par Michel Meuret
Pourquoi s'intéresser aujourd'hui aux bergers et à leurs pratiques lorsqu'ils font pâturer un troupeau ? Ne devrait-il pas être aussi efficace et moins coûteux de recourir à de solides clôtures ? Comment les pratiques des bergers favorisent-elles le renouvellement de la diversité des ressources naturelles et cultivées ? Comment les bergers encouragent-ils les facultés d'apprentissage des animaux et stimulent-ils leur appétit face à des mélanges de plantes variées ?
A l'heure où les politiques publiques cherchent à concilier agriculture et protection de la nature et réinterrogent les modes de production agricole. "Un savoir faire de bergers" a l'ambition de rappeler que les bergers ont dans les mains une culture technique toujours vivante, qui correspond bien aux attentes de la société en matière d'agriculture plus respectueuse du Vivant. "Faire manger les limites". "parer un secteur de net", "faire chômer le troupeau", toutes ces expressions, et bien d'autres encore, témoignent de la manière dont les bergers organisent le pâturage dans l'espace et le temps, et assurent l'alimentation d'un troupeau productif. "Quand le troupeau prend son biais, mille brebis à l'unisson, chaque brebis sait où va le troupeau."
Cet ouvrage, richement illustré, associe différents points de vue : chercheurs, ingénieurs pastoralistes, gestionnaires d'espaces naturels, enseignants en écoles de bergers. Mais, avant tout, il donne la parole à des bergers et des bergères qui ont contribué aux travaux scientifiques ou exprimé les difficultés rencontrées suite à la méconnaissance de leur métier par d'autres usagers des montagnes et des collines.
L'ouvrage s'adresse aux randonneurs, aux gestionnaires de sites naturels et forestiers, aux élus ruraux, aux éleveurs, aux chercheurs, aux enseignants agricoles, et enfin à celles et ceux qui, chaque année plus nombreux, souhaitent s'engager dans la voie d'un métier riche de sens : le métier de berger.
Extraits choisis
Qu’est ce qu’un berger?
Le qualificatif de «berger» a une origine ancienne et une acception en principe univoque: c’est une personne qui garde les moutons. Son origine étymologique remonte au XIIe siècle: «bergier» signifiait alors «gardien», tiré du latin populaire «berbicarius», dérivé de «berbex», brebis. Des textes anciens font référence aux bergers et à leurs compétences. Sous forme d’allégories dans les écrits bibliques: «Le bon pasteur connaît ses brebis, et ses brebis le connaissent» (Ezéchiel 34) et «[…] je donne ma vie pour mes brebis. [. ..] Je dois aussi les conduire; elles écouteront ma voix, et elles deviendront un seul troupeau avec un seul berger» (Jean 10).
En France, le premier écrit technique est un Traité de l’état, science et pratique de bergerie et garde des brebis et bêtes à laine commandé en 1379 par Charles V, Roi de France, à un berger autodidacte venu à Paris (Jehan de Brie, 1542). Des Instructions pour les bergers furent ensuite publiées en 1795 par un professeur du Muséum d’histoire naturelle: « (…) Un berger instruit et soigneux qui gouverne un grand troupeau est occupé presque continuellement à le bien conduire pendant le jour, à le faire parquer pendant la nuit, à le nourrir pendant la mauvaise saison et le tenir proprement, à traiter les maladies, etc. Aussi les bergers ont de bons gages dans les pays où l’on a soin des bêtes à laine; ils sont bien payés, lorsqu’ils savent leur métier et qu’ils l’exercent soigneusement » (Citoyen Dauhenton, An III). (page 43)
(…) “Il est surtout confirmé ici que la population de bergers, sous toutes ses formes, est périlleuse à inventorier, alors que ce n’est pas le cas de celle des éleveurs, de leurs surfaces et de leur cheptel différencié par espèces. Mais ce qui est également confirmé par le groupe interministériel, c’est que «pastoralisme» n’est plus aujourd’hui implicitement synonyme de «garde de troupeau par un berger», tant la diversification du métier et la «rationalisation» des techniques pastorales, dont l’usage des clôtures, se sont développées depuis trente ans.” (page 50)
La nécessaire requalification du métier de berger salarié
(…) Pourquoi sont-ils encore là, éleveurs et bergers, pourquoi continuent-ils à pratiquer la garde des troupeaux? C’est une question légitime, lorsqu’on sait que l’élevage ovin, notamment pastoral, et plus encore celui utilisant les estives de montagne, a plutôt du mal à trouver sa place dans une société ayant tendance à le cantonner au rang de curiosité patrimoniale (Fabre, 2002).
Ce type d’élevage a, depuis quelques décennies déjà, vu beaucoup évoluer ses conditions socio-économiques. Il est en effet confronté, comme c’est aussi le cas dans d’autres pays, à la nette diminution du prix de l’agneau payé aux éleveurs, ceci en raison des importations. Rappelons que la moitié de la viande ovine consommée en France est actuellement importée, principalement du Royaume-Uni et d’Irlande. Certes, cet élevage bénéficie des «aides agricoles» européennes, qui fournissent plus de la moitié du revenu net d’exploitation, aides tout à fait vitales mais qui contribuent à alimenter chez les éleveurs un sentiment de perte de sens de leur métier. Enfin, il n’a pas encore réussi à valoriser économiquement ses atouts, dont l’image assez excellente de ses produits comparée à ceux issus d’autres formes d’élevage, notamment industrielles. C’est pourquoi les éleveurs sont de plus en plus enclins à diminuer leurs charges financières liées au travail, dont celle liée à l’emploi d’un berger. Le nombre de bergers salariés s’est donc considérablement réduit depuis cinquante ans, notamment en élevage ovin allaitant. La situation des élevages ovins et caprins laitiers est meilleure, surtout s’ils émargent à une production de fromages locaux sous label de typidté. Mais tous les autres sont assez violemment confrontés aux gros Volumes et aux bas prix pratiqués par les productions industrielles, ces dernières utilisant parfois l’image du berger dans Ileurs publicités alors qu’il n’est généralement question pour leurs troupeaux que de fourrages cultivés et de concentrés.” (page 61)