Report : Weather Festival

Publié le 25 mai 2013 par Jekyllethyde

Couv de Télérama, article dans GQ, passage radio sur Nova, premier sujet de conversation des minettes qui dévalisent Urban Outfitters le lundi matin en vue du prochain week-end, des geeks qui passent leur temps sur discogs, des mecs dans le biz, ou encore des gars à mèches qui, il y a à peine un an, passaient leur temps à claquer la tune de papa sur les canap’ lounge du Social Club. Il n’y a pas à dire Concrete a, en un an à peine, su bouleverser ce qui était il y a encore peu de temps une scène qui avait fini par se replier sur soi même. Qu’on aime ou pas, la réalité et les chiffres sont là, et c’est dans ce contexte que s’ouvraient vendredi dernier les hostilités d’un festival pour kiffeurs aux différents plateaux répartis entre le désormais mythique bateau de Quai de la Râpée, la Machine du Moulin Rouge, le Palais des Congrès de Montreuil, le chinois, et l’Electric. Près de 60 heures de fête quasi non-stop qui auront su réunir les différents collectifs et figures parisiennes autour de 11 000 personnes lors du pic samedi après midi. Alors Paris réussi ? Jim, Sina et Rox nous livrent ici leurs visions personnelles d’un moment insignifiant, perdu dans l’espace temps et l’univers, et pourtant tellement important pour ce microcosme, notre microcosme…
Plus si micro que ça d’ailleurs !


Jim Strata
Samedi, 11h. Je me réveille en sursaut. Mais où suis-je ? Comme si je sortais de plusieurs années de sommeil. Vite. Mais que s’est-il passé hier ? Je me souviens brièvement de bières goût miel, d’un repas épicé, d’un before chill, d’un mec pur mais accro au coca, d’un appart où des cendrillons du ghetto te disent que tes chaussettes sont cool, de croiser Victor l’oeil grand ouvert, d’une discussion sans queue ni tête sur le dubstep en France, de la Machine pleine à craquer, d’une Tama Sumo qui aurait été championne d’haltérophilie une dizaine d’années auparavant, de la lueur dans les yeux d’Oxyd à chaque fois que Ben UFO prend les commandes, d’une chaufferie où TLR fait régner la cadence, d’un taxi … et de mon lit. C’était donc ça l’ouverture du Weather par Sonotown ? C’était donc pour ça que les gens étaient si bouillants hier soir ? Ils se mettaient tous en jambes pour ce marathon électrique, ce festival qui chamboule le rythme des soirées parisiennes en mettant Marcel Dettmann en « warm-up », ça blague pas, tout est fait pour que si t’es le genre de mec déter tu peux commencer ton pèlerinage le vendredi à 16h et finir le lundi à 7h sans rien perdre.

Pendant ce temps là du côté de Quai de la Râpée…
Rox
Dès le vendredi soir, le choix était déjà difficile pour les pauvres âmes que nous sommes. Pour ma part, l’idée de faire la fête en écoutant les locaux m’a convaincu d’autant plus que Phil Weeks, Céline de Sundae ou encore Alex & Laetitia (entres autres) étaient de la partie. Alors, tant pis pour la Machine. Rassasié d’une bonne assiette libanaise dans la rue de la Roquette, c’est à pied et en profitant du temps encore clément que je me rends à l’opening Concrete. 

Le bateau est à moitié plein et la queue pour accéder au rafiot est encore acceptable. Cinq minutes, le temps de parler du dernier disque de Robsoul avec un groupe de motivés toulousains ayant fait le déplacement pour l’occasion, et me voilà à bord. Je croise sieur Didier Allyne qui m’indique qu’il a déjà terminé de jouer. Je suis un peu déçu de ne pas profiter à nouveau d’un bon petit set cuisiné par ses soins mais la déception sera de courte durée. Je m’aventure dans la salle, attiré par la puissance des kicks d’un Function One réglé aux petits oignons, diffusant un savant mélange d’une House aux vocales suaves et d’une Deep House salé (oui, salé!), Alex from Tokyo et Master H sont déjà chauds. Le bateau commence à se remplir petit à petit, tantôt par des groupes d’anciens bien décidés à faire la fête en écoutant des djs qu’ils ont sûrement apprécié plus jeunes, tantôt par des groupes de kids venus en découdre avec le son. Ce melting-pot de genres et d’âges réuni ensemble pour faire la teuf rend l’atmosphère chaleureuse. Chose plutôt agréable d’autant plus que c’est avec un réel plaisir que l’on se retrouve à nouveau sur cette péniche, blasé de squatter le 92 et la Sira.

