« La lumière nocturne qui affecte nos rythmes circadiens est bien plus puissante que n’importe quelle drogue ». Cet article d’opinion, d’un expert du sommeil, le Dr Charles A. Czeisler de la Harvard Medical School, et Division of Sleep Medicine et du Brigham and Women ‘s Hospital (Boston), publié dans la revue Nature, alerte à nouveau sur les effets perturbants de l’éclairage nocturne, en particulier provenant des différents dispositifs, ordinateurs, smartphones ou tablettes. L’auteur explique pourquoi le facteur lumière intervient bien plus fort que la caféine, une alimentation déséquilibrée, ou encore le stress lié au travail, sur le manque de sommeil.
D’autres études ont déjà suggéré les effets néfastes sur la santé d’une exposition prolongée à la lumière de nuit. Une récente étude, du Rensselaer Polytechnic Institute (New York), publiée dans la revue Applied Ergonomics avait déjà suggéré un effet perturbant de la lumière bleue des tablettes mobiles sur la mélatonine ou » hormone du sommeil « , et donc sur notre cycle circadien ou horloge biologique. Selon l’étude, 2 heures d’exposition pourrait entraîner une réduction de plus de 20% des niveaux de mélatonine, donc un retard et des troubles du sommeil. D’autres études ont suggéré des effets néfastes de l’éclairage nocturne, en particulier sur le risque de dépression et de cancer. L’OMS a d’ailleurs ajouté le travail de nuit à la liste des facteurs cancérogènes connus et probables.
L’utilisation de l’éclairage la nuit perturbe le sommeil de plus en plus de gens, explique Charles A. Czeisler qui justifie cette affirmation, dans un premier temps, par les données épidémiologiques sur le manque de sommeil. 30% des adultes (américains) salariés et 44% des travailleurs de nuit rapportent aujourd’hui moins de 6 heures de sommeil par nuit, alors qu’il y a 50 ans, ce n’était le cas que de 3% de la population active. Dans le monde, les enfants dorment environ 1,2 heure de moins par nuit, qu’il y a un siècle. Les conséquences du manque de sommeil sont nombreuses et aujourd’hui démontrées:risque accru d’obésité, de diabète, de maladies cardiaques et d’AVC, de dépression. L’épidémie d’obésité a déclenché à son tour une épidémie parallèle d’apnée obstructive du sommeil, qui perturbe le sommeil. Tout ce cycle favorise, chez l’enfant le Trouble de déficit de l’attention / hyperactivité (TDAH). Et le nombre de décès liés à la conduite en état de fatigue est aussi important que ceux liés à l’alcool au volant.
Au niveau biologique, l’œil et ses cellules ganglionnaires de la rétine photosensibles répondent à la lumière et régulent la réinitialisation de l’horloge circadienne. La lumière artificielle de nuit va inhiber les neurones activateurs de sommeil et augmenter l’excitation des neurones à orexine dans l’hypothalamus, des neurones connus pour jouer un rôle important dans l’éveil et l’inhibition du sommeil. La lumière artificielle réduit également la libération nocturne de mélatonine, l’hormone du sommeil.
Plus nous éclairons nos vies, moins nous semblons dormir : La technologie participe à ce dérèglement de l’horloge. Avec l’usage généralisé des nouveaux dispositifs et l’exposition à la lumière durant la nuit, l’horloge s’est décalée plus tard et ce décalage a retardé la sécrétion de mélatonine. Relever ses mails, travailler ou regarder la télévision à minuit est devenu courant. Et nous utilisons du coup plus de caféine le matin. Le coût de la lumière a baissé, favorisant son utilisation à toute heure, et voilà les diodes électroluminescentes à semi-conducteurs (LED- light-emitting diode) largement utilisées dans les téléviseurs et les écrans d’ordinateurs, ordinateurs portables, tablettes et autres dispositifs mobiles qui renforcent l’exposition à l’éclairage nocturne. Or de nombreuses études ont montré que l’exposition nocturne aux LED est plus perturbatrice pour les rythmes circadiens, la sécrétion de la mélatonine et le sommeil.
Le sommeil est essentiel à notre bien-être physique et mental, conclut l’auteur, nous devons donc mieux comprendre cet impact de l’exposition à la lumière sur notre sommeil, nos rythmes circadiens et notre santé. Il faut développer des techniques pour atténuer ces effets néfastes, des dispositifs « circadian-friendly « .
Source: Nature doi:10.1038/497S13a online May 23 2013 Perspective: Casting light on sleep deficiency (Visuel © Shestakoff – Fotolia.com)
Applied Ergonomics online 31 July 2012 Light level and duration of exposure determine the impact of self-luminous tablets on melatonin suppression
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