Il y a des semaines comme cela, où les mêmes sujets se déclinent à l'infini, où les mêmes polémiques si prévisibles se répètent. Un ministre recule sur la régulation des gros salaires. Des journalistes s'étranglent sur la simple évocation de Schröder dans un discours présidentiel. Des Européens s'accordent presque pour lutter contre l'évasion fiscale.
Le moi de mai se termine humide et froid. Nous ne sommes pas sortis de l'automne.
Nicolas Sarkozy fanfaronne en Israël. Prépare-t-il déjà sa prochaine campagne perdue d'avance ? On s'en fiche. Un vieil écrivain nostalgique de la France blanche, catholique et hétéro se tire une balle dans la tête dans l'enceinte de Notre-Dame. On ignore l'ignoble récupération qu'en fait Marine Le Pen. On se fiche de la manifestation du 26 mai des opposants au mariage pour tous. D'autres s'écharpent sur la possibilité ouverte d'enseigner quelques matières en anglais.
Ces sujets sont finalement futiles, effacés, éparpillés. L'obsession du moment est d'abord fiscale, comme une déclaration de revenus qu'il faut remplir d'ici quelques jours. Ou comme cette solidarité menacée, tant en France qu'en Europe. L'impôt est le socle de la solidarité nationale. Sa défaillance, le signe d'une rupture. On comprend que le sujet obsède.
Surdoses
Mercredi, un sommet européen parle de lutte contre la fraude fiscale. Nos chefs d'Etat tentent d'accorder leurs violons avant un G20 de juin consacré au sujet de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. David Cameron veut discipliner ses propres paradis fiscaux, que la Couronne britannique abrite un peu partout dans le monde. C'est un peu Al Capone qui fait le ménage. A gauche, Mélenchon nous disait qu'il faut renverser la table. Mais qui réparera la vaisselle cassée ? Le président français tape du poing sur la table, contre les deux seuls Etats membres qui résistent encore. L'Autriche et le Luxembourg refusent l'échange automatique de données bancaires. En France, les sanctions vont être renforcées.
Une polémique, fiscale encore, embarrasse enfin Apple. Le patron, Tim Cook, s'étrangle devant une commission sénatoriale américaine, à Washington. Il refuse qu'on le soupçonne d'évacuer ses milliards de dollars de profit des griffes du fisc américain. Ces multinationales, habiles à séduire les masses à coup de marketing talentueux, manipulent les Etats avec dextérité. Le combat est inégal.
Nos très riches sont inquiets. L'un de leurs représentants, le député UMPiste Gilles Carrez a fait fuiter un rapport de Bercy sur l'impact du bouclier fiscal l'an dernier. Quelque 0,2% de nos foyers fiscaux ont "malheureusement" payé plus d'impôts qu'ils n'avaient de revenus, 8.110 infortunés ménages. On accuse Hollande, et sa contribution supplémentaire et estivale votée au creux de l'été qui frappe sans plafond les grandes fortunes.
La Cour des Comptes fustige le renforcement des moyens de l'Education nationale. De quoi parle-t-elle ? Elle considère que "le ministère de l'Éducation nationale ne souffre pas d'un manque de moyens budgétaires ou d'un nombre trop faible d'enseignants, mais d'une utilisation défaillante des moyens existant". Le Figaro se régale.
L'INSEE rappelle l'état de nos finances publiques l'an dernier. La conclusion est simple: en 2012, les prélèvements obligatoires ont augmenté de 22 milliards d'euros. 15 grâce à Nicolas Sarkozy, 7 via Hollande. Le match du matraquage pourrait amuser la galerie. Le sujet est sérieux. On compare les mesures, et l'on se demande pourquoi certains pensent encore que ce sujet Hollande fait du Sarko. La fiscalité est un terrain où se juge une politique.
Justice
Jérôme Cahuzac parle encore à la radio. Sa fraude fiscale est un symbole. Une commission d'enquête parlementaire débute ses travaux. L'un de ses proches y siège. Cahuzac ajoute 80.000 euros à la somme de 600.000 qu'il avait reconnu avoir caché au fisc. On n'est plus à cela près. Le weekend précédent, il avait renoncé à concourir à l'élection législative. Edwy Plenel de Mediapart est aussi auditionné, tout comme Michel Gonnelle, l'opposant par qui tout est arrivé.
Un ancien patron du FMI fait l'objet d'un film de partouze dont quelques images sont dévoilées au Festival de Cannes. L'actuelle directrice est auditionnée par la Cour de Justice de la République. Cela fait tâche. C'est une malédiction. A deux ans d'intervalle, deux directeurs français d'une institution souvent détestée connaissent les affres de la justice. Bernard Tapie, heureux bénéficiaire d'un arbitrage que l'on soupçonne imposé par Nicolas Sarkozy dans un gigantesque litige avec le CDR qui gère les actifs toxiques du Crédit Lyonnais récuse toute inquiétude et dénonce un complot socialiste. Le pauvre, il ne lui reste "que" 100 millions. Belle outrance ! La facture, pour les contribuables que nous sommes, est de près de 400 millions d'euros.
L'ancienne ministre est soupçonnée d'avoir été l'instrument efficace de Sarkozy. Un joli cadeau pour Tapie, le rallié de 2007, qui obtint l'abandon des poursuites, un arbitrage favorable, et l'absence de tout recours ni contrôle. Quelle belle affaire ! Vendredi, Christine Lagarde sort avec le statut de témoin assisté. Le FMI est soulagé. Peut-être a-t-elle convaincu ses interlocuteurs que le vrai coupable est ailleurs.
Moscovicidose
Hollande parle devant des représentants du SPD, pour le 150ème anniversaire du parti. Il prononce la formule malheureuse, les "réformes courageuses" de Gerhard Schröder. Quelques mots à peine, dans une longue énumération du l'histoire du parti. Le véritable éloge dans son propos était pour le sens du compromis et du dialogue social de nos amis d'outre-Rhin. Mais la classe médiatique, en manque de couacs et de bashing facile, grossit le trait. Ce discours devient un poème à la gloire de l'infâme Schröder. L'quipe Hollande a déjà dit qu'il n'appréciait pas les ravages inégalitaires de la politique schroderienne. Là n'était pas le sujet ? Reposons la question: qui a peur du dialogue social ?
Cette polémique sans intérêt ni enjeu agite le microcosme de gauche comme de droite pendant quelques heures. Puis, plus grave, le ministre de l'économie et des finances nous balance une belle interview aux Echos: Pierre Moscovici ne veut pas légiférer sur le plafonnement des rémunérations des patrons du secteur privé. C'est un recul de première classe. Il préfère "concentrer l’action législative sur la contribution de 75 % sur la part des rémunérations dépassant 1 million d’euros".
Pour le coup, l'indignation est inévitable et nécessaire. Non pas que cette mesure soit économiquement décisive. Mais il y a des symboles qui finissent par heurter. Pierre Moscovici a largement gagné son rang d'icône-repoussoir. Il tente de nous faire avaler ses reculs par petites doses. L'affaire des Pigeons était presque drôle. La réforme bancaire, entre malentendu et reculade. Le scandale Cahuzac l'a débordé. Bref, une seule question émerge.
Hollande a-t-il besoin de Moscovici ?
Crédit illustration: DoZone Parody