Quelques grolsch et shots de jaggermaster, claquages de bises, et signes de têtes plus tard, Point G commence son live dans une ambiance chaude et électrique. Boucles de basses entêtantes, snares bien dosés, le live sonne old school et très pointu. Je reconnais des morceaux de son nouvel EP alors que d’autres tracks inédites me laisseront sur le cul. La prestation en devient super hypnotique jusqu’à son point d’orgue, Underwater. Le classique de monsieur Gregory scotche la foule (d’ailleurs je suis certain que la nana qui dansait à côté de moi a perdu près de 15l d’eau lors de la soirée). Je remarque un groupe de trentenaires, l’un se dandinant dans tous les sens et l’autre dansant une sorte de polka/salsa avec sa copine. D’autres, plus jeunes, sont occupés à faire une danse vaudou alors que les kiffeurs de ventilo sont fidèles au poste. Tandis que pour certains le meilleur spot possible est de camper à deux centimètres du mur de son. Les sourires s’échangent et les langues se délient. Chacun trouve sa place dans ce joyeux carnaval, et c’est précisément ce qui m’a plu dans cette fête, trop habitué à des soirées sans âme et aseptisées. Alors, certes on reste dans un cadre connu, qui plus est celui de la Concrete, mais l’espace d’un instant la communion s’est effectuée, me rappelant à certains moments les premières TWSTD.

Je sors fumer une cigarette (ou deux) sur le pont histoire de prendre l’air et un groupe de nantais me fera savoir que le FC Nantes monte en ligue 1 tout en roulant un joint d’herbe made in Galienni. Sympa de voir que les provinciaux connaissent aussi les plans. J’en profite aussi pour prendre des nouvelles de Jim, certainement perdu dans le bordel que doit être la Machine assaillie par Blawan et Ben UFO. Les news ne viendront que plus tard. Une discussion de techno gossip entendue à propos de Nina Kraviz et Ben Klock me motive à retourner dans le son. D’ailleurs, Brawther a déjà commencé. Encore plus deep que les autres, le parisien exilé a parfaitement su capter les attentes de la foule et balance un set de grande qualité qui nous tiendra en haleine jusqu’au petit matin…
Jim Strata
A peine levé je me connecte sur Facebook, tu sais le truc où tous les êtres humains de la planète y racontent leurs vies, et je me fais attraper par un pote qui m’invite à une après-midi vin / vinyl, sounds good ! Je fais mes bails habituels, prends le métro et attrape une certaine mixture qu’on m’avait conseillé un jour et qui, je pense, va convenir parfaitement à l’heure et au lieu, le mélange Cidre / Guiness, pourquoi pas ? J’arrive, c’est niquel. Fif, l’hôte du lieu, balance du Perlon et autre Daniel Bell qui groove parfaitement avec ma boisson tandis qu’Alex des Wrecka Spinnazz Club enchaine les galettes House à la Glenn Underground. Je suis saucé, voilà de quoi me mettre dans le bain pour ce soir et le set de sir Zip. Après avoir fini mon liquide noir et avoir raconté ma life à quelques personnes, je me dis qu’il faut bien y aller à un moment à ce festival. Après une courte halte à casa, histoire de s’ambiancer, je me mets en route – à pied – vers le lieu de culte éphémère à Montreuil où beaucoup de fidèles doivent être, en ce moment même, en train d’assister à l’office Deepien.

Je reste cependant sceptique face à la soirée, où pas mal de potes ont soit déclaré forfait et t’envoient des sms en te disant de ne pas oublier de prendre ta blouse blanche avant d’aller à l’abattoir, soit te disent qu’ils savent déjà quand ils vont repartir… Assez bizarre comme façon de penser face à ce genre d’événement où il est juste impossible de prévoir ce qu’il va se passer. Bref, il faut que je reprenne de la vitalité, petit tour par mon frigo vide. Chouette un mec vend du Club Mate sur le chemin vers le Weather, sauf que le salaud avait décidé de fermer boutique justement ce jour-là. Triste, et trempé, je reprends des forces avec cette boisson goût médical aux couilles de taureau.

