La pharmacie remplacera-t-elle l’épicerie ? Les sauterelles le filet de bœuf ? Et les nutriments la saucisse aux choux ? En matière de cuisine, rien ne remplace jamais rien: on ajoute, on complète, on essaie, on adopte, ou pas. La nourriture touche trop à l’intime et à ses lubies pour décréter de manière uniforme ce que nous mangerons demain. Quand on imaginait au siècle dernier qu’en l’an 2000, on avalerait tous des gélules, on oubliait la dimension sensuelle et sociale de la nourriture. Quand on craignait de voir le fast food supplanter les plats mijotés, et la cuisine mondialisée réduire à néant celle du terroir, on n’avait pas prévu que se développerait dans le même temps le slow food, et que les locavores deviendraient de véritables aventuriers urbains. On se trompe souvent de diagnostic parce qu’on généralise au lieu de moduler.
Certes, en cinquante ans, nos comportements et le contenu de nos assiettes ont changé. Parfois profondément. Parmi les bouleversements les plus notables, la médicalisation de notre alimentation. désormais, la santé s’invite à tous les repas. A table, rien n’est vraiment rationnel. C’est ce qui rend la répétition du geste éternellement désirable. Mais ce n’est pas si simple. Depuis que manger est devenu un acte éthique, il se vit comme une responsabilité nouvelle, avec son cortège de stress, de frustrations et de plaisirs coupables.
Source : letemps.ch