Simon Denis (Anvers, 1755-Naples, 1813),
Paysage près de Rome durant un orage, entre 1785 et 1806
Huile sur papier, 23,5 x 35,9 cm, New-York, Metropolitan Museum
(image en très haute définition ici)
Leonardo García Alarcón est un chef insatiable qui semble avoir chaussé des bottes de sept lieues pour parcourir, avec une célérité gourmande, les répertoires les plus divers. Alors que Ricercar fait paraître Carmina Latina, un disque réunissant des compositeurs de l'époque baroque actifs ou joués en Amérique latine que je chroniquerai bientôt mais dont vous pouvez d'ores et déjà trouver une très belle recension sur un jeune blog prometteur, L'Audience du temps, les Éditions Ambronay proposent une réalisation constituée de deux « tubes » du répertoire, maintes fois enregistrés, le Concerto pour clarinette et le Requiem de Mozart. Une telle parution ne pouvait que susciter des réactions contrastées et, à mon avis, également discutables ; en nous gardant de donner dans les pâmoisons hystériques ou dans les ricanements méprisants observés ici et là, tentons de voir ce qu'elle a à nous conter dans ces deux œuvres.
Force est tout d'abord de constater que le couplage de ce disque est assez inhabituel – on trouve plus volontiers le
Concerto accompagné du Quintette avec clarinette KV 581 (1789), dans la même tonalité de la majeur, et le Requiem associé avec le Kyrie en ré mineur
KV 341 (368a, datation problématique) ou la Maurerische Trauermusik KV 477 (479a , 1785) – et que, la surprise passée, il a l'insigne mérite de résumer le parcours de Mozart
dans la dernière année de sa vie et l'extraordinaire distorsion romantique subie par son image dans l'esprit d'une large partie du public, cette tromperie ayant été encore renforcée par un film
à succès comme Amadeus.
Parmi les différentes versions du Requiem, Leonardo García Alarcón a choisi de suivre celle élaborée par Franz Beyer,
en lui ajoutant la fugue sur l'Amen du Lacrimosa conçue par Richard Maunder à partir de deux sujets autographes conservés à la Bibliothèque de Berlin ; ces deux
musicologues ont eu pour but de purger la partition des fautes et ajouts de Süssmayr afin de tenter de s'approcher au plus près de l'original mozartien, et c'est donc fort logiquement que l'on
en retrouve pas, dans cette réalisation, les Sanctus, Benedictus et Agnus Dei. Elle est globalement de bon niveau, mais reste cependant en-deçà des attentes qu'elle
pouvait faire naître et du battage qui est actuellement fait à son sujet. Non que le chef manque d'idées, bien au contraire, ce qui rend d'ailleurs plus aiguë la frustration que l'on ressent
après l'écoute : sa vision aux contrastes dramatiques et aux dynamiques soigneusement pensés, au souci de la ligne permanent, est portée d'un bout à l'autre, en effet, par un véritable
souffle lyrique qui fait souvent défaut aux versions « historiquement informées » et pourrait bien réconcilier avec ces dernières la partie du public qui ne jure aujourd'hui encore
que par les lectures « traditionnelles ». Il est donc d'autant plus dommage que cette très louable recherche d'éloquence soit mise à mal, comme ce fut le cas jadis avec les disques
Vivaldi et Bach parus eux aussi chez Ambronay,
Voici donc un enregistrement passionnant et inabouti sur lequel tout mozartien fervent ne saurait néanmoins faire l'impasse, car les pistes qu'il emprunte sont souvent convaincantes et n'auraient sans doute pas manqué de susciter une adhésion supérieure si les moyens réunis pour les servir avaient été pleinement à la hauteur du propos. Au-delà des prises de position partisanes qui sont, à mes yeux, d'un intérêt nul lorsqu'il s'agit de jauger une interprétation, ce disque démontre, à mes yeux, que l'on tient avec Leonardo García Alarcón un véritable chef qui a bien raison de ne pas souhaiter se cantonner au répertoire baroque et nous réserve sans doute encore bien des surprises.
*Benjamin Dieltjens, clarinette de basset
Lucy Hall, soprano, Angélique Noldus, mezzo-soprano, Hui Jin, ténor, Josef Wagner, basse
Chœur de Chambre de Namur
New Century Baroque
Leonardo García Alarcón, direction
1 CD [durée totale : 65'39"] Ambronay Éditions AMY 038. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.
Extraits proposés :
1. Requiem : Introitus : Requiem æternam
2. Concerto pour clarinette : [II] Adagio
3. Requiem : Rex tremendæ majestatis
Un extrait de chaque plage du disque peut être écouté ci-dessous grâce à Qobuz.com :
Wolfgang Amadeus Mozart : Requiem - Clarinet Concerto | Wolfgang Amadeus Mozart par Leonardo García AlarcónIllustrations complémentaires :
Eduard Friedrich Leybold (Stuttgart, 1798-Vienne, 1879), d'après Franz Schams (Vienne, 1823-1883), Un moment dans les derniers jours de Mozart, c.1857-59. Lithographie sur papier, 33,1 x 39,1 cm, Londres, British Museum
Joseph Lange (Wurtzbourg, 1751-Vienne 1831), Mozart au pianoforte (inachevé), c.1782-83 puis c.1789. Huile sur toile, 32,3 x 24,8 cm, Salzbourg, Mozarteum (cliché © Internationale Stiftung Mozarteum)
La photographie de Leonardo García Alarcón est de Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com