Sorti dans les salles obscures Françaises le 22 Mai 2013, Only God Forgives est le dernier long-métrage de Nicolas Winding Refn accompagné d’un acteur qui a connu un véritable plébiscite par son interprétation dans Drive : Ryan Gosling. En compétition au Festival de Cannes, Only God Forgives est incontestablement un film qui divise, qui "dérange" et est tout … Sauf une autre réalisation dans la lignée de Drive. Only God Forgives : véritable Uppercut ou déception cinématographique ? Explications et interprétation.
Une réalisation aux inspirations Asiatiques
Si Nicolas Winding Refn est d’origine Danoise, le spectateur confondrait rapidement le réalisateur à un auteur d’origine Asiatique. Le long-métrage débute sur une typographie Asiatique pour sous-titrer sobrement "Only God Forgives". Surprenant choix, mais il n’est qu’une suite logique au décor de ce film de près d’1h 30.
Bangkok est le théâtre des différentes scènes. Julian, le protagoniste et non pas "héros" de cette production, échappe aux griffes de la justice Américaine pour s’engouffrer dans une ville qui survit et vit la nuit entre prostitution et corruption. Gérant d’un club de Boxe Thaïlandaise avec son frère Américain Billy, l’ensemble sportif n’est qu’un moyen de légaliser leur vie à Bangkok.
Peu loquaces, Billy lance les premières paroles du film de façon lapidaire du style : "Je vais en Enfer". Dans la même soirée il est assassiné dans un des nombreux lieux de luxure de Bangkok après le viol d’une jeune fille de 16 années.
Le scénario, peu à peu, se met en place et se développe par des personnages à l’interprétation surprenante. Julian (Ryan Gosling) est, dans un premier temps, profondément lié à une mère autoritaire détestable : Crystal (Kristin Scott Thomas), maitresse d’un réseau de malfrats. Enigmatique, décrit comme "policier", (Vithaya Pansringarm) interprète une personnalité d’une froideur et d’un calme étonnant dans le rôle d’un "justicier/bourreau".
L’exemple le plus frappant de "dialogue-coquille".
La trame scénaristique s’étoffe, seulement voilà : le réalisateur perd ses spectateurs dans la manière de narrer l’histoire de ses personnages. Les dialogues pourraient tenir sur une copie double d’écolier tant ils sont peu nombreux et remplis d’insultes. Parfois, on a l’impression d’être face à quelque chose de très … banal. Drive n’était pas non plus remarquable par ses paroles, mais Only God Forgives enfonce le clou.
L’indicible prend place et laisse court à des thèmes très forts qui s’imposent au spectateur. L’inceste n’est jamais évoqué, mais un grand complexe d’Œdipe caractérise Julian; l’identité de ce "policier" n’est jamais indiqué, mais l’on sait doute qu’il n’est pas "n’importe qui". Finalement, ce que le réalisateur n’a pas prévu, le spectateur le devine seul. Intéressant, mais de plus en plus, les personnages de Nicolas Winding Refn tombent dans une sorte de "flou identitaire".
Violence symbolique
Le manque de dialogues dure parfois quelques minutes. Mais le spectateur "vit" le tiraillement du personnage de Ryan Gosling. Des plans fixes somptueux qui permettent des portraits saisissants des personnages, une lumière violente presque usée à saturation à cause d’un rouge vif ou d’un bleu glacial, des publicités prises sur le vif … Le réalisateur sait saisir ses acteurs avec brio : leur intimité est nous est presque partagée. Mais quelle ambiance pesante, lourde et surtout dérangeante.
La bande son diffère du tout au tout de Drive : terminé les musiques électroniques à tendance "pop", place à des bruits métalliques stridents, des crescendo de quelques instruments et des points musicales angoissantes. Seule "Proud", qui a servi de musique pour les différentes bande-annonce fait office de musique reposante, calme et plus rassurante. Elle conclut le film, par ailleurs. L’atmosphère musicale a, également, tout d’une culture musicale Asiatique par des musiques traditionnelles et propres à la culture Asiatique. Dépaysante assurément mais insuffisante pour être plaisante et jouer dans les atouts du film
La caméra, le point de vue adopté dans les différentes scènes, ne font pas acte d’espoir. Se baladant dans les couloirs pourpres, dans des pièces fermées pour la plupart du temps, rares sont les moments où le spectateur ne se sent pas "enfermé" dans cette étrange ville de Bangkok. La manière de filmer est intéressante car, sans être dans un huis-clos, il y a cette idée "malsaine" de voir et voler l’intimité des personnages.
Ajoutez à cela une violence visuelle omniprésente. Le scénario laisse place à un engrenage de violence/revanche qui ne cesse d’être croissant. La loi du Talion, lors de l’assassinat du frère de Julian, ne cesse d’être amplifiée : découpes à l’arme blanche non censurées, exécutions à peine masquées. Là où l’on pouvait voit en Drive énormément de sang, Only God Forgives remplace les échanges de paroles par des effusions de sang "réalistes". Sur ce point, on aurait même tendance à voir la classification du film interdit aux moins de 12 ans quasi inadaptée par cette façon de filmer si crue. Toutefois, la brutalité visuelle laisse place à l’une des plus belles scènes de combat au cinéma : lorsque Ryan Gosling affronte le vieillard Asiatique, l’Art de filmer avec un réalisme et du plus bel effet et, malgré tout, ces quelques minutes représentent un réalisme qui ne joue ni trop sur le dramatique, ni dans la vulgarité ou le gore d’autres scènes. On sent quelques inspirations de film de Karaté sans tomber dans la niaiserie : un beau défi relevé grâce au talent des acteurs.
