L’Union Européenne, c’est ce magnifique assemblage hétéroclite d’États européens qui ont décidé de se mettre ensemble afin de résoudre tous ces problèmes qu’ils n’auraient jamais eu s’ils étaient restés séparés. Animée au départ des meilleurs sentiments et se contentant, essentiellement, d’abaisser les frontières commerciales et culturelles entre les populations du vieux continent, l’Union a peu à peu dérivé vers un engin politique débridé doublé d’une administration tatillonne et délicieusement décalée des contingences du monde actuel…
Oh, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : il faut bien comprendre que la bureaucratie européenne reste encore microscopique comparée à l’administration de certains pays membres, à commencer par la France. Et c’est en partie pour cette raison qu’on arrive encore à lire de lucides analyses produites par exemple par la Commission Européenne, dans lesquelles on apprendra (sans vraiment le découvrir) que l’Hexagone multiplie les problèmes macro-économiques qui ont une furieuse tendance à réduire sa capacité à réagir dans l’environnement international. Bon : c’est le langage policé de la Commission, mais cela veut clairement dire que le pays est dans le caca et semble y patauger avec un plaisir non feint.
Mais voilà.
À côté de ces moments évidents de lucidité où l’Union Européenne se permet un jugement perspicace de la situation, on trouve des déclarations consternantes d’un Commissaire, comme par hasard français, ou une récente avalanche de décisions prises dans le plus parfait n’importe quoi chimiquement pur.
Ainsi, l’absence évidente de toute culture économique de la part de Michel Barnier, pourtant en charge du portefeuille européen du Marché Intérieur et des Services, laisse franchement perplexe. On peut se demander comment ne pas l’être en effet lorsqu’il déclare dans une interview accordé récemment au JDD, probablement sous l’emprise de l’alcool (je cite) :
« Nous devons revenir vers l’économie sociale de marché, que l’on a abandonnée depuis trente ans au profit d’une ligne ultralibérale. »
Ben oui, rappelez-vous, cette furieuse ligne ultralibérale qui a poussé la France à consacrer 56% de PIB en dépenses publiques ! Cette ligne ultralibérale qui voit les impôts, les taxes et les ponctions fleurir comme jamais, partout en Europe et particulièrement en France. Cette ligne ultralibérale qui, depuis 40 ans, aura vu les budgets en déficits s’aligner les uns après les autres permettant d’empiler une dette turbolibérale de 2000 milliards d’euros, sans compter les engagements néolibéraux de l’Etat pour les retraites des fonctionnaires et des autres, ou les soultes gigalibérales de ses entreprises mégacapitalistes comme la SNCF, EDF, GDF et tant d’autres. Cette ligne ultralibérale qui voit aux commandes une tripotée de socialistes, soit franchement affirmés, soit sous le manteau comme avec la fine équipe précédente dont Barnier fut d’ailleurs l’un des éminents bras-cassés. Tout cet ultralibéralisme qui bave partout, ça me rend coi !
Mais à vrai dire, même lorsque la Commission s’exprime autrement que par la bouche un peu moisie d’un Français approximatif et trop confit de ses douillettes certitudes, et même si elle dit des choses techniquement exactes, on ne peut s’empêcher de trouver sa façon de procéder et le timing de ses interventions particulièrement maladroits. Par exemple, on comprend fort bien que Günther Oettinger, le Commissaire allemand en charge de l’Energie, se soit fendu de remarques acides à l’encontre de l’État français : après tout, l’hippopotame incontinent le mérite bien :
« Il ne peut y avoir d’aménagement de la réduction de la dette que si c’est lié à une série de mesures de réforme. La France doit revoir son système de pensions et libéraliser son marché du travail. Elle doit aussi réduire sa dette publique. «
Ce qui, on en conviendra, est un tacle poli mais aussi musclé que mérité contre son collègue franchouille, mais qui tombe assez mal actuellement alors que la France cherche, précisément, des noises à l’Allemagne et semble y trouver un excellent bouc-émissaire pour éviter toute réforme de fond. D’autant qu’aujourd’hui, le capitaine du pédalo est justement allé serrer la louche aux dirigeants du parti socialiste allemand ce qui revient, diplomatiquement, à filer un petit kick latéral dans les genoux d’Angela Merckel, du parti concurrent, et en plein pendant sa campagne électorale. Réponse du berger à la bergère qui appuya Sarkozy dans des circonstances équivalentes. Tout ceci est d’une classe raffinée, on en conviendra aisément.
