La France avait son affaire Merah, les Etats-Unis, leur affaire Tsarnaev, la Norvève l’affaire Breivik, désormais, le Royaume-Uni connaît son affaire Rigby, du nom du soldat britannique tué par deux Britanniques d’origine nigériane, de sang froid, dans la rue, au nom d’Allah.
Mohammed Merah, les frères Tsarnaev, Anders Behring Breivik et Michael Adebolajo, l’un des deux tueurs du soldat britannique Lee Rigby, assassiné mercredi à coups de couteaux et de hachoir en pleine rue à Woolwich, un quartier du sud-est de Londres, étaient tous des locaux. Des individus visiblement bien intégrés dans la société. Pourtant, tous se sont retournés contre leur pays, au nom d’une idéologie. Une nouvelle forme de terrorisme qui inquiète et qui traduit des pratiques nouvelles, résultant de la pression des services spécialisés. En effet, les différentes actions des services de police, qui multiplient opérations et démantèlement de structures, obligent les terroristes à changer de méthode. Les cellules terroristes deviennent plus compliquées à monter et les attentats comme ceux qui ont affaibli l’Europe au début des années 2000 à Londres ou à Madrid demandent plus de travail. Transports, espaces publics et matériaux explosifs… tout est sous surveillance, permettant ainsi l’arrêt de nombreux chefs terroristes. Mais à défaut de cellules, les terroristes deviennent solitaires et les réseaux se désorganisent.
Entre la mort de Oussama Ben Laden et les différents démantèlements, en 10 ans, ce sont près de 90% des forces d’Al-Qaida qui ont été détruites. Résultat, les groupes locaux ont pris la relève. Aqmi, au Maghreb, Aqpa, dans la péninsule arabique, Abou Sayyaf, aux Philippines, LeT, au Pakistan… Autant de mouvements d’envergure régionale qui frappent dans leur zone, une zone dont ils connaissent bien les failles. Aucune structure régionale n’existe encore en Europe. Il est donc difficile de prévoir les attaques, qui, de facto, sont vouées à être d’une ampleur réduite puisque fruit d’une action individuelle.
914 terroristes présumés ont été interpellés en France depuis 2001 et 37 depuis janvier 2011 selon le directeur général de la police nationale Frédéric Péchenard.
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Qui sont ces soldats ?
Difficile d’établir un portrait-robot du terroriste type. Néanmoins, il apparaît que dans 96% des cas, les auteurs sont des hommes, d’environ 26 ans, sauf pour les tueries dans le milieu scolaire où l’âge moyen tombe à 16 ans. Deux périodes charnières dans la vie d’un individu. Autre point commun, beaucoup sont en rupture avec leur famille et connaissent des difficultés à construire une vie de couple ou des relations amicales suite à une éducation sévère, voire violente. Dans près de trois quart des cas, le tueur a d’ailleurs subi brimades et humiliations.
Mais il demeure impossible de généraliser. Mohammed Merah était un djihadiste auto-proclamé, Michael Adebolajo et son acolyte issus de familles chrétiennes très pieuses avant leur conversion personnelle à l’islam, Anders Breivik membre d’un parti d’extrême-droite et les frères Tsarnaev des Tchétchènes réfugiés politiques aux Etats-Unis, devenus islamistes radicaux. La majorité a donc subi un phénomène d’auto radicalisation, étaient pas ou peu connu des services de renseignements. Ils cristallisent leur haine du monde occidental, dans lequel ils ont pourtant grandi, en fréquentant des mosquées, souvent fondamentalistes, ou en surfant sur Internet. Résultat, quand ils estiment arbitrairement que leurs frères musulmans sont trop persécutés, même en dehors de leurs frontières nationales, ils passent à l’action. Délinquance, terrorisme, acte psychiatrique ou violence politique… Difficile de définir exactement la nature de leurs actes. D’autant que sur les plus de 120 tueurs de masse qui ont sévi dans le monde depuis les années 1980, très peu sont observés par des médecins : plus des deux-tiers se suicident à la fin de leur massacre. Pourtant, ils ont tué presque 800 personnes et en ont blessé un peu plus de 1 000 entre 1984 et 2011.
