après tout, la politique est une façon pour la société de traiter la rareté que l’économie théorise. Bilan : la presse française évite précautionneusement de parler en détail du krach boursier nippon de jeudi dernier. La bourse de Tokyo a en effet dévissé de plus de 7% et la panique qui s’en est suivie n’avait rien d’un repli calme et organisé. En France, la presse a évoqué, rapidement, le souci. Le vendredi, le CAC40 a légèrement replié. Rien de grave. Continuons comme si de rien n’était.
Attitude raisonnable d’une presse française pondérée ou sous-estimation d’un problème d’ampleur plus grande ?
On peut légitimement se poser la question : depuis le début de l’année, il n’était pas difficile de trouver les louanges des bricolages monétaires du premier ministre japonais Shinzō Abe ; par exemple, Libération dans ses meilleures œuvres estimait le 19 mai dernier que sa politique portait déjà ses fruits. Pas de bol : tout observateur un tant soit peu lucide (et maîtrisant même vaguement les bases de l’économie) devinait que le marché boursier japonais, qui venait d’offrir des rendements de plus de 50% en 6 mois (!), ne pouvait être qu’en pleine bulle, aussi artificielle que dangereuse.
D’ailleurs, Philippe Béchade intervenait à ce sujet dans une interview accordée à BFMTV quelques jours après l’articulet ridicule de Libération :
Le rédacteur en chef à la Chronique Agora explique ainsi qu’avec un tel rendement sur les marchés boursieurs, rien ne peut rivaliser :
« La question du choix de l’allocation des liquidités ne se pose pas : rien ne peut rivaliser avec le retour sur investissement des valeurs mobilières. Risquer de l’argent dans l’économie réelle n’a aucun sens, aucun banquier doté d’un soupçon de bon sens ne s’y hasarderait. Financer des achats immobiliers sur 15, 20 ou 30 ans est carrément stupide : les marges sur les prêts consentis sont ridicules et cela stérilise du capital sur des durées inconcevables. »
Et l’issue est inévitable : toute cette envolée, entièrement basée sur l’injection de monnaie créée ex-nihilo, se base sur le principe faux que l’illusion de richesse crée, in fine, la richesse. Bien évidemment, cela ne peut pas bien se terminer, et la claque de jeudi dernier est un signe clair.
Ce qui est vrai au Japon l’est aussi partout ailleurs.
En Europe et aux États-Unis, les chiffres du chômage indiquent de façon assez claire qu’il n’y a pas de reprise, et la disparition de dizaine de milliers de chômeurs des statistiques doit beaucoup plus à leur radiation qu’à leur retour à l’emploi. Si l’on ajoute d’autres statistiques, pas trop bidouillées (comme le Baltic Dry Index, Freight Shipment Volume, indice de confiance des consommateur, …) le tableau n’est vraiment pas rose : non, il n’y a pas de reprises, et les piscines olympiques de pognon frais injecté dans l’économie tant américaine qu’européenne n’ont absolument pas changé la donne.
Et le fait même que tout cet argent injecté ne soit toujours pas « redescendu » dans l’économie traditionnelle pour se cantonner aux échanges purement boursiers indique (comme je le disais déjà en septembre l’année dernière) que nous nous dirigeons vers une période de déflation sévère, probablement assez courte et suivie d’une bonne louche d’inflation.
En Chine, la croissance ralentit nettement. Parallèlement, on ne peut que constater que le gouvernement de l’Empire du Milieu n’a pas arrêté ses achats frénétiques d’or, pour atteindre des records : par exemple, les achats se montent dernièrement à plus de 223 tonnes, contre 97 en Février.
Chose étonnante, on se rappelle que l’or avait subi une forte baisse mi-avril, baisse qui ne s’est pas traduit par une désaffection du métal… Ou en tout cas, pas de son côté purement physique. Du côté des ETF (l’or « papier »), en revanche, il en va autrement : la demande s’écroule. Pire : les investisseurs se débarrassent de leurs papiers pour demander de plus en plus la livraison.
Quant à l’investissement en or, ce sont toujours les mêmes qui continuent d’échanger leurs dollars papier contre du métal :
Cet état des lieux sur le marché de l’or laisse d’autant plus perplexe qu’en parallèle, les shorts des investisseurs s’y multiplient de façon franchement alarmante :
En substance, cela veut dire que de gros investisseurs parient sur une dégringolade de l’or dans les prochains mois, ce qui, compte-tenu de la demande en or physique enregistrée actuellement n’est pas très cohérent. À moins bien sûr de considérer que l’or physique est maintenant complètement découplé de l’or « papier », échangé sur les marchés sur lesquels apparaissent ces « shorts » monumentaux. C’est une situation d’autant plus périlleuse que si l’une des livraisons physiques devait échouer (cas de faillite du COMEX, par exemple) les shorts se traduiraient par une explosion à la hausse de l’once d’or (short squeeze).
Enfin, on peut parler de la situation française, toute particulière puisqu’aux problèmes habituels (chômage, économie en berne, marché boursier déconnecté, finance hypertrophiée) se rajoute celui de la bulle immobilière : les prix français, et parisiens notamment, sont bien trop élevés comparés aux autres pays européens, et le ralentissement de la hausse des loyers montre l’essoufflement des ménages dans une conjoncture franchement grise.
Comme le dit Charles Sannat dans son édito du 24 mai, la situation est donc très exceptionnelle : l’or physique est quasiment bradé, la bourse est maintenant décorrélée des fondamentaux, et un retour sur Terre s’annonce inévitable et violent. Bien évidemment, il ne faut surtout pas minimiser les efforts qui seront faits par tous les politiciens en place pour que perdure le système (celui des monnaies fiat assises sur un dollar de plus en plus bidon, celui de banques acoquinées aux états, celui de banques centrales qui prétendent réguler leurs flots monétaires mais n’ont qu’un seul marteau, l’impression monétaire, pour frapper sur tous les problèmes). Du reste, comme l’ont montré les cinq dernières années, la résilience de ce système est extrêmement élevée.
En tout cas, au vu de ces éléments, il me paraît essentiel de jouer de prudence, et de renouveler ses stocks d’or, d’argent, … et de plomb.