Mais plutôt que d’adapter simplement le roman-graphique, il a préféré partir de cette base de travail pour proposer quelque chose de sensiblement différent, à la fois fidèle à l’esprit du récit de Julie Maroh et proche de son univers à lui, proche de ses propres thématiques.
Premier changement important, le titre du film, qui explicite bien la démarche d’Abdelatif Kechiche. Un temps envisagé, le beau titre de la BD a été remplacé par La Vie d’Adèle – chapitre 1 & 2. Adèle plutôt que Clémentine, prénom de l’héroïne du roman-graphique, pour permettre une plus forte identification de la jeune actrice principale, Adèle Exarchopoulos à son personnage. Et chapitre 1 & 2, parce que, contrairement au matériau original, Kechiche voulait une fin ouverte, en points de suspension, pour pouvoir continuer à travailler autour de ce personnage et de cette actrice qui l’ont fortement inspiré. Un peu comme Truffaut avec Antoine Doisnel/Jean-Pierre Léaud.
Il faut dire que les aventures amoureuses d’Adèle ressemblent assez fortement à celles du héros de Truffaut. A la différence près que les ébats, ici, sont montrés de façon plus crue, et que l’héroïne expérimente aussi bien les relations hétérosexuelles qu’homosexuelles.
Le scénario est axé autour d’Adèle (Adèle Exarchopoulos), une lycéenne de 17 ans. Plutôt jolie et aimée des garçons. De l’un d’eux surtout, Thomas, qui la drague assidument. Elle cède finalement à ses avances, mais le même jour, elle éprouve un véritable coup de foudre pour une inconnue aux cheveux bleus, plus âgée qu’elle et apparemment lesbienne (Léa Seydoux).
Troublée, Adèle essaie de se focaliser sur sa relation naissante avec Thomas (Jérémie Laheurte). Le garçon lui plaît bien, il est gentil, attentionné. Elle prend du plaisir quand ils font l’amour. Pourtant, elle se sent constamment triste, comme si quelque chose manquait à sa vie. Elle se rend compte peu à peu qu’elle est autant attirée par les femmes que par les garçons, voire plus.
Un soir de déprime, elle accompagne son meilleur ami dans un bar gay et tombe nez à nez avec sa belle inconnue aux cheveux bleus. La fille se prénomme Emma. Elle est étudiante aux beaux-arts et envisage de devenir artiste peintre.
Adèle en tombe instantanément amoureuse. Au bout de quelques rendez-vous, les deux jeunes femmes entament une relation passionnée, intense, dévastatrice…
Kechiche parvient à parfaitement restituer à l’écran cette fusion amoureuse, en filmant longuement la fougue des baisers échangés, la sensualité des ébats, s’appuyant sur les performances de ses deux actrices. Toutes deux sont remarquables, et remarquablement filmées. On le sait, Kechiche est un formidable dénicheur de talents – il a révélé, entre autres, Hafsia Herzi et Sara Forestier - et un directeur d’acteurs de tout premier plan. Il le confirme ici, en nouant une relation particulière avec ses deux actrices, les poussant à dépasser leurs limites, à s’abandonner totalement à leur personnage. Il fallait avoir une grande confiance en leur metteur en scène pour que les deux jeunes femmes acceptent de se livrer à ce point, corps et âme.
Léa Seydoux incarne la mystérieuse Emma, cette femme charismatique à la chevelure azur envoûtante. Tour à tour lumineuse, désirable ou inquiétante, elle livre une nouvelle performance remarquable, qui la place évidemment parmi les favorites au prix d’interprétation féminine du 66ème festival de Cannes.
Mais ce titre pourrait bien lui être contesté par sa partenaire, Adèle Exarchopoulos, qui, pour son premier rôle à l’écran, est époustouflante de naturel et d’intensité dramatique. Elle s’abandonne à son personnage, montrant toutes les facettes de son personnage avec une justesse et une précision de jeu inhabituelles pour une comédienne aussi jeune et inexpérimentée.
Fort de ce bon grain semé, ce travail avec les actrices – et les autres comédiens, tous très bons – le cinéaste n’a plus qu’à récolter les émotions sur leurs visages, en les filmant au plus près, comme il l’avait fait, déjà, dans La Graine et le mulet ou Vénus Noire. Il peut aussi capitaliser sur la tension du récit, qui évolue, au fil des minutes, vers quelque chose de plus grave, de plus amer.
Kechiche peut alors se permettre de soigner la forme – en multipliant les touches de bleu dans ses compositions de cadres, comme dans la bande-dessinée originale – et le fond, en développant ses propres thématiques : Le marivaudage amoureux, l’éducation et la transmission du savoir, les discriminations et les différences de classes sociales.
