L'affaire Vincent L. illustre les difficultés rencontrées dans un domaine dans lequel les considérations éthiques rendent bien difficile l'élaboration de la règle de droit.
Par Roseline Letteron.
L'ordonnance de référé rendue le 11 mai 2013 par le tribunal administratif de Châlons en Champagne suscite la réflexion, alors qu'il est question de réformer la loi Léonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades en fin de vie.
À l'origine de l'affaire, le cas d'un homme de trente-sept ans, Vincent L., hospitalisé dans le service de médecine palliative du CHU de Reims, tétraplégique depuis un grave accident de moto intervenu il y a presque cinq ans. Après avoir été longtemps dans un coma végétatif, il est, depuis août 2011, dans un "état de conscience minimal", ce qui signifie qu'il réagit quelquefois à certains stimuli et témoigne, par une opposition comportementale, son refus de certains gestes médicaux. Il est nourri et hydraté artificiellement, mais ne reçoit pas de traitement particulier, car les médecins n'ont aucun espoir qu'il puisse retrouver davantage de conscience et d'autonomie.
Euthanasie "passive"
La situation de Vincent L. entre dans le champ d'application de ce qu'il est convenu d'appeler l'"euthanasie passive", formule purement doctrinale. Si elle ne figure pas dans le droit positif, elle permet cependant de rendre compte d'une distinction fondamentale opérée par la loi Léonetti.
Le texte énonce que « les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». Cette renonciation aux soins s’applique à la fois aux patients en fin de vie, mais aussi à ceux qui sont atteints d’une pathologie sans risque vital, mais sans espoir de guérison, maladie qui ne leur offre comme perspective qu’une vie végétative (tétraplégie ou coma, par exemple). Dans le cas de Vincent L., les médecins ont réduit l'alimentation par sonde, pour laisser le patient s'éteindre.
Cette pratique s'oppose à l'"euthanasie active" qui consiste à injecter un produit mortel à un patient atteint d'une maladie incurable, avec son consentement. La loi Léonetti ne reconnaît pas cette distinction de manière formelle, mais elle interdit néanmoins l'euthanasie active, alors qu'elle tolère l'euthanasie passive, sous certaines conditions.
Une décision collégiale
En l'espèce, les médecins du CHU de Reims ont mis en œuvre la procédure prévue par le décret du 29 janvier 2010. Elle prévoit deux hypothèses. Lorsque le patient est conscient, il peut demander la suspension de soin, et les médecins doivent respecter sa volonté. Lorsqu'il est inconscient, ils doivent tenir compte des "directives anticipées" qu'il a éventuellement rédigées ou de l'avis de la "personne de confiance" qu'il a peut-être préalablement désignée. Vincent L. n'avait pas pris ce type de précaution, et il appartient dans ce cas au corps médical de prendre la décision, en accord avec ses proches.
C'est évidemment la situation la plus délicate, et la question posée par l'ordonnance de référé est celle de la notion de "proches". Les médecins ont associé à leur décision l'épouse de Vincent L., qui a accepté le principe de la suspension de son alimentation. Ses parents en revanche, éloignés géographiquement, n'ont pas été consultés ni même informés d'une décision aussi lourde. Ce sont donc eux qui ont introduit la demande de référé et le tribunal leur donne satisfaction. Dès lors qu'ils ont été tenus à l'écart de la procédure, celle-ci est irrégulière, et le juge ordonne de rétablir l'alimentation normale de Vincent L., en attendant qu'une décision soit prise, avec la participation de ses parents. Sur ce point, la décision adopte une conception objective de la notion de "proches". Ils ne sont pas seulement ceux qui partageaient la vie quotidienne du patient, mais aussi ceux qui, même géographiquement éloignés, sont attachés à lui par un lien familial. La décision n'apporte cependant pas une clarté totale sur cette notion. Sera-t-il nécessaire d'associer à la procédures les frères et sœurs, ou seulement les parents qui veulent y participer ? L'ordonnance de référé n'apporte aucune réponse sur ce point. Elle a cependant l'avantage de montrer la nécessité d'une réflexion sur cette question,
Vers une nouvelle procédure
La décision du tribunal, comme toute décision d'urgence, n'a pas pour objet de résoudre le problème de fond. Elle rétablit la situation antérieure, et le problème du maintien en vie de Vincent L. dans une situation végétative demeure non résolu. La situation n'est d'ailleurs pas inédite, et on se souvient de l'affaire Terri Schiavo qui avait suscité beaucoup d'émotion aux États-Unis en 2005. L'époux de la patiente avait alors obtenu des tribunaux américains la suspension du traitement qui maintenait sa femme en vie depuis treize années, en dépit de l'opposition de ses parents.
Aux termes de la loi Léonetti, la situation de Vincent L. est bien différente, car le texte donne compétence aux médecins pour décider de l'interruption du traitement, à la condition qu'ils prennent une décision collégiale, avec l'intervention d'un second médecin consultant, et que les "proches" du patient soient consultés. Mais il ne s'agit que d'une consultation, ce qui signifie que les parents de Vincent L. ne sont pas assurés que leur point de vue sera pris en considération lors de la nouvelle procédure qui sera engagée.
Absence de consensus
L'affaire Vincent L. illustre parfaitement les difficultés rencontrées dans un domaine dans lequel les considérations éthiques rendent bien difficile l'élaboration de la règle de droit. Par sa généralité même, celle-ci n'est pas toujours en mesure de tenir compte de chaque situation, de chaque cas particulier, dans lequel la décision est, par définition, toujours douloureuse.
Le projet de loi sur la fin de vie, promis par le Président de la République, risque de se heurter aux mêmes difficultés. En effet, il a été préparé par un rapport rédigé par la Mission présidentielle de réflexion sur la vie, présidée par le Professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d'éthique. Sur le fond, il ne revient pas réellement sur les principes généraux posés par la loi Léonetti, mais s'interroge, sans toutefois le préconiser, sur l'éventuelle possibilité d'un "suicide assisté". L'ensemble demeure incertain, et ces incertitudes révèlent évidemment l'absence d'un réel consensus dans ce domaine.
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