S’il n’y avait que ces histoires de politiciens, ces petites phrases feraient, finalement, sourire. Malheureusement, l’Union Européenne se caractérise aussi pour ses prises de positions, ses directives et ses projets de lois de plus en plus ahurissants.
On pourrait s’étendre à loisir sur les petites vexations quasi-quotidiennes dont la bureaucratie européenne nous agonit, comme par exemple la récente interdiction de l’huile d’olive artisanale distribuée en pichets sur les tables de certains restaurants : les meilleures intentions du monde (assurer la qualité de la nourriture et des produits qu’on utilise en Europe, la santé du consommateur, etc…) provoquant comme d’habitude la mise en musique de contraintes absurdes et destructrices, d’ailleurs sourdement propulsées par des lobbies de gros producteurs qu’un étatisme galopant ne fait que favoriser.
Mais ce serait encore anecdotique. De même que les débats homériques sur composition des confitures et des marmelades, ou le diamètre des salamis, avaient entretenus la chronique européenne sur le mode goguenard, les interdictions comme pour l’huile d’olive restent presque bon enfant devant ce qu’on découvre, régulièrement, et qui, pour le coup, ne font plus rire du tout.
Il y a, bien sûr, les travaux en cours sur un projet de législation européenne, dans l’une des commissions du Parlement Européen, et qui vise à protéger les petits déposants à concurrence de 100.000 euros (dit comme cela, ce serait presque rassurant) mais surtout, à faire admettre aux titulaires de comptes disposant de soldes supérieurs un risque de passer des pertes en cas de faillite bancaire. Bien sûr, ceci n’est que le prolongement logique de ce qui est arrivé à Chypre en début d’année, et qui n’avait servi, finalement, que de répétition. Il est maintenant absolument certain que cette directive (voire, plus rapide, ce règlement) sera mise en place, qu’elle s’imposera à tous et qu’on pourra en mesurer l’importance assez vite lorsque, ô surprise, l’une ou l’autre banque (française ?) carafera avec pertes et fracas.
Il y a, évidemment, les autres travaux, parallèles et obstinés, sur le même sujet d’une union bancaire à la fois solide (ici : on peut pouffer) et durable (là : on peut rire), comme par exemple ce projet d’échange automatique de données bancaires sur tout le territoire européen, afin de lutter contre la fraude fiscale, et ce dès 2015. On ne s’étonnera pas de lire que les dirigeants européens entendent capitaliser sur la « dynamique » (ou l’effroi, si l’on veut parler clairement) née ces derniers mois avec Chypre, notamment, et s’engager vers l’adoption d’une série de textes pour faire de la coopération fiscale une réalité, youpi youpi.
Évidemment, on comprend que l’abandon progressif des spécificités fiscales des États est un rêve humide des fédéralistes de l’Union tant ce domaine (avec l’armée) est à ce point fondamental pour déterminer le périmètre d’un État, justement. Le fait même que tous soient maintenant prêts à coopérer de façon de plus en plus ouverte indique à la fois à quel point ils ont décidé d’essorer leurs populations en termes d’impôts, et jusqu’à quelles extrémités ils sont prêts à pousser pour faire durer leur chimérique monnaie-papier. Une telle obstination n’augure généralement rien de bon…
D’autant qu’il y a, enfin, l’interprétation très câlin par la cour de Cassation française de la directive 2005/690/CE, ainsi que d’une flopitude de jurisprudence, qui amènent les bons juges français et humanistes à décider que, finalement, on peut continuer à répandre généreusement les mannes des allocations familiales à des ressortissants de n’importe quel pays, y compris hors Européens. J’ai été assez surpris de ne pas voir ce sujet repris par la presse nationale et les médias d’importance, alors qu’il démontre à l’envi qu’on est sans doute allé bien trop loin dans la distribution d’argent gratuit des autres. Bien évidemment, sur le plan du droit, plusieurs tortillent déjà de l’arrière-train pour trouver un moyen de limiter les largesses sur des critères de plus en plus compliqués à mettre en place, République du Bisounoursland oblige, alors que tout démontre que supprimer une bonne fois pour toutes, et pour tout le monde, toutes formes d’allocations, avec la disparition de la ponction correspondante, redonnerait instantanément du pouvoir d’achat aux ponctionnés et résoudrait tout aussi rapidement une partie des problèmes français, à commencer par celui de la fraude relative.
Oui, décidément, à lire ces éléments, on ne peut plus voir en l’Union Européenne autre chose qu’une suite malheureuse et acharnée de dérives. En définitive, ces institutions démontrent encore une fois, s’il était nécessaire, que l’enfer européen est pavé de bonnes intentions inscrites dans de volumineux traités.