Indécrottables...

Par Pseudo

Décidément, ils sont indécrottables ! Que pourra-t-on attendre de ces clubistes, dont toute l'énergie passe à sceller leurs privilèges et à verrouiller l'entre-soi. Il s'agit de nos parlementaires, plus précisément de nos députés, très exactement ceux de la commission d'enquête constituée à la suite de l'affaire Cahuzac — la honte Cahuzac devrait-on dire, si tant est que ce mot ait un sens pour lui... et pour ses ex-confrères.

Les auditions ont commencé ce 21 mai. Parmi les premiers convoqués, Michel Gonelle, ancien adversaire de Cahuzac-le-menteur lors de combats électoraux à Villeneuve-sur-Lot, et détenteur de la fameuse bande enregistrée où, par mégarde, l'hypocrite se trahit. On aurait pu s'attendre de la part de nos commissaires à une suite de questions pertinentes sur les failles institutionnelles ou personnelles qui auront permis à un faussaire de n'être pas inquiété tous ces mois durant, depuis les premières révélations de Mediapart. Il s'agissait pourtant du ministre du Budget, excusez du peu ! Et goûtez l'ironie — si les mots «ministre» et « budget de l'Etat » ont eux-mêmes encore du sens. On s'y serait d'autant plus attendu que ce sont les termes de leur mission : déceler les éventuels dysfonctionnements dans l'action de l'Etat, du 4 décembre 2012 (date des révélations) au 2 avril 2013 (date des aveux).

Eh bien non ! La « pertinence » de ces enquêteurs sourcilleux a dû ricocher sur un obstacle invisible, assez dur cependant pour que leur curiosité soit projetée comme un atemi sur la tête de l'infortuné Gonelle. Qui de témoin précieux — par lequel on pouvait espérer quelques éclaircissements sur le cheminement de la « révélation » jusqu'aux plus hauts étages de la République — devint soudain le coupable ! Et passa un sale quart d'heure, tel un apostat devant l'Inquisition, sous une vindicte aussi hargneuse que hors de propos. Comme s'il s'agissait bien de harceler d'abord le révélateur du délit — ou celui que l'on supposait tel — plutôt que le présumé délinquant lui-même...

Et c'est sans doute bien de ça qu'il s'agit. L'obstacle invisible et dur sur lequel a si violemment ricoché la curiosité de ces inflexibles commissaires — les plus virulents en tout cas, mais ce sont eux qui ont donné le ton de l'audition — n'a pu être que cette connivence de prébendiers, transverse aux postures partisanes, aux « familles » politiques, aux convictions claironnées la main sur la poitrine : l'un des leurs avait été pris sur le fait, qu'importait le clan du dévoyé, la tribu tout entière se trouvait menacée par le voyeurisme et l'indignation du tiers-état. Ce monde des « administrés », qui n'ont que des devoirs à l'égard de la caste dominante : croire, obéir, régaler — tandis qu'elle-même ne connaîtrait que son bon plaisir. Il fallait que la tribu serre les rangs, se replie, se protège, immole le responsable d'un tel désordre, d'un tel danger, celui par lequel le monde des obéissants avait appris ce qui aurait dû lui rester caché...

Pauvre Assemblée ! Pauvre commission « d'enquête ». Pauvre opposition parlementaire, qui fait si mal semblant de « s'opposer » et qui en est ridicule et méprisable. Cela nous va bien de rire des Américains : malgré tous leurs défauts, que de leçons ils auraient, là aussi, à nous donner ! Le pays des Droits de l'homme, de Montesquieu, de Tocqueville... Quelle familiarité conserve-t-on avec ces noms ? Quelle fierté pourrions-nous tirer de ces héritages — et de tant d'autres encore — tels que nous sommes devenus, régis par la corporation des nains ? Ces nains sont le cholestérol de la démocratie, un bouchon de graisse épaisse qui obstrue le flux sanguin et fera crever d'infarctus notre société.

(Crédit photo : Jacques Demarthon/AFP.COM, statue de la place de la République, Paris)