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Ryanair au pilori

Publié le 22 mai 2013 par Toulouseweb
Ryanair au piloriLa low cost irlandaise dans le collimateur.
Avec 75 millions de passagers par an, Ryanair s’inscrit résolument parmi les principaux acteurs du transport aérien européen. Grâce ŕ des tarifs trčs bas, mais qui tiennent souvent du trompe-l’œil, elle a créé de toutes pičces une clientčle nouvelle en męme temps qu’elle a arraché d’importantes parts de marché aux compagnies Ťclassiquesť ou Ťtraditionnellesť. Et cela avec une agressivité commerciale unique en son genre, que l’on ne retrouve pas chez EasyJet, Vueling et d’autres. Pour tout dire, le modčle économique de Ryanair est tout simplement violent, constamment ŕ la limite de la légalité par son utilisation systématique de subventions qui n’avouent par leur nom ou encore un traitement social de ses 8.500 employés difficilement acceptable, voire intolérable.
Michael O’Leary, directeur général de l’entreprise, constamment en représentation, est souvent brutal et de mauvaise foi, en męme temps qu’il est un bon Ťclientť des médias, jamais en retard d’une provocation ou de propositions insensées comme les toilettes payantes, l’équipage Ťŕ unť avec l’éventuel renfort d’une hôtesse de l’air en cas de pépin, etc. Récemment, devant une caméra de France 2, il a affirmé le plus sérieusement du monde qu’on lui attribue fréquemment des propos qu’il n’a pas tenus. Mais, peu ŕ peu, chacun peut constater que la réalité dépasse, Ťqu’il s’agit en permanence de faire régner la peur par des tactiques de menace, d’intimidation et de punitionť. Une accusation grave extraite, parmi des dizaines d’autres, d’un fort ouvrage de 300 pages qui sera en librairie dans quelques jours, ŤRyanair, low cost mais ŕ quel prix ?ť (1).
L’auteur, Christian Fletcher, est un commandant de bord de Boeing 737-800, dissimulé derničre un pseudonyme dont on espčre pour lui qu’il est et restera inviolable. Sans quoi il y aura évidemment procčs, sur fond de polémique et dans un grand tumulte. Cette analyse de l’intérieur confirme ce que chacun soupçonnait : Ryanair est le Germinal des temps modernes, l’Assommoir de l’aviation commerciale du XXIe sičcle, pure machine financičre conduite par un homme sans foi ni loi. Il évite soigneusement de prendre des risques, explique longuement Christian Fletcher, la plupart des rouages de la société sont sous-traités, externalisés et le personnel composé en grande partie de travailleurs indépendants, d’auto-entrepreneurs. Les pilotes paient de leur poche leur entraînement, leur uniforme, leurs repas (męme en vol), les frais d’hébergement que leur imposent des mutations incessantes entre Ťbasesť, d’une extrémité ŕ l’autre de l’Europe.
Ryanair est-elle pour autant un château de cartes qui risque ŕ tout moment de s’écrouler ? Une telle question peut se poser ŕ l’examen des aides financičres venues d’autorités aéroportuaires, de chambres de commerce, d’offices du tourisme. Pourra-t-elle longtemps ignorer, bafouer les lois nationales, les réglementations européennes ? En fait, en lisant entre les lignes, on redécouvre que personne n’ose poser ouvertement la question avec suffisamment de persévérance. A la nuance prčs que ce brűlot, en toute logique, pourrait suffire ŕ relancer le débat.
Au męme moment entre dans la danse la trčs respectée APNA, Association des professionnels navigants de l’aviation. Son journal interne ouvre largement ses colonnes ŕ la face cachée de Ryanair, ŕ l’opacité de l’entreprise, sa pratique généralisée du dumping social, sa quęte de subventions publiques. Que dit cette étude ? Notamment qu’avec 800 millions d’euros de subventions par an, Ryanair est la compagnie aérienne la plus subventionnée. Sans lesdites subventions, estime l’APNA, elle afficherait des pertes annuelles estimées ŕ 500 millions d’euros, faisant ainsi apparaître qu’elle est la compagnie aérienne la plus mal gérée de toutes. Une accusation que contesterait évidemment Michael O’Leary dans l’hypothčse oů ce texte viendrait jusqu’ŕ lui.
Il y a lŕ matičre ŕ débat, ŕ un niveau qui devrait ętre le privilčge des seuls économistes, hors polémique, ce qui semble pour l’instant tout ŕ fait impossible. On doit le regretter en lisant que ŤRyanair a introduit dans la tęte du passager un référentiel de prix totalement faux qu’aucune compagnie ne peut pratiquer ŕ la loyaleť. Et d’évoquer une duperie tout ŕ la fois intellectuelle, sociale et financičre qui obligerait une industrie tout entičre ŕ pratiquer des tarifs qui n’ont aucun rapport avec la réalité économique.
Tout cela n’est évidemment plus tout ŕ fait nouveau mais l’ampleur du problčme apparaît mieux dčs l’instant oů il bénéficie d’un travail de synthčse. Outre le SNPL, les syndicats français, ŕ commencer par le Syndicat national des mécaniciens et spécialistes de l’aviation civile, ont fréquemment dénoncé les excčs sociaux de Ryanair et ses multiples dérives. Mais la difficulté premičre est d’éviter la simplification ŕ outrance en męme temps que la dérive médiatique. Comment certains journalistes pourraient-ils résister, par exemple, ŕ une affirmation de O’Leary comme celle-ci : Ťil n’y a pas eu de guerre en Europe depuis 50 ans parce que tous sont trop occupés ŕ voyager avec Ryanairť.
Les tribulations de Christian Fletcher le conduisent ŕ avouer qu’il lui arrive d’ętre traité comme un moins que rien, de se sentir victime dans un travail quotidien d’un véritable endoctrinement. Reste maintenant ŕ attendre ce qu’il adviendra quand la traduction en anglais de son bouquin arrivera dans les librairies de Dublin…
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) Aux éditions Altipresse.

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