La structure de ces nouveaux terroristes intérieurs a donc évolué mais leur manière d’agir également. Exit les bombes et les moyens extraordinaires qui ont tant fait peur aux dirigeants européens. Désormais, ce sont les moyens du bord que les terroristes utilisent. Machette, couteau, scooter, colt 45, cocotte, allumette… cette facilité logistique provoque un sentiment de terreur omniprésent. Autre grande nouveauté de ce terrorisme : la publicité. Merah s’est filmé tout seul grâce à une caméra sanglée sur le thorax et les meurtriers de Lee Rigby ont demandé à la foule de photographier et de filmer la scène. Le but est simple : devenir des martyrs, des sources d’inspiration pour d’autres futurs djihadistes.
Une attaque terroriste au Niger a visé un site minier du groupe nucléaire français Areva. Aujourd’hui, 42% des Français considèrent que la présence des musulmans est une menace pour l’identité nationale.
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La France est-elle protégée ?
Alors que l’Europe est attaquée de toute part et que des menaces continuent d’affluer du Moyen-Orient, comme au Niger avec l’attaque d’une mine d’uranium d’Areva visant clairement les intérêts français, la France peut-elle se sentir protégée ? Il semblerait que non. Pourquoi le Royaume-Uni et la Norvège seraient-ils plus simples à attaquer que la France ? Au contraire, on peut même se demander si les services français seraient en mesure d’anticiper la menace. Depuis la création de la DCRI, fusion en 2008 de fusion de la Direction de la Surveillance du territoire (DST) et de la Direction centrale des Renseignements généraux (RG), les policiers se sont éloignés des terrains propices au développement de cette nouvelle forme de terrorisme : les banlieues, pour ne s’intéresser qu’au terrorisme international. Il n’est dès lors pas étonnant que les services de police aient du mal à appréhender ces nouvelles formes de terrorisme, trop focalisés encore sur les anciens schémas. Mais face à l’absence de chefs clairement identifiés, difficile d’agir, malgré la connaissance des méthodes utilisées.
Mais la France n’est pas la seule à redouter des attaques. Tous les pays développés sont touchés par ce phénomène. Bien que près de la moitié de ces faits ait eu lieu aux États-Unis et au Canada, des événements similaires se sont produit en Europe, en Asie et en Océanie. Seules l’Afrique du Sud et l’Amérique du Sud semblent pour l’heure épargnées.
De gauche à droite : Michael Adebolajo, Mohammed Merah et Tamerlan Tsarnaev.
Comment expliquer ces gestes ?
Comment justifier que des individus puissent nourrir une telle haine envers leur patrie ? Souffrance sociale ? Rejet d’un modèle de la société ? Les tueries de masse ne se sont développées qu’à partir des années 1980, période d’hyper modernité. Individualisation, dislocation des communautés… la perte de repères est considérable pour certains. A cela s’ajoute la précarité de l’emploi. En 2013, à l’échelle mondiale, il y aura près de 73,4 millions de jeunes chômeurs, un chiffre en hausse de près de 0,8 million depuis 2011, selon le rapport « Tendances mondiales de l’emploi des jeunes ». En effet, de nombreux cas font suite à des licenciements, des tensions sur le lieu du travail entre collègues ou des démissions provoquées par un contexte difficile en entreprise. Un sentiment d’injustice face à la panne de l’ascenseur social. Mais alors, comment réduire le risque de désinsertion sociale dans un contexte d’hyper liberté individuelle ?
L’autre élément de réponse, les spécialistes le trouvent dans le passé des tueurs. Ils cherchent à supprimer des individus qui ne sont que les miroirs d’aspirations inabouties : les autres, la société, les femmes, les riches, les puissants… Le tueur dispose alors d’un pouvoir qu’ils n’ont pas : le choix de leur vie ou de leur mort.
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