Je t'attendais ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse, quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps
Je t'attendais, et tous les quais, toutes les routes
Ont retenti du pas brûlant qui s'en allait
Vers toi que je portais déjà sur mes épaules
Comme une douce pluie qui ne sèche jamais
Tu ne remuais encore que par quelques paupières,
Quelques pattes d'oiseaux dans les vitres gelées
Je ne voyais en toi que cette solitude
Qui posait ses deux mains de feuilles sur mon cou
Et pourtant c'était toi, dans le clair de ma vie
Ce grand tapage matinal qui m'éveillait
Tous mes oiseaux, tous mes vaisseaux, tous mes pays
Ces astres, ces millions d'astres qui se levaient
Ah, que tu parlais bien quand toutes les fenêtres
Pétillaient dans le soir, ainsi qu'un vin nouveau,
Quand les portes s'ouvraient sur des villes légères
Où nous allions tous deux, enlacés, par les rues
Tu venais de si loin derrière ton visage
Que je ne savais plus à chaque battement
Si mon cœur durerait jusqu'au temps de toi-même
Où tu serais en moi, plus forte que mon sang
Je t'attendais, ainsi qu'on attend les navires
Dans les années de sécheresse, quand le blé
Ne monte pas plus haut qu'une oreille dans l'herbe
Qui écoute apeurée la grande voix du temps.
René-Guy Cadou