En Allemagne, les pure-players obligés de se spécialiser

Publié le 27 mai 2013 par Npcheynel @journalismes
Lundi 27 Mai 2013

Les  pure-players  allemands restent, encore aujourd'hui, fragiles. Moins nombreux qu'en France, beaucoup n'ont pas réussi à s'imposer, et se voient contraints de fermer dans un contexte numérique peu favorable. Alors, existe-t-il un Mediapart ou un Rue89 version germanique? De jeunes entrepreneurs peuvent-ils réinventer la diffusion de l'actualité sur la toile et déjouer les difficultés économiques ? Passage en revue des trois pure-players qui font parler d'eux Outre-Rhin.


Netzeitung, le défunt généraliste

Pionnier en la matière créé en 2000, Netzeitung.de , basé à Berlin et à Francfort, avait pour ambition de chambouler le web en Allemagne en proposant un contenu diversifié : politique, sport, divertissement, médias, sciences et Internet. Une vielle utopie, pas forcément réaliste sur le long terme. Très vite propulsé sur le devant de la scène avec un nombre de visiteurs mensuels record (un million en 2008), le site ne parvient pourtant pas à se stabiliser.
Si bien que six ans après son lancement, en 2006, la bonne idée ne suffit plus, et l'équilibre financier s'est envolé. Alors que le site web, chapeauté par sa rédactrice en chef Domenika Ahlrichs, emploie jusqu'à soixante journalistes, la fermeture définitive du pure-player intervient finalement en décembre 2009.
Dès lors, une poignée de journalistes rescapés (douze précisément) continuent de faire de l’agrégation d'actualités (à l'image d'un service tel que Google Actualités) et ce, jusqu'à la fin de l'aventure en 2010.
Cette chronologie en forme de descente aux enfers n'est pas un cas isolé chez nos voisins et s'explique par une combinaison de facteurs complexes : absence de profit, erreurs de management, mauvaise couverture médiatique lors de la création...Depuis la disparition de Netzeitung, la place est laissée libre : aucun équivalent ne s'est réellement développé.
Capture d'écran du site Netzeitung.de

Perlentaucher, le site culturel

Qu'est-ce qui différencie ce site des autres pure-players? Perleutaucher , fondé en mars 2000, n'a rien à voir avec le généraliste Netzeitung. En effet, il a fait, lui, le choix de se spécialiser dans la culture. Principale caractéristique ? Un ton différent et des critiques de livres reconnues dans tout le pays.
"Des sites d’information hyper locale et tous les pure-player qui ont réussi à trouver des niches sont parvenus à atteindre l’équilibre. C’est le cas, par exemple, de Perlentaucher". explique Rasmus Kleisnielsen, professeur adjoint de communication à l'Université de Roskilde (RUC) au Danemark et chercheur à l'Institut Reuters, à l'Université d'Oxford, spécialiste des pure-players en Europe. Avec pas moin de 500 000 visiteurs par mois, Perlentaucher s'affirme comme le plus grand magazine culturel allemand. En 2003, il se voit attribué un prix prestigieux en matière de webjournalisme : un Grimme Award. Pour Rasmus Kleis Nielsen, "Perlentaucher, lui, a réussi à être rentable avec un tout petit budget et un modèle économique très diversifié en s'appuyant sur diverses sources de revenus, l'événementiel, les services de consulting, les publi-reportages ou encore les dons."
A partir de 2005, le pure-player se décline en langue anglaise : signandsight.com propose des articles sur des sujets culturels européens. En mars 2012, il s'arrête en raison de “la conjoncture économique actuellement défavorable”. Capture d'écran du site Perlentaucher.de

Theeuropean, un pure-player sur l'Europe

Ce magazine web publié depuis 2009, localisé à Berlin et dirigé par Alexander Görlach, ne s'intéresse pas à l'Europe en tant qu'entité géographique mais à la culture et de la politique européenne au sens large, via des articles, des chroniques régulières, et des interviews détaillées. Theeuropean est décrit comme un "magazine d'opinion" qui veut permettre de "débattre des questions politiques et culturelles importantes". D'après son rédacteur en chef, Theeuropean n'a pas de penchant politique spécifique et s'efforce d'apporter des opinions divergentes. Des experts du monde universitaire, ou des spécialistes des médias, de la politique, de l'économie, de la science sont régulièrement consultés. Parmi les contributeurs réguliers, on retrouve des noms tels que José Manuel Barroso, Fareed Zakaria, Nicholas Siegel, Martti Ahtisaari, Gareth Evans, Joseph Stiglitz ou encore Steven Pinker.
Concernant son modèle économique, le pure-player vit principalement grâce à la publicité, l'événementiel ou des activités de consulting. Aucun parti politique, organisations religieuses, syndicats ou groupes d'intérêts ne détiennent de parts.
En octobre 2010, Theeuropean.de décide lui aussi de s'exporter en proposant une formule anglaise du magazine. Theeuropean dispose d'un réseau de partenaires médiatiques internationaux, parmi lesquels The Huffigton Post, Mediapart, Der Standard (Autriche).
Dernier fait marquant en date, le lancement de la version papier en juin 2012. Le tout premier numéro est diffusé au mois de septembre de la même année, à près de 50 000 exemplaires. Le magazine trimestriel est aujourd'hui disponible dans les kiosques allemands, autrichiens et suisses.
Les deux derniers cas, Perlentaucher et Theeuropean russisent à se maintenir à l'équilibre grâce à leurs spécificités de fond.  "En Allemagne, la clé c'est la diversification " ajoute Rasmus Kleis Nielsen. La situation est bien plus complexe pour des pure-players dédiés à l'information généraliste. A l'image d'un exemple français bien connu, lemonde.fr, les versions web des grands titres allemands explosent et monopolisent le marché. Spiegel online en tête. Selon Rasmus Kleis Nielsen, "les pure-players allemands se retrouvent face aux mêmes défis que ceux des autres pays. Le contenu des pure-players allemands est en plus en concurrence avec l’information qu’on trouve sur les sites Internet issus des médias traditionnels. Ceux-là sont en train de se développer. » Capture d'écran de The European