Honorer Idriss Déby, le nouveau Seigneur du Sahel?

Publié le 22 mai 2013 par Ksd @KarfaDIALLO

Il est des leçons qu’on n’est plus prompt à réciter qu’à mettre en application. S’exprimant à New York le 25 septembre 2012 à la 67ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, le tout nouveau Président sénégalais disait « En Afrique et dans le reste du monde, le Sénégal salue et soutient l’avancée de la démocratie et des libertés fondamentales. Nous déplorons que certains, refusant l’évidence que le destin de l’homme est de vivre libre, n’offrent, en réponse aux aspirations légitimes de leur peuple, que la violence atroce contre des populations civiles innocentes.»

Entre le 3 et le 18 mai, les autorités sénégalaises ont posé trois actes majeurs à l’opposé des valeurs politiques et humanitaires que le pays à toujours défendu. Et dont les conséquences et l’impact doivent être analysées et mises en perspective. Le 3 mai le Ministre Tchadien de la Justice Jean Bernard Padaré vient signer à Dakar un accord de coopération judiciaire avec le Sénégal. Avant même que l’on ne comprenne de quoi était fait cet accord, le 7 mai, aux aurores, une première et spectaculaire application s’abattait sur Makaila Nguebla, journaliste et blogueur tchadien réfugié à Dakar qui se verra signifier son expulsion vers la Guinée Conakry. Le 18 mai, fait plus surprenant, c’est l’Hebdomadaire sénégalais Nouvel Horizon qui décernait le «Sédar Spécial» au Président tchadien Idriss Déby Itno avec la bienveillance du ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, qui avait à ses côtés, Abdou Latif Coulibaly, ministre de la Promotion de la Bonne gouvernance.

Elu à la suite d’un processus démocratique remarquable et salué par tous les observateurs, Macky Sall, 4èmePrésident d’un pays crédité à juste raison d’une vigoureuse tradition de protection des droits civils et politiques, effectue là une danse politique bien périlleuse pour sa crédibilité personnelle et pour l’image du Sénégal en Afrique et dans le Monde.

Qu’il soit complétement hallucinant qu’un Hebdomadaire aussi réputé que Nouvel Horizon, connu pour son engagement en faveur de la paix et de la démocratie, se fourvoie à décerner un prix à des Forces Militaires tchadiennes et à leur Président en chef félicité pour «sa décision rapide d’envoyer des troupes au Mali…pour leur efficacité et leur engagement.». Que soit ainsi promue, aux yeux du Sénégal et de l’Afrique, la violence militaire et politique, fut-elle légitime, comme valeur d’influence et de succès par un média qu’on attendait sur des principes plus positifs. Que le Tchad se fasse même représenter à cette cérémonie surréaliste à Dakar par son Ministre de la Défense qui « conduisait une délégation d’une quinzaine d’officiels et d’officiers supérieurs tchadiens, dont certains venaient directement du théâtre des opérations dans le Nord du Mali (sic) ». Et voilà qu’on ne sait plus si on est dans une farce ou dans une tragédie !

Bien sûr qu’un Etat fonctionne plus souvent sur le principe de la Realpolitik que sur celui de l’angélisme déclaratoire. Il n’y a rien de honteux dans les projets commerciaux, économiques voire même diplomatiques que le Sénégal souhaiterait faire avancer auprès de son désormais si influent partenaire tchadien. Mais entendre le Porte-parole du gouvernement sénégalais, le jadis si influent et si militant Abdou Latif Coulibaly pourfendeur des dictatures et des oppressions, déclarer en réponse aux interrogations sur l’expulsion de Makaila Nguebla, que « sa présence était simplement tolérée. Mais sous certaines conditions : qu’il s’abstienne de faire un certain nombre de choses et de déclarations que le gouvernement sénégalais estime contraires à sa volonté de vivre chez nous», n’est pas seulement affligeant mais insultant pour la mémoire et l’image de la démocratie sénégalaise. D’après Abdou Latif Coulibaly, un journaliste qui exprimerait ses critiques quant aux dérives de son pays sur les droits de l’homme, dénoncerait les récentes et arbitraires arrestations suite à la « tentative de putsch » qui a secoué le Tchad, manifesterait ainsi des valeurs « contraires à sa volonté de vivre chez nous ». Mr Coulibaly serait devenu amnésique en oubliant les valeurs grâce auxquelles il a pu exercer son métier, contribuer à l’Alternance sénégalaise et être gratifié d’un poste dans le gouvernement de Macky Sall. Il n’en fallait pas plus pour que résonne dans de nombreux médias et sur de nombreuses lèvres volubiles ou silencieuses le chant d’une sujétion sénégalaise au Tchad. Et à son tout puissant Président.

Arrivé au pouvoir à la suite du coup d’Etat du 2 décembre 1990 contre Hissène Habré (réfugié et protégé à Dakar par respect des droits de l’homme), Idriss Déby est le nouveau seigneur de l’Afrique. Impliqué à outrance dans presque tous les conflits militaires africains en cours, assis sur une importante production pétrolière, sur une croissance exceptionnelle de 7%, défendu par une armée redoutable et formée par l’ancien Président Kadhafi dont il tente de récupérer l’aura, présenté comme incontournable par des analystes et diplomates rémunérés grassement, Idriss Déby est décidé à retrouver une respectabilité internationale. Cet activisme militaire et politique n’ayant pour but que de masquer les violations des droits de l’homme dans son pays, d’isoler son opposition et de régner sans partage sur un peuple malmené par la violence de l’Histoire.

Je reconnais qu’il n’est jamais évident d’avoir affaire avec des régimes en délicatesse avec les droits de l’homme, en particulier quand ceux-ci détiennent les clefs de nombreux conflits comme le Mali et la Centrafrique, développent une stratégie diplomatique offensive reposant sur une manne pétrolière qui semble inépuisable. Mais je ne peux accepter cette sorte d’hommage que l’Hebdomadaire Nouvel Horizon adresse au Chef d’Etat tchadien et à son régime aussi suspect et ce blanc-seing que le gouvernement sénégalais adresse ainsi dans cette décision illégitime d’expulsion d’un opposant.

Si la réussite électorale du Président Sall a reposé sur un pragmatisme politique salué et bien nécessaire, il reste qu’il lui faut être absolument et résolument fidèle à une tradition politique sénégalaise généreuse et exemplaire sur le plan des droits de l’homme. Si pragmatisme il doit y avoir il faut que ce soit dans l’intérêt exclusif du pays. Et je doute que l’alignement actuel sur un des dictateurs les plus controversés ne serve ni les interets du peuple sénégalais et africain, ni les valeurs humanistes qui font la modernité politique d’aujourd’hui.

Karfa Sira Diallo