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Rencontre avec Célia Lerouge-Bénard, directrice de Molinard.

Publié le 09 décembre 2012 par Tambourine @mybluehour
   Il y a près de deux semaines, j'ai eu la chance de rencontrer Célia Lerouge-Bénard, la nouvelle directrice de la maison Molinard, de passage à Paris pour la sortie de la gamme de produits dérivés du parfum Habanita. Cette entrevue s'est déroulée à l'hôtel Alba, où avait eu lieu le lancement de la nouvelle concentration eau de parfum de cette fragrance en février dernier. 
  Fascinée depuis l'adolescence par ce parfum, que j'ai porté de manière addictive pendant longtemps, (et que je porte encore aujourd'hui), j'ai sauté sur l'occasion pour interviewer la directrice "5ème génération " de cette maison grassoise. 
J'ai lu que vous faisiez partie de la famille à la tête de Molinard depuis des décennies, j'imagine que vous avez donc "baigné" dans l'univers du parfum toute votre vie? 
  Oui, en effet, ceci d'autant plus qu'à une époque Molinard était aussi une société de matières premières, qui produisait donc le parfum de A à Z.  C'est pourquoi j'ai eu la chance, enfant,  de participer aux récoltes de fleurs comme on assiste aux vendanges par exemple, c'était un évènement familial. C'est certain que cela sensibilise au parfum et développe l'odorat. Je remarque d'ailleurs que c'est quelque chose que l'on transmet à ses propres enfants.
Rencontre avec Célia Lerouge-Bénard,  directrice de Molinard.
J'ai lu que vous portiez Habanita , est-ce votre unique parfum? 
 Oui c'est un parfum que je porte, même si je n'y suis pas venue tout de suite. C'est un parfum intimidant que je ne comprenais pas quand j'étais petite ni adolescente d'ailleurs. Il a beaucoup de présence, il a fallu me débarrasser de mes complexes et assumer ma féminité pour le porter.   D'ailleurs je suis toujours fascinée par ces jeunes femmes qui se l'approprient d'emblée. Aujourd'hui c'est le parfum que je porte le soir mais aussi en journée, parfois mixé avec un autre de notre gamme, Tendre Friandise, pour en faire ressortir la facette vanillée.
Pourquoi avez-vous choisi de réorchestrer Habanita en eau de parfum cette année? Etait-ce une nécessité relative aux contraintes de l'IFRA ou plutôt une volonté de le faire connaître aux jeunes générations en le rendant plus accessible? 
Rencontre avec Célia Lerouge-Bénard,  directrice de Molinard.  Cela tenait plutôt d'une envie personnelle. Pour être honnête, nous n'avons pas trop souffert des normes imposées par l'IFRA. Certes, à un moment nous avons eu peur en raison d'une restriction visant le vétiver (très présent dans Habanita), mais nous avons réussi à contourner ce problème.
  L'idée m'est venue en constatant qu'il s'agit d'une fragrance très "capricieuse", c'est à dire qu'au moindre changement infime dans la formule, le parfum devient totalement différent et perd de son harmonie. Habanita est une création complexe en ce sens qu'elle est très difficile à équilibrer. J'avais donc envie de trouver le dosage parfait qui mettrait en valeur le coeur du parfum et son évolution, qui me parlent tant personnellement. Comme une sorte de challenge en quelque sorte.
  Et puis, bien sûr, l'eau de toilette d'Habanita était sublime, mais ses notes de tête pouvaient être un peu dures. C'est certes ce qui faisait partie de son charme, mais dans un contexte où le zapping est de mise, où l'on ne prend plus le temps de laisser évoluer un parfum avant de le choisir, où malheureusement les consommateurs ont envie que le parfum leur plaise immédiatement, cette  ouverture pouvait les empêcher de découvrir cette perle qu'est Habanita. Or je trouvais dommage qu'on puisse passer à côté pour cette raison. J'ai donc un peu gommé l'aspect piquant et rêche de l'envolée du parfum pour entrer directement dans le corps du parfum, cette partie qui me séduit tant.
Auriez-vous quelques anecdotes à nous confier au sujet d'Habanita? 
