Depuis novembre, plus d’un millier de travailleurs du secteur du vêtement au Bangladesh ont péri dans deux tragiques catastrophes d’usine : un incendie à Tazreen et l’effondrement d’un immeuble à Savar, en dehors de la capitale, Dhaka. Le Bangladesh est un exportateur majeur de vêtements vers l’occident et « est en passe de devenir le plus grand exportateur de vêtements dans le monde au cours des prochaines années », indique le célèbre magazine The Economist. Les salaires y sont plus bas que dans la plupart d’autres pays, y compris la Chine, et les femmes représentent une proportion importante des 4 millions de travailleurs du vêtement.
Les usines dangereuses sont-elles le prix du progrès ? Un débat passionné fait rage quant à savoir si les normes de sécurité internationales doivent être appliquées aux fabricants des pays en développement et leurs entreprises clientes en occident. Les partisans de normes soutiennent que les coûts seraient faibles et les avantages importants. Un Accord sur la Sécurité Incendie et du Bâtiment a été signé par les principaux détaillants en Europe et quelques-uns en Amérique du Nord, mais le Huffington Post affirme que 14 autres détaillants nord-américains ont refusé de le promouvoir. « Certains détaillants, comme Wal-Mart, affirment qu’ils travaillent sur des initiatives indépendantes pour améliorer les conditions et la sécurité de travail au Bangladesh », selon la publication en ligne, mais cette déclaration a été accueillie avec http://www.huffingtonpost.com/2013/05/14/walmart-bangladesh-factory_n_3275756.htmlscepticisme.
Les opposants à la réglementation estiment que relever artificiellement les coûts de fabrication dans les pays pauvres nuirait aux bénéficiaires supposés, en destruisant des emplois. Dans ce cas, les travailleurs seraient alors confrontés à des options pires, y compris la vie dans la rue et la prostitution.
Malheureusement, le débat est inutilement rendu étroit. Ce dont il faut discuter, et ce qu’il faut radicalement changer, c’est le système politico-économique du pays, qui profite aux élites tout en maintenant la majorité à l’écart. Les économistes ont sans doute raison de rappeler que, dans le cadre du statu quo, imposer des normes de sécurité augmenterait les coûts, provoquerait le chômage et aggraverait la pauvreté. Mais nous ne pouvons pas en rester là. Nous devons continuer à examiner la manière dont le système politico-économique réduit les opportunités d’emploi des gens, y compris l’auto-entrepreneuriat, et étouffe leurs efforts à améliorer leur vie. Ainsi, un débat pour savoir si les usines de vêtements devraient être soumises à des règles de sécurité, alors que le statu quo serait préservé, n’est vraiment pas la question.
Selon un rapport rédigé pour le ministère néerlandais des affaires étrangères, la plupart des Bangladais, sans surprise, sont victimes d’un système foncier qui a longtemps profité aux élites urbaines et rurales. « L’accaparement des terres rurales et urbaines par des acteurs nationaux est un problème au Bangladesh », indique le rapport.
« Les gens riches et influents ont empiété sur les terres publiques (...), souvent avec l’aide des fonctionnaires de l’administration du territoire et des services de gestion. Parmi d’autres exemples, des centaines de sociétés immobilières dans les zones urbaines ont commencé à délimiter leur zone de projet à l’aide de piquets et de pancartes avant de recevoir les titres de propriété. Ils utilisent des gros bras locaux bien armés et occupent des administrations locales, y compris la police. La plupart du temps, les propriétaires fonciers se sentent obligés de vendre leurs ressources productives à ces sociétés à un prix inférieur à leur valeur marchande. Les fonctionnaires au sein de l’État soutiennent ces entreprises et reçoivent des parcelles de terrain en échange ».
Les femmes sont celles qui souffrent le plus du fait du patriarcat soutenu par le système politique. « Les femmes du Bangladesh bénéficient rarement d’un accès égal aux droits de propriété et détiennent rarement un titre foncier », note le rapport. « Les pratiques sociales et coutumières ont pour effet d’exclure les femmes de l’accès direct à la terre ».
En conséquence,
« Beaucoup de pauvres ruraux au Bangladesh sont des paysans sans terre, ont seulement de petites parcelles de terre et dépendent de la location ou du métayage. En outre, l’insécurité foncière est élevée en raison de lois et de politiques dépassées et injustes (...). Ces inégalités et cette instabilité rurales croissantes génèrent également la migration vers les villes et l’augmentation du taux de pauvreté en milieu urbain ».
La migration urbaine gonfle les rangs des travailleurs, permettant aux employeurs de profiter d’eux. Puisque le Bangladesh n’a pas une économie de libre marché, la création d’entreprise est rendue infernale par la paperasserie réglementaire - et pire encore, comme une loi sur la « propriété intellectuelle » qui profite en réalité à l’élite tout en étouffant la possibilité pour les pauvres de trouver des alternatives au travail en usine. (Le propriétaire de l’usine de Savar, Mohammed Sohel Rana, s’est enrichi dans un système où, comme l’écrit The Guardian : « la politique et les affaires sont étroitement liées, la corruption est monnaie courante, et l’écart entre riches et pauvres ne cesse de croître ». De plus, jusqu’à l’effondrement de l’usine, les travailleurs du vêtement ne pouvaient pas s’organiser sans l’autorisation de l’employeur.
Le capitalisme de copinage prive les Bangladais de droits de propriété, de la liberté d’échange et d’alternatives d’emploi. Le populations n’ont besoin ni du statu quo corporatiste ni de la condescendance occidentale. Ils ont besoin d’une réforme foncière radicale et de marchés libérés.
Sheldon Richman, vice-président de la Future of Freedom Foundation. Le 23 mai 2013.
Cet article a paru originellement en anglais sur le site de la Future of Freedom Foundation.