Onirisme cinématographique ou réalisme œdipien ?
Le spectateur doit se faire interprète tout au long du film ou du moins, comprendre l’indicible : ce qui n’est pas dit par les personnages. Ryan Gosling s’en sort avec une facilité déconcertante dans ce sens où le protagoniste qu’il incarne est une sorte du "double" du cascadeur de Drive. L’absence d’émotions face à la mort de son frère, aucune réaction face à l’impardonnable et humiliant que porte sa mère sur lui … Presque rien ne transparait sur son visage. Ca en d’autant plus troublant que le personnage se cherche : il n’entre pas dans le cercle de violence en renonçant à la vengeance de son frère, mais différentes scènes montrent qu’il est à la quête de quelque chose. Comme à la recherche d’un appui, d’un radeau pour ne pas couler, l’activité principale de Julian consiste – vraisemblablement – à vivoter dans les nombreux lieux de débauche de Bangkok.
Les scènes en sont si troublantes, en alternant entre plans fixes et une sorte de prédiction, qu’interpréter Only God Forgives comme un rêve est tout sauf une erreur. A la manière d’une imbrication d’un rêve dans une scène fixe, le personnage est par exemple assis et se voit perdre un bras par une image si soudaine qu’elle en serait subliminale. Ou encore, le fait de voir l’acteur assis puis, soudainement, installé de façon si proche avec une prostituée que l’acte sexuel est inévitable … Pour de nouveau montrer le comédien songeur et accompagné de 2 autres personnes.
Une grande part du film est ainsi concentrée sur le complexe Œdipien du personnage donnant naissance à des scènes d’une rare singularité. Le regard sans émotion et ce thème incessant de la confrontation à la prostitution donne un autre visage à Ryan Gosling et une prestance telle que l’on peut justifier une "seconde" consécration pour cet acteur. Son regard, visiblement sans toucher à ces filles, en disent long sur sa relation aux femmes.
Les personnages sont complexes, évitent et de loin le simple manichéisme auquel on pourrait songer. On pourrait aller jusqu’à rentrer dans le film et être un brin métaphysique dans la question de justice, du pardon … Malheureusement pour lui, il manque cruellement d’échanges entre les acteurs. On reste largement stupéfait du travail des comédiens si bien que l’on a du mal à voir le personnage principal de Kristin Scott Thomas dans Elle s’appelait Sarah, on s’intrigue et se questionne devant l’interprétation du mystérieux Julian uniquement défini à travers les paroles désolantes de sa mère … Si la forme est impressionnante, le fond laisse à désirer dans ce sens où l’effort d’écriture était attendu, où la violence visuelle ne serait pas le seul moyen pour aborder un tel film. On sent pourtant que les personnages ne manquent pas d’intérêt tout en laissant le spectateur face à une tension difficile et la brutalité comme moyen d’appréhender ce film. A travers cet exemple qu’est Only God Forgives, on sent que la dimension musicale est plus que jamais un critère indispensable. Ici, elle est à l’image du film : un brin décevante doublée d’un côté "malsain".
On a aimé :
- Des acteurs surprenants dont le trio Ryan Gosling/Kristin Scott Thomas/Vithaya Pansringarm
– La beauté de certaines scènes : de véritables tableaux et des portraits saisissants
– Une scène de boxe mémorable : sans tomber dans le dramatique ou l’artifice irréaliste de combats d’arts martiaux.
– Bangkok étrange : de jour comme de nuit.
– Nouvelle interprétation intéressante de Gosling.
– Les non-dits et l’implicite laissant place à une grande part d’interprétation.
On a détesté :
- Atmosphère lourde, pesante et dérangeante.
- Ambiance musicale dans l’ensemble inquiétante : bruits métalliques crescendo, des sons désagréables …
- Dialogues souvent creux et peu nombreux.
- Du sang, de violence et du découpage du début jusqu’à, presque, la fin du film.
- L’inquiétude : la principale émotion qui supplante toute autre impression sur le film.
- Un film interdit aux moins de 12 ans ? Seulement recommandable à un âge plus avancé.
Décevant et dérangeant sur la première impression à cause d’une accumulation de "chocs". (Scènes finales du film … Julian et sa mère ?!) Clairement, un film à ne pas recommander aux âmes sensibles ni aux esprits "logiques" ou qui souhaitent une interprétation rationnelle : comment expliquer ce policier n’est jamais défini par son nom ? Passe son temps à chanter du karaoké ? Ne porte pas d’uniforme militaire comme ses confrères qui l’introduisent aux coupables ? Le fait que chaque responsable soit retrouvé sans même détenir d’informateurs ou d’informations ? Certes, il faut interpréter et dégager la partie violente et exécutive du film. Difficile dans le sens où on est face – presque – à un Thriller tenu sur la vengeance. D’un autre côté, on est irrémédiablement intrigué par les personnages fictifs, et cette caméra qui joue sur la saturation de quelques couleurs pour donner des extraits somptueux. Loin d’être convaincu, je reste déçu de cette production qui n’a, finalement, quasi rien à voir avec Drive. Les souvenirs de ce film seront difficiles à oublier tant on aurait pu être convaincu par la réalisation … Il n’en reste, dans nos mémoires, qu’une accumulation sanglante qui accentue les lacunes du film.
A vous de "croire" à ce Only God Forgives !
La Note du Blog La Maison Musée : 3/5
Prix possible Only God Forgives suite au Festival de Cannes 2013 : Meilleur mise en scène ?