  Je pourrais vous confier qu'Habanita était à l'origine une huile destinée à parfumer les cigarettes des garçonnes mais cette anecdote est connue. Plus largement je dirais qu'Habanita était un parfum provocateur, (et qu'il l'est toujours d'ailleurs). C'est un parfum d'émancipation, puisqu'il était voué à rendre le geste de fumer plus féminin, pour que l'image d'une femme qui fume cesse d'être mal vue. Il évoque l'époque des garçonnes.
  Et puis, avec sa forte concentration en vétiver, pour un parfum féminin, Habanita était avant-gardiste.  C'est d'ailleurs la variété de vétiver utilisée dans sa formule qui ajoute beaucoup à son originalité.
A l'exception d'Habanita, référence la plus célèbre de la maison, quels sont les autres parfums phares chez  Molinard? 
   Les autres fragrances qui plaisent beaucoup au public restent celles qui mettent en valeur une matière "brute", simple, préservée, dans un esprit "solinote", aux antipodes d'une création complexe et abstraite comme Habanita.  Ainsi notre Patchouli séduit beaucoup, pour son aspect terreux, loin des facettes gourmandes d'un Réminiscence par exemple. Notre gamme de vanille marche très bien également.
Rencontre avec Célia Lerouge-Bénard,  directrice de Molinard.
Envisagez-vous, à l'avenir, de remettre au goût du jour certaines autres de vos références? 
  Il n'y a rien de prévu de tel pour le moment, mais dans l'idée c'est un exercice que j'aimerais recommencer avec Tendre friandise. A notre époque, malheureusement, le marketing prend de plus  en plus de place dans l'univers du parfum, voire trop de place, laissant boudées de bonnes créations olfactives au profit de parfums souvent moins bons ou qualitatifs, mais mieux servis par des lancements à grande échelle, par la publicité ou par une égérie ou un nom accrocheur. C'est, à mon sens, le cas d'une fragrance comme Tendre friandise,  une gourmandise qui pourrait plaire au public mais qui reste souvent oubliée en raison, notamment, d'un nom un peu désuet.  C'est pourquoi la relancer sous un autre jour pourrait se révéler intéressant.
Plus largement, comment voyez vous l'avenir de la maison Molinard? 
  Vaste question, qui nécessite quelques explications préalables! Cela fait dix ans que je travaille pour cette marque, mais j'ai mis du temps à m'y sentir légitime, car je ne voulais pas être là  simplement parce que je faisais partie de la famille. Je voulais y travailler à condition que cela m'intéresse vraiment et que je puisse apporter quelque chose. Tout ce cheminement prend du temps, et ce n'est pas simple d'être à la tête d'une maison ancienne de 160 ans!
  Aujourd'hui j'ai pris les rênes de Molinard depuis deux ans, et j'ai envie d'en préserver le patrimoine, tout en le faisant vivre au rythme d'aujourd'hui. C'est à dire que mon père était quelqu'un d'humble, qui fonctionnait au feeling, comme ça pouvait encore être le cas à l'époque. Le contexte a malheureusement changé et on ne peut plus faire abstraction totale de l'aspect marketing  même si, attention, ça ne doit pas devenir l'essentiel! Mon père me disait souvent "oui mais nous ne sommes pas Chanel ou Guerlain..."  Et bien justement, j'ai envie d'en prendre mon parti avec tout ce que cela implique, c'est à dire de faire de notre "petite échelle" une force, un atout.
  Concrètement, cela signifie de conserver les formules de qualité que nous possédons, mais en misant aussi sur la communication autour de nos fragrances, peut-être avec de nouveaux packagings, par exemple.  Ne pas lancer un parfum nouveau à tout prix, prendre le temps de mener les projets à terme (pour la petite histoire, le lancement de l'eau de parfum Habanita a dû être repoussé, parce qu'en 2011, nous n'étions pas assez satisfait du résultat), mais savoir aussi s'entourer de personnes compétentes dans les domaines que nous maîtrisons moins, comme la communication. J'ai envie que l'on s'adapte à l'air du temps tout en continuant de prendre le temps de faire  bien les choses.

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