J’arrive vers le spot et là c’est n’importe quoi, plein de bandes de kids squattent où ils peuvent pour boire le plus possible avant de rentrer dans le gros cube qu’est le Palais des Congrès. Je m’affole en voyant la queue mais heureusement mon collègue est sur place et a chopé les pass presse, erreur de la fille ou cadeau tombé du ciel il y en a un en plus, ni une ni deux je réveille un pote de son coma de la veille en lui conseillant de se choper une mousse, de prendre le métro, et de rappliquer rect-di.
Il arrive, on passe la porte et on tombe nez à nez avec une foule immense, une installation vidéo monumentale, et surtout une chaleur extrême ! DVS1 est là et envoie de la techno rotore qui n’aide pas à rafraîchir l’ambiance, les gens sont déter-minés, à moitié à poil et zigzaguant de part en part à la recherche d’eau, damm il est que 20h… Petit tour par la salle 2 où on voit Nina Kravitz de loin balançant une techno pulse tout en oscillant de droite à gauche comme une balle de ping pong, on oublie très vite l’idée de se rapprocher pour ne pas croiser une horde de mecs torses nus faisant des coeurs en direction de la scène. Le constat à ce moment là est simple, on est pas assez sec pour rester dans cet enfer plus longtemps.

Par contre, Sina, lui l’enfer… Il connaît.


Sina Araghi
Robert Hood. The preacher. C’est comme ça qu’on l’appelle non ? Ou est-ce lui qui a imposé ce sobriquet ? Peu importe … Ce samedi, une banale histoire de câble a failli lui nouer les mains, l’empêchant de faire son live. Enfin quand je parle de ligotage, imaginez-vous plutôt un western dont le héros se libérerait les mains à l’aide d’habiles gesticulations, discrètement, faisant oublier jusqu’à sa présence. Vous n’avez pas eu le temps de signaler l’absence des machines qu’il s’est déjà usurpé. Et vos reproches, mis en orbite avant même que vous ne les ayez formulés. The Preacher, c’est aussi pour afficher son monothéisme musical : « minimal techno ». Chaque nouveau morceau retire une fine couche de poussière, comme un archéologue brossant des vases de terre cuite vieille d’un millénaire. Lentement, il obtient le rythme dans sa matière la plus minimale et intacte. L’effervescence tribale gagne peu à peu la foule … jusqu’à la dévorer. Il est 21h45, je me motive pour changer d’ambiance. Où mène cet escalator qui lie le ciel au sol d’un flot continue de chaire à danser ?
 
Margaret Dygas. Celle qui j’espère vous a fait vivre les plus beaux dimanches de votre vie au Panorama Bar va bientôt démarrer. J’assiste à la scène de passation entre Nina Kraviz et elle en débarquant 15 minutes plus tôt. Le départ de Nina sera à peine remarqué. Plus chaleureuse avec le public, la grande Dygas est surtout plus naturelle, une vraie teufeuse qui communique une énergie moins réservée, donc plus émancipatrice. Je sens les corps communiquer, tolérer de plus en plus la moiteur de l’air. La sélection plus franche motive les arrivants et réveille les marathoniens. Mince, 23h30. Cendrillon doit rentrer dans son ghetto. J’exhibe un dernier coup de rein sur DVS1 qui finit également son set. 23h59. La porte se referme derrière moi.


Jim Strata
Après ce tour de chauffe et un passage en extérieur… Ne me demandez pas comment on a soudoyé ce vigile, moi même n’y ai vu que du feu. Nous revoilà dans l’antre, on croise Ben qui nous dit que c’est la folie. Presque 11 000 personnes sont là, chaudes comme la braise et prêtes à tout pour trouver la moindre goute d’or bleu. Je checke Marc qui vient de rentrer avec un gros manteau d’hiver en me disant intérieurement « le pauvre on va le retrouver desséché le temps qu’il rejoigne les vestiaires ». Passons, ce que l’on veut à ce moment précis de la soirée c’est le set haut de gamme de Dygas. On monte, on se cale, mon pote se fout torse nu – à l’aise – et là c’est parti pour 2 heures magistrales où cette petite meuf envoie de la qualité, un vrai set de festival. Un label manageur me dit que ça y est Paris est sur la carte, que ça va être la fête, qu’il faut sortir des disques, que ça va bicrave, O… K monsieur. C’est Disneyland pour gens majeurs où l’animation serait une sorte de grosse machine à laver géante remplie de Led. Il fait chaud bordel ! Ca en devient pesant. Une bande de rasta s’enchaîne des pipes à weed de manière industrielle tout en bougeant comme sur un concert de reggae car, drogue ou pas, l’ambiance est moite, les gens sont au ralenti, ça brancherait qui de faire la teuf à 50°, personne ? Et pourtant là, il y a du monde au portillon. Je me demande comment les gens font pour se la mettre, c’est comme boire un café dans un sauna, ça repousse les lois de la physique. Dygas finit par un petit pas de danse devant un Cabanne stoïque, on descend rapidement pour ne pas louper une miette du live de Polar Inertia qui m’avaient fait scotcher lors d’une Technorama au Rex, curieux de voir l’effet de leur live sur un tel système son… Réponse très rapide, une grosse claque, ils enchainent un live maîtrisé qui tient en haleine le public, passant de sons suffocants à des bouffées d’air frais.

