À moins que ce ne soient les économistes, ainsi que les politiques qui s'en servent...
Par Vincent Bénard.
Sortons du lieu commun. Ces biais sont certes plausibles, mais ne sont pas propres à la France. Aucun test international n’existe pour évaluer le niveau économique des Français comparés aux autres peuples. Et difficile de savoir si les Français sont plus mauvais en économie qu’en orthographe, où le niveau est également catastrophique, mais où la couleur politique des manuels peut difficilement être invoquée.
Osons une hypothèse plus hardie : la faiblesse des analyses économiques de notre presse, de nos politiciens, de nos intellectuels, de nos livres scolaires, tient à la rencontre délétère entre la nullité de la science économique par elle-même, et l’héritage culturel et historique français qui rend certaines réalités moins "acceptables" qu’ailleurs.
Affirmer que la science économique est aujourd’hui dans un état assez lamentable fera sûrement réagir nombre d’économistes du milieu académique. Certes, la micro-économie sait répondre à quelques questions simples et a produit quelques lemmes basiques, confirmés empiriquement, et qui font plutôt consensus dans la profession. Par exemple, "le blocage des loyers favorise la pénurie de logements", "un salaire minimal légal trop proche du revenu moyen pénalise l’accès à l’emploi des moins qualifiés", etc. Notons que ces postulats, bien que largement vérifiés, ne plaisent guère, car ils justifient une moindre intervention de l’État dans des domaines politiquement sensibles.
Mais dès que l’économie doit traiter de questions complexes, ou agréger au niveau macro-économique tous les résultats de ces micro-constats, les choses se gâtent. La crise économique et financière que nous vivons depuis 2007 en est l’exemple le plus flagrant. Les économistes qui ont prévu avec précision la crise et en ont bien décrit les mécanismes probables sont rarissimes et étaient de quasi inconnus, en dehors du milieu académique, avant la crise : Minsky, Roubini, Schiff, Bonner, Wiggins... Les stars de la profession, les Laffer, Krugman, Stiglitz, ou Greenspan, et bien d’autres, n’ont pas anticipé la gravité de la situation, et ont parfois conseillé les prescriptions qui ont précipité les événements.
Et que dire de la création de l’euro, dont il est de plus en plus difficile de cacher les échecs ? Qui a écouté un Charles Gave ou un Jean-Jacques Rosa qui nous disaient en l’an 2000 que donner la monnaie de l’Allemagne à des pays moins compétitifs mènerait à un échec retentissant ? Le chœur des europhiles médiatiques rendait à l’époque toute contestation inaudible. Pourquoi les Français prendraient-ils goût à une science aux résultats si médiocres ?
Et du fait de ce faible niveau de certitude qu’elle permet, l’économie est facilement capturée par des groupes d’intérêts divers (lobbies, politiciens, financiers), qui la détournent de sa finalité scientifique pour en faire un instrument servant leurs desseins politiques. Voilà qui rend singulièrement indéchiffrable au commun des mortels ce que pourrait être "la vérité économique", si tant est qu’il ne puisse n’y en avoir qu’une. La notoriété et les bonnes connexions médiatiques sont plus importantes que la qualité scientifiques des travaux pour accéder aux médias, et ainsi influencer l’opinion.
Ajoutons que la politique se sert de l’économie, dont elle tord et distord les résultats, et la confronte à des valeurs émotionnelles pour fonder ses décisions et les faire accepter. Or, l’héritage culturel de la France se caractérise, entre autres, par l’admiration peu critique de grands souverains au pouvoir central fort, Henri IV, Louis XIV, Napoléon, de Gaulle... Peu leur importe que le règne des trois premiers nommés aient constitué autant de périodes économiquement défavorables, dans l’imagerie populaire française, le souverain doit être assez fort pour pouvoir plier le cours de l’économie aux désirs du peuple. Comment accepter les postulats d’une plus grande efficacité des économies qui réduisent l’intervention publique dans ces conditions ?
L’économie n’est pas aimée parce qu’elle n’est pas assez crédible, n’offre que peu de certitudes empiriques, et notre histoire rend l’acceptabilité de ses rares zones consensuelles plus difficile que dans les pays où l’histoire a fait détester les États excessivement forts, et où l’on a compris que le prix à payer pour accéder à une certaine prospérité, passait par plus de flexibilité et une plus grande capacité d’adaptation face aux aléas de conjoncture. D’où l’impression qu’une grande part de nos compatriotes, et par voie de conséquence de leurs représentants politiques, "refuse le réel" et se raccroche à des préceptes économiques très dirigistes qui ont pourtant largement échoué.
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Une première version de cet article a été publié sur Atlantico.