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Faust ou l’homme ordinaire : Un ticket pour le Paradis

Publié le 23 mai 2013 par Thierry Gil @daubagnealalune

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Dans sa dernière création, la compagnie Jolie Môme revisite le mythe de Faust dans le contexte historique de la « guerre des paysans » qui éclata dans l’Allemagne du XVIème siècle. La pièce invoque la raison de l’homme ordinaire contre la collusion des puissants. A découvrir le 7 juin en clôture de la saison culturelle de L’Espace de L’Huveaune.

Qui sait qu’entre 1524 et 1528 éclata l’une des plus grandes révoltes paysannes de l’histoire européenne? 300.000 paysans participèrent à un véritable soulèvement contre l’ordre féodal du « Saint Empire romain germanique ». Pour le philosophe et théoricien socialiste allemand Friedrich Engels, grand ami de Karl Marx, cette « guerre des paysans » est le chaînon manquant entre Spartacus et La Commune. C’est cette tentative avortée d’affranchissement de la paysannerie que met en scène la compagnie Jolie Môme dans sa dernière création, Faust et l’homme ordinaire, qui vient boucler le 7 juin la saison culturelle sur la scène de La Penne-sur-Huveaune.

Avec cette nouvelle création, la troupe de théâtre « enragé et engagé » revisite un chapitre de l’histoire européenne pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui. Sous le feu d’une mise en scène éclairée, les similitudes se font jour. Au milieu de cette « guerre des paysans », Jolie Môme place fictivement le docteur Faust, un intellectuel tourmenté, qui ne sait trop quel camp choisir : celui de son peuple accablé, ou celui des maîtres qui détiennent tous les pouvoirs, y compris celui de vie ou de mort, les pires supplices réservés à la plèbe étant inscrits dans le code pénal en vigueur. Le choix de Faust sera décisif dans cette Allemagne en effervescence. Faust est d’abord approché par un émissaire de Thomas Münzer, un évangéliste dont le nom est entré dans l’histoire pour avoir pris la tête de la rébellion en s’appuyant sur le Nouveau Testament. Il propage l’idée que l’on pourrait bientôt élaborer sur terre le paradis pour tous et fustige les seigneurs qui « font de toutes les créatures vivantes leur propriété (…) Et ensuite, ils prêchent aux pauvres le commandement : Tu ne voleras point ! Mais eux-mêmes s’emparent de tout ce qui tombe entre leurs mains, ils grugent et exploitent le paysan et l’artisan ; cependant qu’un pauvre s’en prend à quoi que ce soit, il est pendu ». Pour Münzer, le royaume de Dieu n’était pas autre chose qu’une société où il n’y aurait plus aucune différence de classes, aucune propriété privée, aucun pouvoir d’Etat autonome et étranger aux membres de la société.

« On ne compose pas avec l’oppression et l’injustice, on résiste ! »

Le bon docteur Faust soutiendra t-il la révolte paysanne ou vendra t-il son âme au diable en ralliant les princes ? (photos : Carine Bœuf)

Le bon docteur Faust soutiendra t-il la révolte paysanne ou vendra t-il son âme au diable en ralliant les princes ? (photos : Carine Bœuf)

Faust est ensuite approché par les ennemis de Münzer, fidèles aux princes et aux papistes qui tentent d’acheter son engagement en le couvrant d’honneurs. Derrière eux il y a l’ombre du chrétien Martin Luther, son pire ennemi, qui après avoir ouvert la boîte de la révolte  - sa traduction de la Bible, diffusée grâce à la toute nouvelle invention de l’imprimerie bouleverse l’ordre établi – la referme brutalement en choisissant de composer avec les puissants pour écraser le soulèvement paysan. Le suspense de la pièce repose sur le choix du populaire docteur Faust, défenseur des petites gens : vendra t-il son âme au diable ? Choisira t-il l’honneur ou les honneurs ?  Soutiendra t-il ses frères paysans ou succombera t-il aux sirènes du pouvoir, avec l’illusion de « changer les choses de l’intérieur » ? Ce dilemme est le point de départ de la pièce dont le fil est le personnage de Marguerite, jeune fille innocente, exaltée de Münzer et sœur de Hans Würtz, le valet de Faust. Elle est envoyée dans la ville pour tenter de rallier Faust à la cause des paysans révoltés. La compagnie Jolie Môme se range quant à elle aux côtés des insurgés auxquels elle fait dire : « On ne compose pas avec l’oppression et l’injustice, on résiste ! ».

En toile de fond de cette pièce mise en scène par Michel Roger et interprétée par onze comédiens et musiciens, c’est la question de la social-démocratie qui est posée, de sa réelle capacité à transformer la société en réfrénant l’avidité des puissants. Un président déchu avait il n’y a pas si longtemps fait la promesse de moraliser le capitalisme financier. Un autre, nouvellement élu, de le combattre. On sait ce qu’il advint de ces vœux pieux.

Ce Faust et l’homme ordinaire nous interroge sur nos propres renoncements, sur notre capacité à nous indigner et, au-delà, à lire le monde autrement qu’à travers le manuel d’instruction rédigé par les valets et les chiens de garde d’un système jugé inégalitaire.

Thierry GIL

Vendredi 7 juin à 20h32, Espace de L’Huveaune, chemin Noël-Robion. Tarifs : 17€ (normal), 13€ (réduit). Renseignements au 04 91 24 70 42.


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