Une meuf bien en chair checke mon pote et lui dit qu’il ressemble à l’acteur de Bullhead, lequel prend de suite le soin de la rediriger vers un autre jeune homme dénudé plus apte à la comparaison. Juste derrière nous une journaliste dopée est entrain d’interviewer un gay hardcore en mode cuir SM à l’air peu commode qui ne semble pas bien comprendre où il a atterri, on sent dans ses yeux que c’est trop soft pour lui.

Polar inertia finissent en beauté, on reste juste quelques minutes pour voir Chris Liebing prendre le relais – Blague vivante récurrente depuis l’East Ender de l’année dernière – le bonhomme n’a pas pris une ride et a toujours une dentition à faire pâlir un mort. Première track, grosse techno, on était pas chaud pour prendre l’A6, du coup direction rapide mais maitrisée vers le stage d’en haut où Cabanne et Ark enchainent depuis maintenant plusieurs minutes. Ambiance chill, rien à avoir avec le bas, tout le monde les bras en l’air, Cabane en mode marcel tandis que son coéquipier de droite a tombé le maillot depuis un moment. Ca groove, le son est bon on a une petite pensée envers toutes les meufs qui ont essayé de se faire belles ce soir en passant 3 heures devant la glace. C’est raté les filles ! Plus personne ne ressemble à rien, ça dégouline de partout.
C’est le moment que choisit Ark pour prendre le micro : « Ici c’est pas Londres, ici c’est pas Berlin, ici c’est Pariiiiis ! » lâche-t-il devant une foule aux aguets qui pousse des hurlements à chaque drop. Certains ont beau dire qu’il n’y a pas de chaleur humaine à Paris, et bien pour le coup la voilà concentrée là, en un bloc. Dans ce cube on en a fait pour l’année, c’est sur !

On descend rapidement nous ravitailler en point fraicheur, car outre l’alcool, les bières sont dans ces moments là des boissons de premier choix pour se rafraichir, on en profite pour prendre des glaçons et se les foutre sur la gueule. Ah! les policiers sont de la partie, arborant des écuissons « Tranquillité Public » – normal – ils regardent d’un air hagard le spectacle sans vraiment trop comprendre. C’est maintenant au tour de sir Zip d’enchainer les galettes devant un public dynamité par la prestation de Copacabanark. Il enchaine des problèmes techniques, les vinyles sautent, la foule se vide un petit peu et tout rentre en ordre vers la fin de son set parfaitement pour enchaîner sur la vague roumaine du RPR Soundsystem. Avalanche de basses tout droit venus des pays de l’Est, je croise l’équipe d’On veut du solide bariolée de paillettes et autres déguisements loufoques, ils sont chauds !
Mes pieds commencent à ne plus tenir et je me sens partir dans un mood mélange de redescente d’alcool, de fatigue, de basses ultra fortes et de chaleur. Ca en est trop pour mon acolyte qui profite de cet instant de faiblesse pour s’enfuir aussi rapidement qu’il est arrivé, sans la 8.6 à la main pour le coup. Je décide de rester un peu, afin de profiter de ce moment de battement où tu rentres plus ou moins en trance. Les mecs de l’Est enchainent avec un certain charisme les tracks mais il faut, je le dois, tirer ma révérence et laisser les derniers combattants en quête de linge propre à leur occupation.

Je rentre chez moi à pied me souvenant que cette soirée, loin d’être la plus chill, a repoussé les limites, une sorte de Fear Factor de la teuf, à l’image de ce festival pour marathoniens. Une grosse pensée envers tous les soldats morts au combat ce soir faute d’avoir trouvé de l’eau pour se ravitailler, ou tout simplement une zone d’air frais.

Après une bonne nuit de sommeil je bouge faire quelques courses en bas de chez moi en début d’après-midi et je tombe par hasard sur le fameux Victor croisé le vendredi soir arborant une casquette Mickey qu’il venait d’acheter aux puces à la sortie de l’after L.I.E.S, la boucle et bouclé, Paris est au rythme de la fête ce week-end.