Contrairement à l’oeuvre originale, il ne cherche pas à mettre en avant un message ouvertement favorable à la cause homosexuelle. Pour le cinéaste, la relation entre les deux femmes est une relation comme les autres, peut-être un peu plus fusionnelle que n’importe quelle autre liaison sentimentale. La seule chose qui les oppose et qui met en péril leur couple est la différence de classe sociale. Adèle vient d’un milieu populaire où un dîner entre amis se fait autour d’un plat de spaghetti fumants. Elle n’a pas de hautes aspirations personnelles et veut juste se dédier pleinement à sa vocation d’enseignante, petite fourmi au service de l’Education Nationale. Emma, elle, vient d’un milieu plus aisé, un peu “bobo”. Chez elle, on reçoit autour de fruits de mer et de grands crus viticoles. Elle est ambitieuse et veut devenir une artiste connue, admirée et respectée. De ce point de vue là, elles ne se comprennent pas, et leurs différences culturelles font naître des complexes chez l’une, des reproches chez l’autre… C’est cela, plus que tout autre chose, qui va faire basculer le récit, dans le deuxième chapitre, où le bleu se fait plus sombre.
Le cinéaste tourne autour du thème de la discrimination. Il montre que si les discriminations raciales et homophobes existent encore, elles ont tendance à reculer. Samir (Salim Kechiouche), un acteur d’origine maghrébine, râle contre les préjugés du cinéma américain, qui n’a rien d’autre à lui proposer que des rôles de terroriste islamiste, mais fait partie du cercle d’amis intellectuels et bourgeois d’Emma. La relation amoureuse entre Adèle et Emma se heurte à quelques violents rejets – notamment de la part des anciennes camarades de classe d’Adèle – et n’est pas totalement assumée par la jeune institutrice, qui cache cette liaison à sa famille et ses collègues, mais elle est globalement acceptée et jugée comme étant “normale”. Mais c’est bien cette discrimination sociale, quasiment indétectable, qui sépare encore les individus et fait le plus de dégâts.
La Vie d’Adèle est un film dense, riche,qui séduit par sa maîtrise technique et le jeu de ses acteurs. Il mériterait de trouver sa place au palmarès de ce 66ème festival. Prix du scénario? De la mise en scène? Grand Prix ou même soyons fous, la Palme d’Or? En tout cas, un double prix d’interprétation féminine à Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, plus un double prix d’interprétation au duo Michael Douglas/Matt Damon, cela aurait de la gueule et constituerait une drôle de coïncidence en cette année de mariage pour tous. On imagine la tête de Frigide Barjot…
Notre note : ●●●●●●
» width= »173″ height= »234″ />En 2010, Julie Maroh faisait sensation avec un roman graphique, “Le Bleu est une couleur chaude”, qui racontait l’histoire d’amour passionnelle entre deux jeunes femmes. La bande-dessinée, prix du public à Angoulême, a su toucher un grand nombre de lecteurs, dont le cinéaste Abdellatif Kechiche, qui s’est empressé de mettre en chantier l’adaptation cinématographique de l’oeuvre.
Mais plutôt que d’adapter simplement le roman-graphique, il a préféré partir de cette base de travail pour proposer quelque chose de sensiblement différent, à la fois fidèle à l’esprit du récit de Julie Maroh et proche de son univers à lui, proche de ses propres thématiques.
Premier changement important, le titre du film, qui explicite bien la démarche d’Abdellatif Kechiche. Un temps envisagé, le beau titre de la BD a été remplacé par La Vie d’Adèle – chapitre 1 & 2. Adèle plutôt que Clémentine, prénom de l’héroïne du roman-graphique, pour permettre une plus forte identification de la jeune actrice principale, Adèle Exarchopoulos à son personnage. Et chapitre 1 & 2, parce que, contrairement au matériau original, Kechiche voulait une fin ouverte, en points de suspension, pour pouvoir continuer à travailler autour de ce personnage et de cette actrice qui l’ont fortement inspiré. Un peu comme Truffaut avec Antoine Doisnel/Jean-Pierre Léaud.
Il faut dire que les aventures amoureuses d’Adèle ressemblent assez fortement à celles du héros de Truffaut. A la différence près que les ébats, ici, sont montrés de façon plus crue, et que l’héroïne expérimente aussi bien les relations hétérosexuelles qu’homosexuelles.
Le scénario est axé autour d’Adèle (Adèle Exarchopoulos), une lycéenne de 17 ans. Plutôt jolie et aimée des garçons. De l’un d’eux surtout, Thomas, qui la drague assidûment. Elle cède finalement à ses avances, mais le même jour, elle éprouve un véritable coup de foudre pour une inconnue aux cheveux bleus, plus âgée qu’elle et apparemment lesbienne (Léa Seydoux).
Troublée, Adèle essaie de se focaliser sur sa relation naissante avec Thomas (Jérémie Laheurte). Le garçon lui plaît bien, il est gentil, attentionné. Elle prend du plaisir quand ils font l’amour. Pourtant, elle se sent constamment triste, comme si quelque chose manquait à sa vie. Elle se rend compte peu à peu qu’elle est autant attirée par les femmes que par les garçons, voire plus.
Un soir de déprime, elle accompagne son meilleur ami dans un bar gay et tombe nez à nez avec sa belle inconnue aux cheveux bleus. La fille se prénomme Emma. Elle est étudiante aux beaux-arts et envisage de devenir artiste peintre.
