L'hiver dernier, le microcosme parisien de la musique a commencé à sérieusement s'émouvoir autour d'un projet : celui de Fauve.
Aucun EP disponible, un seul titre diffusé via internet et un enthousiasme qu'on n'avait pas vu depuis longtemps suscitait alors l'agitation frénétique notamment (surtout?) de la frange la plus hype du milieu de la musique à Paris.
Ma curiosité piquée au vif, je vais écouter dans la foulée pour y aller de mon petit avis sur le sujet.
Ouais. Bon. A la première écoute je suis déçue parce qu'au vu du tapage qu'il y a autour de Fauve, je m'attendais à autre chose.
Alors oui c'est un projet en rupture avec ce qu'on entend partout. Des textes simples qui font l'apologie de valeurs que je défends habituellement mais que nombreux parmi ceux qui adulent la sensation du moment me reprochent justement de cautionner, me taxant de sensiblerie.
Des propos sincères qui, entendus chez d'autres artistes sont immédiatement accusés de sentimentalisme ou de naïveté, sont ici encensés.
C'est, j'avoue, ce qui m'a décontenancée et m'a conduit à m'éloigner du projet. Ou en tout cas à ne pas m'en occuper. Un temps.
Parce que j'ai eu un peu l'impression, sur le moment, que, dès lors que deux ou trois influents jugeaient qu'un projet était viable, une foule les suivait sans réfléchir, criant au génie et à la révolution pour un projet qui -maintenant que j'ai eu le temps de me pencher attentivement dessus- présente un vrai intérêt mais qui présente aussi beaucoup de similitudes avec un contenu proposé par d'autres artistes qui sont habituellement rageusement dénigrés.
Parce qu'en toute honnêté, niveau texte, on n'est pas très éloigné de ce que défendent Cali ou Saez par exemple, qui, pourtant, se font régulièrement lapider par les mêmes hypeux qui font bruyamment l'éloge des textes de Fauve.
Alors oui, j'avoue et je n'en suis pas fière, je me suis braquée et j'ai laissé tomber, pensant que le titre entendu ("Les nuits fauves") n'était sans doute qu'un "one shot" et qu'il serait bien difficile de construire tout un projet sur un même modèle.
Et puis le second morceau est officiellement arrivé, accompagné d'un clip. Que j'ai pris le temps de visionner. Tranquillement. Qui m'a scotchée. Carrément.
”C'est l’histoire d’un gars qui tire un autre gars hors de la ville, pour lui buter sa routine, pour le faire aller mieux”
Là, j'avoue qu'il s'est passé quelquechose. J'ai été touchée. Sincèrement. Par les textes parlés ou plutôt joués, incarnés, scandés avec une fièvre qui colle bien au propos, dans une forme d'urgence qui met tout le corps en état d'alerte.
Fauve dit tout haut ce que tu penses tout bas ou ce que tu aimerais entendre, parfois.
Fauve apporte un souffle nouveau à la chanson en français, en proposant un son qu'on écoute avec les tripes. Inutile de chercher à intellectualiser ce succès : Fauve a réussi à trouver le petit chemin qui mène les mots directement à l'âme.
C'est avant tout une musique du ressenti dont on peine à expliquer l'effet. Une expérience sensorielle rare.
A l'ère de l'autotune et de la tentation du lissage absolu, alors que la quête, vaine, de la perfection musicale est rendue possible et accessible à tous grâce aux nouvelles technologies, Fauve livre une musique brute, tremblante, vivante, nourrie de souffles et de silences, de cris et de chuchotements.
Attention, les arrangements sont soignés. Mais le chant -peut-on encore parler de chant?- la scansion en tout cas est vibrante, dérape parfois et c'est beau. Malgré ça. Ou plutôt grâce à ça.
Il y a fort à parier que s'il avait débarqué dans un autre contexte, le projet Fauve serait passé inaperçu.
Mais voilà il a ce qui fait la force de ceux qui marquent leur époque, ce bon goût de débarquer pile au moment où on en a besoin.
Fauve crie sa haine de l'individualisme ambiant, du quotidien lénifiant qui nous ronge et de la résignation qui guette.
Un morceau de ce collectif, c'est une tranche de vie.
Des textes dont l'amertume sèche la langue réveillés par des fulgurances lyriques, par des incantations qui invitent à ne pas se laisser gangréner par la morosité ambiante.
Est ce que Fauve c'est de la chanson à proprement parler?
Indubitablement mais pas dans le sens où on l'entend d'ordinaire. Fauve couche des mots sur des instrus, crée une ambiance, installe les personnages, monte un décor. C'est un vrai petit théatre intérieur qui s'anime à l'écoute de sa musique, des émotions brutes qu'il lâche pêle-mêle.
Alors qu'il serait si facile de faire semblant de ne rien voir, Fauve ouvre les yeux et lâche ses mots comme un camion sans frein dans une pente : ça va vite, trop, tout se bouscule, on a l'impression de n'avoir aucun contrôle mais une chose est sûre : le frisson est là.
Alors certes, Fauve n'est pas le premier à chanter l'amour frustré, le malaise intérieur et la rage de vivre et d'aimer malgré tout mais il le fait d'une façon qui ensorcelle.
A la limite du théatre contemporain, Fauve chante la vie comme elle est avec une fébrilité qui touche, une rage à peine contenue qui coupe le souffle, des répétitions hypnotiques qui trouvent un écho au plus profond de chacun de nous.
Fauve c'est une poésie du quotidien fougueuse avec son lot de drames et de grands espoirs, de héros blessés et de lumière noire.
Fauve chante pour combler le vide intérieur quand il se fait abyssal, pour conquérir le coeur d'une belle ou pour sauver sa peau. Résilience musicale.
Extrait :
"Mon vieux tu savais que le verbe cristallisait la pensée? J'te jure un mot sur une idée foireuse c'est exactement comme un baiser, t'as pas remarqué? C'est une question de perception" Et au fond je sais qu'il a raison. Y'a quelquechose de mystique dans son affaire : Pouvoir ramasser les mots par terre et les jeter comme des pierres contre les parois plongées dans le noir pour en faire sortir les choses qui blessent.
Grâce à la parole réussir à s'armer contre les sales pensées, et faire des plans, serrer les poings, serrer les dents, les cogner leur rentrer dedans, essayer d'attraper les syllabes à la volée pour en faire des bougies qui éclairent et qu'on placera sous les paupîères ou des jolis bouquets, pour une fille qui nous plait. Finalement c'est pour ça qu' j'écris..."
Fauve m'évoque la Nouvelle Vague et sa fausse désinvolture, dans la démarche. Sous des dehors triviaux, par des procédés simples, il ouvre peut-être la voie à un nouveau mouvement, celui d'une musique qui te prend par la main. Et s'adresse directement à tes tripes. Une musique qui te rendre dedans. Sans ménagement.