Adèle en tombe instantanément amoureuse. Au bout de quelques rendez-vous, les deux jeunes femmes entament une relation passionnée, intense, dévastatrice…
Kechiche parvient à parfaitement restituer à l’écran cette fusion amoureuse, en filmant longuement la fougue des baisers échangés, la sensualité des ébats, s’appuyant sur les performances de ses deux actrices. Toutes deux sont remarquables, et remarquablement filmées. On le sait, Kechiche est un formidable dénicheur de talents – il a révélé, entre autres, Hafsia Herzi et Sara Forestier - et un directeur d’acteurs de tout premier plan. Il le confirme ici, en nouant une relation particulière avec ses deux actrices, les poussant à dépasser leurs limites, à s’abandonner totalement à leur personnage. Il fallait avoir une grande confiance en leur metteur en scène pour que les deux jeunes femmes acceptent de se livrer à ce point, corps et âme.
Léa Seydoux incarne la mystérieuse Emma, cette femme charismatique à la chevelure azur envoûtante. Tour à tour lumineuse, désirable ou inquiétante, elle livre une nouvelle performance remarquable, qui la place évidemment parmi les favorites au prix d’interprétation féminine du 66ème festival de Cannes.
Mais ce titre pourrait bien lui être contesté par sa partenaire, Adèle Exarchopoulos, qui, pour son premier rôle à l’écran, est époustouflante de naturel et d’intensité dramatique. Elle s’abandonne à son personnage, montrant toutes les facettes de son personnage avec une justesse et une précision de jeu inhabituelles pour une comédienne aussi jeune et inexpérimentée.
Fort de ce bon grain semé, ce travail avec les actrices – et les autres comédiens, tous très bons – le cinéaste n’a plus qu’à récolter les émotions sur leurs visages, en les filmant au plus près, comme il l’avait fait, déjà, dans La Graine et le mulet ou Vénus Noire. Il peut aussi capitaliser sur la tension du récit, qui évolue, au fil des minutes, vers quelque chose de plus grave, de plus amer.
Kechiche peut alors se permettre de soigner la forme – en multipliant les touches de bleu dans ses compositions de cadres, comme dans la bande-dessinée originale – et le fond, en développant ses propres thématiques : Le marivaudage amoureux, l’éducation et la transmission du savoir, les discriminations et les différences de classes sociales.
Contrairement à l’oeuvre originale, il ne cherche pas à mettre en avant un message ouvertement favorable à la cause homosexuelle. Pour le cinéaste, la relation entre les deux femmes est une relation comme les autres, peut-être un peu plus fusionnelle que n’importe quelle autre liaison sentimentale. La seule chose qui les oppose et qui met en péril leur couple est la différence de classe sociale. Adèle vient d’un milieu populaire où un dîner entre amis se fait autour d’un plat de spaghetti fumants. Elle n’a pas de hautes aspirations personnelles et veut juste se dédier pleinement à sa vocation d’enseignante, petite fourmi au service de l’Education Nationale. Emma, elle, vient d’un milieu plus aisé, un peu “bobo”. Chez elle, on reçoit autour de fruits de mer et de grands crus viticoles. Elle est ambitieuse et veut devenir une artiste connue, admirée et respectée. De ce point de vue là, elles ne se comprennent pas, et leurs différences culturelles font naître des complexes chez l’une, des reproches chez l’autre… C’est cela, plus que tout autre chose, qui va faire basculer le récit, dans le deuxième chapitre, où le bleu se fait plus sombre.
Le cinéaste tourne autour du thème de la discrimination. Il montre que si les discriminations raciales et homophobes existent encore, elles ont tendance à reculer. Samir (Salim Kechiouche), un acteur d’origine maghrébine, râle contre les préjugés du cinéma américain, qui n’a rien d’autre à lui proposer que des rôles de terroriste islamiste, mais fait partie du cercle d’amis intellectuels et bourgeois d’Emma. La relation amoureuse entre Adèle et Emma se heurte à quelques violents rejets – notamment de la part des anciennes camarades de classe d’Adèle – et n’est pas totalement assumée par la jeune institutrice, qui cache cette liaison à sa famille et ses collègues, mais elle est globalement acceptée et jugée comme étant “normale”. Mais c’est bien cette discrimination sociale, quasiment indétectable, qui sépare encore les individus et fait le plus de dégâts.
La Vie d’Adèle est un film dense, riche,qui séduit par sa maîtrise technique et le jeu de ses acteurs. Il mériterait de trouver sa place au palmarès de ce 66ème festival. Prix du scénario? De la mise en scène? Grand Prix ou même soyons fous, la Palme d’Or? En tout cas, un double prix d’interprétation féminine à Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, plus un double prix d’interprétation au duo Michael Douglas/Matt Damon, cela aurait de la gueule et constituerait une drôle de coïncidence en cette année de mariage pour tous. On imagine la tête de Frigide Barjot…
Notre note : ●●●●●●